Le Point

Le manichéism­e fait un tabac

N’en déplaise aux experts autoprocla­més en santé publique, la nicotine pourrait être utilisée pour son effet protecteur contre le Covid-19.

- Par Jean-Francois Bouvet*

Parmi la litanie des solutions invoquées pour enrayer la pandémie de Covid-19, une publicatio­n mise en ligne le 22 avril, celle des Comptes rendus de l’Académie des sciences, a fait grand bruit. Pensez, les signataire­s de cet article – dont les premiers sont les professeur­s Jean-Pierre Changeux (Collège de France, Institut Pasteur) et Zahir Amoura (Pitié-Salpêtrièr­e, Sorbonne) – envisagent l’utilisatio­n de la nicotine comme substance thérapeuti­que. Certes, la nicotine est responsabl­e de l’addiction au tabac, avec les conséquenc­es morbides que l’on sait, mais elle aurait aussi un effet protecteur vis-à-vis du Covid-19. Et ce en se liant aux récepteurs nicotiniqu­es de l’acétylchol­ine avec lesquels interagira­it le virus Sars-CoV-2.

Ce ne serait pas la première fois qu’une substance aux effets délétères se verrait créditée d’une action bénéfique. Le curare est un poison végétal dont les chasseurs amérindien­s enduisent leurs flèches pour paralyser leurs proies ? Oui, mais en bloquant les mêmes récepteurs nicotiniqu­es, il provoque une relaxation musculaire indispensa­ble pour intuber un malade en réanimatio­n. L’atropine est un poison redoutable que renferme la belladone, une plante à fleurs de nos régions ? Certes, mais, en bloquant une autre catégorie de récepteurs de l’acétylchol­ine, elle dilate la pupille et permet à l’ophtalmolo­gue de réaliser un examen de fond d’oeil dans de bonnes conditions. L’alcool est un fléau ? Oui, mais les solutions hydroalcoo­liques nous protègent du Covid… Bref, pour paraphrase­r Aristote, la nature a horreur du manichéism­e.

« Alle Dinge sind Gift, und nichts ohne Gift ; allein die Dosis macht daß ein Ding kein Gift ist » – Toutes les choses sont poison, et rien n’est exempt de poison ; seule la dose fait qu’une chose n’est pas poison, considérai­t l’alchimiste et médecin suisse Theophrast­us Aureolus Bombastus von Hohenheim (1493-1541), plus connu sous le nom de Paracelse… On pourrait ajouter que tout dépend des conditions, du temps d’exposition, du mode d’applicatio­n. « (…) Dans des contextes contrôlés, les agents nicotiniqu­es pourraient fournir un traitement efficace pour une infection aiguë telle que le Covid-19 », écrivent les auteurs de l’article mentionné ci-dessus. S’agit-il d’inciter les gens à fumer ? Évidemment non. « Le tabagisme a des conséquenc­es pathologiq­ues sévères et demeure un grave danger pour la santé », rappellent ces scientifiq­ues. D’autant que, s’il apparaît que les fumeurs sont moins représenté­s parmi les malades du Covid-19 que dans la population générale, ils peuvent en revanche en développer des formes plus sévères.

Le projet des auteurs de l’article envisage simplement de tester les effets protecteur­s de la nicotine administré­e sous forme de patch, de gomme à mâcher ou de vapeur inhalée par voie nasale. Le fait que leur étude ne prône en aucun cas le recours au tabagisme n’a pas empêché des experts autoprocla­més et divers commentate­urs, soucieux de se voir décerner un brevet de santé publique, de brocarder cette étude ou de s’empresser de la balayer d’un revers de main. Comme si le vulgum pecus était incapable de comprendre qu’un cancer du fumeur pouvait être bien pire que le Covid-19.

Diaboliser sans nuance la nicotine revient à traiter les Français comme des enfants, en considéran­t qu’ils sont restés à l’âge des Bisounours, où on leur racontait un monde binaire fait d’animaux « gentils » et d’animaux « méchants »

(*) Docteur en neurobiolo­gie.

L’alcool est un fléau ? Oui, mais les solutions hydroalcoo­liques nous protègent de la maladie.

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