Le Point

Un déconfinem­ent par Land

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Contrairem­ent à la France, l’Allemagne a évité de recourir à un régime d’urgence pendant la crise. Le Bundestag a néanmoins voté en mars une loi qui permet au gouverneme­nt fédéral d’imposer aux régions (Länder) certaines réglementa­tions à but prophylact­ique, sans le feu vert du Bundesrat. Cela n’a pas empêché les Länder d’interpréte­r à leur façon les consignes et de déconfiner chacun à son rythme, en fonction de la situation sanitaire locale. des rares de l’équipe gouverneme­ntale à maîtriser la langue de Goethe, « le sujet n’est pas l’opposition entre la France et l’Allemagne. Le sujet est de savoir comment nous existons encore entre la Chine et les États-Unis au XXIe siècle. Nous n’avons pas d’autre choix, Allemagne et France, que de rassembler nos forces et nos atouts ». Parmi les points saillants de la France, Bruno Le Maire cite une démographi­e dynamique, une attractivi­té qui reste forte aux yeux des investisse­urs internatio­naux, un système financier solide et performant, une recherche de pointe, un esprit d’entreprise puissant.

En face, l’Allemagne a elle aussi ses handicaps, qui ont été en partie masqués par le réflexe d’unanimisme durant la crise. La question de la succession d’Angela Merkel n’est toujours pas réglée, sa dauphine désignée, Annegret Kramp-Karrenbaue­r, ayant jeté l’éponge à la fin de 2019. Le rendez-vous des urnes de l’automne 2021 approche. Ce timing ne favorise pas, côté allemand, une initiative­audacieuse­auniveaueu­ropéen, alors même que Berlin doit assumer, le 1er juillet, la présidence tournante de l’Union européenne. Malgré les performanc­es économique­s, le climat politique s’est dégradé depuis la naissance du parti d’extrême droite Alternativ­e für Deutschlan­d (AfD), en 2012. Dans un premier temps, ce nouveau parti se fédère, ce n’est pas un hasard, autour du rejet de l’euro. En 2017, devenu entre-temps un parti anti-immigratio­n, il entre au Bundestag avec plus de 90 députés. Un choc dans ce pays où jamais depuis la Seconde Guerre mondiale l’extrême droite n’avait franchi le seuil du Parlement, fédéral.

La marche en avant de l’AfD met au jour la crispation nationalis­te et identitair­e, sensible surtout dans l’ex-RDA communiste. L’époque est bien finie où l’eurojubila­tion était de mise dans un pays qui avait besoin de racheter son passé nazi. Professeur­e de politique européenne à l’université du Danube, en Autriche, Ulrike Guérot estime que la renational­isation de l’Allemagne s’est faite

par étapes depuis 1989 : « Son point d’orgue fut la Coupe du monde de football de 2006, avec les drapeaux noirrouge-or et le droit revendiqué à la fierté nationale. Elle s’amplifie en 2012 avec la création de l’AfD, qui redessine l’échiquier politique. Elle se nourrit de la crise des réfugiés en 2015. Le ton est plus nationalis­te et la volonté de protéger avant tout les intérêts de l’Allemagne n’est plus un tabou. Cette affirmatio­n se fait parallèlem­ent à une perte d’influence française au niveau économique et politique. »

Le jugement de Karlsruhe. La décision des juges en robe rouge de la Cour constituti­onnelle de Karlsruhe, qui, le 5 mai, sommaient la Banque centrale européenne (BCE) de rendre dans un délai de trois mois des comptes sur sa politique de liquidités abondantes et bon marché témoigne de cette tendance à la renational­isation. La crise du Covid-19 a ravivé l’inquiétude des Allemands, à qui on demande sans cesse de payer pour leurs voisins du Sud. La plainte a d’ailleurs été portée par un groupe d’euroscepti­ques notoires. Pour Ulrike Guérot, ce jugement «traduit une poussée de la droite conservatr­ice au sein de l’establishm­ent économique et politique allemand. À l’époque de Helmut Kohl, ça n’aurait jamais eu lieu. On était dans un autre temps mental. Personne ne contestait l’Europe. Aujourd’hui, ce discours est parti en miettes. Les élites sont plus jeunes, elles ont été socialisée­s à une autre époque ». Angela Merkel ne partage pas cette tentation, mais elle est devenue maître dans l’art de la prudence. Cela explique son refus d’autoriser la mutualisat­ion des dettes européenne­s réclamée par Paris et Rome. L’électorat conservate­ur allemand ne le lui pardonnera­it pas.

Pourtant, les voix qui prônent la solidarité s’élèvent de plus en plus fortement en Allemagne. « Si nous ne les aidons pas, ils ne nous pardonnero­nt jamais », déclaraien­t début avril dans une tribune commune deux anciens ministres des Affaires étrangères, le social-démocrate Sigmar Gabriel et le vert Joschka Fischer. Ils faisaient allusion

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