Notre vie en liberté contrôlée
Près de 21 millions de vérifications d’attestations ont été menées par les forces de l’ordre en deux mois. Enquête.
Aurions-nous été infantilisés au point d’avoir perdu le choix de notre plume ? Encre indélébile obligatoire sur notre attestation de sortie, crayon à papier interdit sous peine de contravention… Le 17 mars, les Français commencent leur confinement dans la plus grande incertitude. Interdit de quitter son chez-soi, même pour se promener. Les « déplacements brefs », comme le rappelle alors le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, n’étant autorisés que pour « l’activité physique » et les besoins de votre chien. Vous stationnez un peu trop longtemps sur un banc ou sortez en pantalon et pas en tenue de footing et c’est, à défaut de l’amende, la réprimande assurée ! « Si je devais résumer le confinement, je dirais que l’on pourra prendre l’air, oui, mais certainement pas pour jouer un match de foot », lance Christophe Castaner. Certainement rassurant mais pas très éclairant.
Trois jours après, nouveau décret. Les Français ne sont toujours pas autorisés à se promener, mais délinquants, criminels et suspects sont invités à revenir pointer au commissariat. Dans la première mouture de son plan de bataille, le gouvernement a en effet omis d’intégrer les contrôles judiciaires comme motif autorisé de sortie. Des gens dont les autorités sont censées, en temps normal, surveiller le comportement se sont donc retrouvés sans contrôle. Les chanceux : ils seront bien les seuls. Car une semaine plus tard, énième changement. On peut désormais s’évader de chez soi en famille, mais dans un périmètre d’un kilomètre et pas plus d’une heure par jour. Il faudra, sur son attestation, préciser l’heure de sortie, avec les minutes, s’il vous plaît. Les forces de l’ordre sont invitées à procéder au maximum de contrôles, ce qui donne quelques dérapages bien relayés par la presse et les réseaux sociaux. Comme, par exemple, cette curieuse manie de jauger les courses et le contenu des Caddie. Ainsi de cette dame sortant d’un magasin avec en tout et pour tout une dizaine de bouteilles de Coca-Cola : « La semaine prochaine, si vous continuez à avoir une attitude pareille, vous serez verbalisée. (…) Regardez ce que vous achetez ! Vous prévoyez une gastro ? » l’interroge un gendarme. ■
« Si je devais résumer le confinement, je dirais que l’on pourra prendre l’air, oui, mais pas pour jouer au foot. » Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, au premier jour du confinement