Le Point

Cinéma - Alain Goldman : « Soutenir J’accuse n’est pas soutenir le viol »

À la veille des César, le producteur du film de Roman Polanski s’exprime pour la première fois. Il appelle à ne pas confondre droit et morale.

- PAR JEAN-LUC WACHTHAUSE­N

Le Point: Que vous inspire la polémique qui, avant la sortie du film et encore aujourd’hui avec les César, remis le 28 février, vise «J’accuse», de Roman Polanski ?

Alain Goldman: Je pense que deux causes s’entrechoqu­ent, ce film et la cause féministe sur le combat contre le viol. Une noble cause. On est évidemment favorable à tout ce qui peut la faire avancer. Actuelleme­nt, on est à un moment particulie­r de ce combat-là: il n’a pas été déclenché par Roman Polanski mais par l’affaire Harvey Weinstein, qui met en lumière les abus dans le cinéma et l’entertainm­ent en général. C’est une cause, elle est juste. Mais il y en a une autre que j’ai décidé de soutenir à la lecture du scénario: l’affaire Dreyfus à travers un angle et une quasi-fulgurance narrative. Traiter à la fois cette affaire et révéler un héros oublié, le colonel Picquart. Concevoir un film qui rappelle à la fois l’histoire et la prolonge de nos jours – non seulement l’antisémiti­sme n’a pas disparu en France, mais il est en augmentati­on avec 687 actes recensés en 2019 – est aussi une noble cause qui suppose d’être défendue. Ça m’atttriste que ces deux causes soient sans cesse opposées.

Sauf que Polanski est traité de «violeur».

Il y a des limites. Celles de se substituer à la justice et à la manière dont elle est rendue. Autrement dit, être accusé ne veut pas dire qu’on est coupable. C’est toute la différence entre l’arbitraire et la chose jugée. Évidemment, il y a des accusation­s portées par des femmes. Mais, en tant que citoyens, on ne peut pas se substituer à la justice et considérer les gens qui ne sont pas encore jugés coupables comme l’étant déjà.

Tout a été amplifié avec les déclaratio­ns récentes de Valentine Monnier, qui a accusé Polanski de l’avoir agressée et violée en 1975.

Elle dit avoir été violée et battue. On lui doit le respect, mais rien n’est prouvé en droit. On ne peut pas en sortir. Que dit le film? Quand une justice se rend sans preuves, alors on prend un juif, Dreyfus, qui est innocent, se sent plus français que n’importe qui d’autre, et, parce qu’on n’a pas besoin de preuves, il est accusé, condamné, dégradé et envoyé sur l’île du Diable. Et quand la preuve arrive qu’il n’y avait aucune preuve contre lui, on le ramène, on le réintègre dans son rang. Si on finit par se dire qu’on n’a plus besoin de preuves, on est mort, il n’y a plus de justice et on redevient des sociétés arbitraire­s. Et on sait que dans l’arbitraire, les premiers qui trinquent, ce sont les juifs.

Était-il approprié que Polanski se compare un moment à Dreyfus?

Il ne l’a jamais dit. Il y a eu une maladresse. Il expliquait qu’il y a eu à la fois des événements dramatique­s et la machine judiciaire et médiatique qui s’est déchaînée contre lui. Il voulait dire : je connais ce sentiment d’acharnemen­t… mais il n’a en aucun cas voulu se comparer à Dreyfus. Ce film, il y pensait depuis son adolescenc­e.

Faut-il dissocier l’homme de l’artiste?

Pas du tout ! C’est naïf. Comme si on voulait s’arranger avec la réalité. Ce qui m’intéresse quand je décide de produire un artiste, c’est justement d’aller au plus profond de l’homme pour lui permettre de mieux s’exprimer en tant qu’artiste.

Douze nomination­s aux César, cela signifie que la profession qui a voté soutient le film. Pourtant, ce choix fait encore parler. La remise des prix risque d’être agitée…

On verra. Une chose est sûre, et j’en suis très fier, c’est d’avoir un film sur l’affaire Dreyfus qui obtienne douze nomination­s aux César. Je suis heureux pour tous ceux qui ont travaillé sur J’accuse. Ensuite, l’Académie compte quelque 4 500 membres et chacun vote en son âme et conscience. Chacun est libre, heureuseme­nt. C’est une institutio­n démocratiq­ue dans un pays démocratiq­ue. Maintenant, on peut le déplorer, penser et dire que c’est scandaleux, qu’on n’est pas d’accord. C’est le jeu de la démocratie, sous réserve qu’on le respecte. Ensuite, tout le monde n’a pas voté pour J’accuse. Il y a d’autres très bons films.

« Ce film, Polanski y pensait depuis son adolescenc­e. » Alain Goldman

Pourtant, du côté des associatio­ns et même des politiques, des voix s’élèvent contre «la cécité du monde du cinéma» à l’égard des femmes victimes de viol…

Je le redis : cette polémique repose sur une cause noble, mais elle doit s’inscrire dans le respect du droit. Dans le cas de Polanski, il n’y a qu’une seule procédure sur le sol américain et la victime, Samantha Geimer, demande qu’on lui foute la paix, à elle-même et à Polanski. Elle lui a pardonné. Polanski est né en

France, il a grandi ici, c’est son pays. Il n’a aucune procédure en cours et il faudrait qu’on le respecte pour ça. Le contraire est dangereux.

Polanski sera-t-il présent aussi aux César ?

Il n’est pas très friand de ce genre de manifestat­ions. A priori, oui. Il n’y a aucune raison qu’il ne vienne pas.

Pourtant, le ministre de la Culture, Franck Riester, et la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, invoquent la morale…

Écoutez, quand on se lance dans un film comme J’accuse, on ne le fait pas pour des César mais pour faire oeuvre de référence et oeuvre cinématogr­aphique. Je trouve la réponse du ministre déplacée. Ce n’est pas un donneur d’ordre moral, pour le coup. Ce qui est important, c’est de faire des films utiles qui révèlent les dysfonctio­nnements de la société pour que, éventuelle­ment, elle ait des chances de s’améliorer. Alors, ce que j’attends des César, c’est secondaire. On prendra ce qu’on aura.

« Pour moi, le colonel Picquart est le premier des Justes. »

Justement, avec plus d’un million et demi de spectateur­s pour «J’accuse», avez-vous atteint votre objectif de dénoncer une injustice sur une affaire qui a coupé la France en deux?

On est heureux du score. Ce n’est qu’un début. Quand on a la chance de monter et de réussir un tel film – ce qui est rare et difficile –, on se dit qu’il a une première vie et que par la suite, dans cinq ans, dix ans, vingt ans, il deviendra la référence cinématogr­aphique sur l’affaire Dreyfus. Toute la grandeur de la France est là: elle vit des moments souvent dramatique­s, mais il y a toujours un homme, une lumière pour les sauver. Pour moi, le colonel Picquart est le premier des Justes.

Aujourd’hui, l’équipe du film est-elle soudée derrière Polanski ?

On refuse tous l’idée que soutenir le film de Roman, c’est être contre le combat pour l’égalité des femmes et la lutte contre la maltraitan­ce. Je ne veux pas être réduit à ce truc binaire : si vous soutenez Polanski, vous soutenez le viol. Non, c’est ridicule et grotesque. Soutenir J’accuse n’est pas soutenir le viol.

Du coup, la promotion est difficile, non ?

Depuis trois mois, on a vécu des moments qui rappelaien­t des mauvais souvenirs : des volontés de déprogramm­ation, de lynchage médiatique. Des moments d’hystérie collective qui mettent en danger la démocratie. Et les politiques feraient mieux de rappeler le droit, le respect au droit, c’est leur rôle et non pas de faire appel à la morale au moment des votes aux César. Les propos de Marlène Schiappa [qui s’inquiète du «message paradoxal» envoyé aux victimes de violences sexuelles, NDLR] sont scandaleux.

Pour vous, «J’accuse» semble aller au-delà de toutes ces querelles ?

En fait, quels que soient les résultats des César, on sera heureux de les avoir et pas malheureux si on ne les a pas. Ce film aura une vie après la soirée. Il est là pour l’éternité

 ??  ?? Engagé. Le producteur Alain Goldman à côté d’un mannequin vêtu de l’uniforme du capitaine d’artillerie Alfred Dreyfus (1859-1935).
Engagé. Le producteur Alain Goldman à côté d’un mannequin vêtu de l’uniforme du capitaine d’artillerie Alfred Dreyfus (1859-1935).

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