Une chancelière, quatre présidents
accentue les divergences. ■
Vote des 35 heures, dérapage des dépenses publiques, laxisme budgétaire permanent, multiplication des emplois de fonctionnaires (un million de plus qu’en Allemagne aujourd’hui), délocalisations accélérées, la France se leste peu à peu dehandicapsquasiinsurmontables.
Pourtant, dans les années 2000, la richesse produite par habitant était encore la même des deux côtés du Rhin. Mais Berlin engage alors des réformes audacieuses de son droit du travail et s’impose par beau temps la règle du schwarze Null, du « zéro noir », c’est-à-dire de l’équilibre des comptes publics. Résultat, la dette publique, qui était identique avant la crise financière de 2008, représentait en début d’année 100 % du produit intérieur brut en France, mais moins de 60 % en Allemagne. En 2013, sous la présidence Sarkozy, le crédit souverain de la France perd son tripleA, la note excellente dont elle bénéficiait jusqu’alors. Les deux pays n’ont plus la même marge de manoeuvre. « Tous nos défauts font qu’aujourd’hui la France a 200 milliards d’euros de PIB en moins, souligne Jean-Dominique Giuliani. Dans cette crise du coronavirus, toutes nos défaillances de gouvernance ont sauté de manière criante aux yeux des Français, qui ont pu se comparer. »
La crise a mis en lumière le poids étouffant de la bureaucratie française. À Bruxelles, Mariya Gabriel, commissaire européenne à la Recherche et à l’Innovation, est sur la brèche depuis trois mois pour coordonner la recherche d’un vaccin. Ses proches mentionnent qu’elle parvient plus aisément à joindre les chercheurs américains (donc hors UE) qu’à s’entretenir avec ceux de l’Institut Pasteur à Paris ! Idem s’agissant de l’application StopCovid. Quand son cabinet tente de joindre celui de Cédric O, secrétaire d’État chargé du Numérique,
Paris ne rappelle pas. Arrogance française injustifiable. En revanche, Mariya Gabriel a pu oeuvrer main dans la main avec l’Allemagne pour faire échec à la tentative américaine de prise de contrôle du fabricant de vaccins CureVac, un joyau de la biotechnologie allemande. Faut-il dès lors s’étonner que l’étude européenne Discovery, lancée par la France pour tester cinq modalités de traitement, ait fait un flop ? Seul le Luxembourg s’y est rallié. Trop de bureaucratie a dissuadé Allemands, Britanniques, Néerlandais, Espagnols, Belges… L’étude sera essentiellement française et plus coûteuse que les autres.
Fierté. Les autorités allemandes marchent sur des oeufs pour évoquer les déboires de la «Grande Nation ». « Le débat sur le décrochage français par rapport à l’Allemagne est purement franco-français, assure un proche de la chancelière. La différence de quelques points de PIB entre nos deux pays n’a aucune incidence sur notre relation. Dans le passé, la France était plus forte que l’Allemagne, et l’Europe a continué d’avancer. L’Europe est faite de pays aux économies très diverses, et il faudra toujours, quelles que soient nos différences, s’entendre politiquement entre Paris et Berlin. »
Un volontarisme qu’exprime aussi, à Paris, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire. « Je ne partage pas les inquiétudes, et les angoisses parfois, de ceux qui craignent un décrochage entre la France et l’Allemagne, confie-t-il. Je n’ignore pas les chiffres, les situations budgétaires, les situations industrielles, mais je vois aussi que sur le long terme nous avons tout pour réussir aussi bien que nos partenaires allemands. Je crois que ça ne dépend que de nous, et nous avons tout pour nous redresser vite, nous redresser fort et le faire en bonne intelligence avec l’Allemagne. » Pour le ministre, l’un
« Le ton est plus nationaliste et la volonté de protéger avant tout les intérêts de l’Allemagne n’est plus un tabou. » Ulrike Guérot, politologue
à l’Italie ; ils auraient pu parler de la France. Même son de cloche du côté de Ralph Brinkhaus, chef du groupe parlementaire CDU-CSU au Bundestag. Dans une interview au magazine Focus, ce député influent exige que l’Allemagne participe davantage à l’effort européen pour venir à bout de la crise. Son allusion à la France est transparente : « Certains de nos voisins européens ont peur que l’Allemagne consolide encore sa position déjà très forte, parce qu’elle s’en sortira mieux que les autres. C’est la raison pour laquelle nous devons – même si cela implique dans certains cas de venir à bout de nos résistances – faire preuve d’une grande solidarité. » L’Allemagne est désormais consciente que l’intégration est telle en Europe qu’elle ne pourra plus s’en sortir toute seule. Elle s’apprête à rouvrir grand sa frontière avec la France. Mais il en faudra bien plus, à Berlin comme à Paris, pour que le couple franco-allemand retrouve son allant d’antan. Car, désormais, les deux pays ne boxent plus vraiment dans la même catégorie
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