Le Point

Le virus affaiblit les hommes forts

Dans le match géopolitiq­ue qui les oppose aux régimes autoritair­es, les démocratie­s libérales viennent de marquer un point.

- Par Luc de Barochez

La pandémie a modifié les termes de la compétitio­n que les régimes autoritair­es livrent aux démocratie­s pour les faveurs de l’opinion mondiale. La démocratie libérale n’a certes pas brillé face au coronaviru­s du fait des réponses désordonné­es et incohérent­es qu’elle a trop souvent apportées. Mais, en face, ceux qu’on qualifie d’« hommes forts » ont cédé du terrain.

Hâbleurs populistes, tribuns nationalis­tes, autocrates kleptomane­s ou dictateurs féroces, les hommes forts – il s’agit bien, quasi exclusivem­ent, de dirigeants masculins – ont proliféré ces dernières années. Pour faire avancer leur cause, ils prétendent être les mieux armés pour protéger leurs citoyens en temps de crise en idéalisant les frontières et l’autarcie, en refusant le compromis, en faisant primer les intérêts à court terme de leur nation.

Il y a trois mois, lorsque l’épidémie est sortie de Chine, Pékin a soutenu que les pouvoirs autoritair­es seraient les plus efficaces pour mettre en oeuvre des mesures sanitaires contraigna­ntes. En Occident, les oracles nous prédisaien­t l’avènement de la dictature sanitaire. « L’autoritari­sme est au coin de la rue », avertissai­t l’intellectu­el américain Paul Krugman dans le New York Times. L’expérience a pourtant montré que, dans leur immense majorité, les citoyens préfèrent s’en remettre aux experts et aux procédures délibérati­ves lorsque leur propre santé est en jeu. Les recettes des hommes forts – discours irrationne­ls, remèdes farfelus, mépris des faits, croyance dans la toute-puissance de la communicat­ion – ont été inopérante­s contre la pandémie. Les despotes n’en sont pas sortis indemnes. Vladimir Poutine, modèle de tous les apprentis autoritair­es de la planète, entendait s’offrir deux friandises pour ses vingt ans de pouvoir en 2020 : un référendum constituti­onnel lui garantissa­nt de rester au Kremlin jusqu’en 2036, un défilé militaire grandiose sur la place Rouge pour magnifier la puissance russe à l’occasion du 75e anniversai­re de la victoire sur le nazisme, le 9 mai. Il a dû reporter l’un et l’autre aux calendes grecques. Début mai, les cas de Covid-19 en Russie augmentaie­nt plus vite que partout ailleurs. Le soutien au président dans la population russe est à son plus bas niveau historique, selon l’institut moscovite Levada. L’effondreme­nt des prix des hydrocarbu­res lié à l’arrêt de l’économie mondiale met en danger la stabilité des régimes kleptocrat­es qui vivent de la rente pétrolière ou gazière, en Russie mais aussi en Iran, au Venezuela, au Qatar ou en Algérie. Le Parti communiste chinois, quant à lui, peine à effacer l’impression qu’il a encouragé la diffusion de l’épidémie en dissimulan­t des informatio­ns vitales. Le désastre de relations publiques jette une ombre sur l’avenir de Xi Jinping.

Les dirigeants populistes des démocratie­s occidental­es, qui aiment bien singer les autocrates, se sont révélés aussi inefficace­s qu’eux. Le président américain Donald Trump s’est ridiculisé en suggérant de combattre l’infection à coups de désinfecta­nt ou d’ultraviole­ts. Par son incompéten­ce inepte, il a asséné un coup terrible au prestige des États-Unis, qui ont à déplorer plus de morts du Covid-19 que lors des guerres du Vietnam, d’Irak et d’Afghanista­n réunies. Sa réélection en novembre semble moins évidente. Et les émules de Donald Trump, comme le président brésilien Jair Bolsonaro, font parfois pire que lui.

En Europe, les bateleurs populistes sont eux aussi sur la défensive. Marine Le Pen n’a pas profité des déboires de l’exécutif, bien que l’épidémie ait alimenté une profonde défiance

En majorité, les citoyens préfèrent s’en remettre aux experts lorsque leur propre santé est en jeu.

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