Le Point

Del Arbol retourne dans le lit du franquisme

Le premier roman de l’auteur de « La Tristesse du samouraï » exhume les fantômes de cette période.

- PAR JULIE MALAURE

On a tremblé, pleuré à la lecture de La Tristesse du samouraï, en 2012, et en remettant à son auteur, Victor del Arbol, le prix Le Point du polar européen. L’exflic catalan arrivait tel un héros moderne pour labourer le coeur de ses lecteurs, en revenant sur la période trouble du franquisme. La Veille de presque tout (2016), couronnée du prestigieu­x prix espagnol Nadal, et Le Poids des morts (2006), qui vient de paraître en français, sont les deux autres volets de cette « trilogie de la mémoire », selon les mots de l’auteur. Le Poids des morts est aussi le premier roman de Victor del Arbol. En 1975, une femme, Lucia, dont la vie a été saccagée par les hommes du Caudillo, revient en Espagne à l’annonce de son agonie pour y découvrir la vérité sur la mort de son père, accusé d’avoir empoisonné au thallium l’épouse d’un général franquiste. Sur fond de procès de Burgos, de Marche verte et d’attentats, on assiste aux derniers spasmes du régime, au déchiremen­t des âmes et à la résurgence d’un passé qui ne s’éteint jamais. Preuve en est ce livre, et l’actualité que l’auteur a bien voulu éclairer.

Le Point: Vous aviez 7 ans à la mort de Franco. Pourquoi réveiller les fantômes ? Victor del Arbol:

Parce que j’appartiens à ce que j’appelle la « génération perdue ». La dernière de la dictature, la première de la démocratie. Ma génération a grandi entourée de non-dits, de méfiance à l’égard de la vérité officielle. Aujourd’hui, tout le monde connaît ou peut connaître l’histoire de la dictature. Mais, à mon époque, nous n’avions aucune informatio­n. Il y avait un discours officiel, celui du franquisme, et un discours officieux, celui de la démocratie. Et, pour couvrir le tout, il y avait le silence de la famille…

Le travail de mémoire littéraire empêche-t-il de penser à l’avenir ou permet-il au contraire d’y accéder ?

Si tu ne sais pas d’où tu viens, tu ne peux pas savoir où tu vas. Pour moi, il y a toujours un lien entre le passé, le présent et l’avenir. Le passé interroge, mais j’ai un goût pour le réel qui n’est ni de la mélancolie ni de la nostalgie.

On a découvert, lors du déplacemen­t de la tombe de Franco en octobre dernier, qu’il y avait des nostalgiqu­es du franquisme. Une surprise?

Il existe en Espagne l’idée d’un passé perdu qui aurait été meilleur. Je pensais que l’extrême droite, qui représente ce mouvement, était totalement morte. Je me trompais. La question du déplacemen­t de la tombe a provoqué une renaissanc­e du discours et donc de la mythologie d’une Espagne glorieuse. Un discours qui revient, modernisé, avec la jeunesse. Aux dernières législativ­es, l’extrême droite a remporté 3,5 millions de voix. C’est trop. Et combien sont des primo-votants ? Ce qui veut dire que, malgré la littératur­e, le journalism­e et l’enseigneme­nt de l’histoire, il y a une méconnaiss­ance totale du passé chez les jeunes. Il va encore en falloir, des livres !

Le Poids des morts, de Victor del Arbol (traduit de l’espagnol par Claude Bleton, Actes Sud, 304 p., 22 €).

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Victor del Arbol.

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