Le Point

La laïcité, rescapée collatéral­e

Les religions font preuve d’humilité face à la pandémie, observe l’écrivain. Quant à l’islamisme, il a peut-être rencontré une souche plus féroce que lui.

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L’islam (et les autres monothéism­es) s’est-il enfin converti aux bienfaits de la pratique dans l’intimité au nom de la prudence face à la pandémie ? Le virus va-t-il restaurer la laïcité que la loi a fait attendre ? De l’humour, mais à méditer. Notons d’abord que dans un ou deux pays du « Sud » confession­nel, on a déjà pris les devants et les audaces : la si sainte prière du vendredi est annulée ou interdite pour cause de risques liés aux rassemblem­ents. Une vidéo circule sur les réseaux sociaux montrant un étrange appel à la prière, lancé par un muezzin qui, à la fois, signale l’heure du rite et invite les auditeurs à prier chez eux. Une première depuis des siècles de convocatio­ns.

Plus radical, et selon des journaux anglais, Daech aurait appelé ses « soldats » à ne pas fréquenter l’Europe pour cause de virus, tout en demandant à ceux qui y vivent déjà d’y poursuivre les oeuvres mauvaises. En Algérie, l’humour reste féroce sur la question de la religion face à l’épidémie : sur les réseaux, on a demandé (une plaisanter­ie) aux imams de ne pas appeler Dieu à punir les Occidentau­x, au moins pas avant qu’ils aient inventé un vaccin. Mais si on en rit, politiquem­ent on reste prudent : aucune autorité politique n’a encore osé appeler à suspendre les prières du vendredi. On laisse la gestion du risque au bon vouloir de chacun avec une imprudence très lâche. Plus impression­nant, et pour la première fois depuis des siècles, l’esplanade de La Mecque est montrée vide comme un désert, sans qu’on se décide encore à y voir le présage du cataclysme.

Tout cela pour noter qu’étrangemen­t, les prêches qui évoqueraie­nt, comme attendu, une punition divine ou un signe de Dieu, sont encore rares ou peu pris au sérieux, comme si la foi féroce ou radicale était encore sous le coup de l’hébétude. Aucun cheikh ou autre autorité n’a encore décidé de décoder l’épidémie pour les besoins de son ministère, ni d’en faire usage de menace et de punition. On attend. Pourtant, d’habitude, le terrain est tellement propice à la surinterpr­étation et une « peste » est toujours le pain bénit des messianist­es et autre annonceurs de fin de monde. L’Occident vaincu par un virus ? C’est, chez certains, presque un rêve noble.

Pourquoi alors cette timidité ? D’où vient cette union passive face à la nouvelle peste ? On ne sait pas. Il n’y a que des pistes à explorer. L’une d’elles est que la maladie a aujourd’hui pour unique vaccin le confinemen­t, le repli sur soi, sur sa famille, la solitude. Et ce confinemen­t est un peu le contraire de l’esprit des sectes, des partis islamistes, des contre-croisades théoriques, des guerriers. D’ailleurs, pour être (et se sentir) bon islamiste, il ne faut pas être seul dans son coin, et le virus impose la solitude dans ce cas.

Le confinemen­t est même le contraire de la révolution et, c’est une hypothèse là aussi, il impose une égalité des malchances, une assimilati­on par la peur, une intégratio­n par défaut. On peut avoir une religion, un virus ne l’a jamais. Il peut être assimilé à un signe de Dieu mais c’est un Dieu en soi, tout à fait capable de se fabriquer son propre jugement dernier, sa fin du monde, et d’imposer ses propres lois et codes de l’invisible.

Les religions pratiquées font donc preuve d’humilité face au Covid-19, pour le moment. Quant à l’islamisme, il a peut-être rencontré une souche plus féroce qui ne lui concède aucune immunité au nom de la parenté

Le confinemen­t impose une égalité des malchances, une assimilati­on par la peur, une intégratio­n par défaut.

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