L’ÉCRIVAIN EST UN VAMPIRE
Roman. Depuis quand n’avions-nous pas méprisé un héros avec une telle passion ? Probablement depuis Casanova. « J’ai connu beaucoup de putes dans ma vie », lui crache l’une de ses proies, et de taille, puisqu’il s’agit du célèbre Gore Vidal. « Une pute ne vous trompera jamais, elle a trop d’intégrité pour cela. Mais vous, Monsieur Swift, vous êtes une insulte à la profession.» Satisfait comme Narcisse, sociopathe comme Patrick Bateman, parvenu comme Rastignac, Maurice Swift brûle au même bûcher des vanités que le talentueux Monsieur Ripley. C’est le nouveau personnage de John Boyne, l’Irlandais multiprimé (Le Garçon en pyjama rayé ou Les Fureurs invisibles du coeur). En attendant de devenir le « grantécrivain » qu’il est convaincu d’être, Maurice Swift sert des brandys dans un hôtel de Berlin-Est, juste avant la chute du Mur. Erich Ackermann, romancier allemand, la soixantaine homosexuelle et complexée, observe cet étalon à la beauté faustienne. Le premier veut la gloire mais manque d’inspiration, le second rêve d’un amant (pour exulter) et d’une oreille (pour s’en confesser) ; ces deux-là ont des choses à échanger. Sauf qu’Erich donne tout, passé, douleurs, erreurs, et Maurice rien du tout. Le jeune loup pille l’ancien et balance tout dans un livre – Deux Allemands – qui fait sensation. Erich sera la première victime, il y en aura d’autres. C’est l’histoire d’un trafic physique et mental opéré sur des hommes, femmes, et chiens, d’une ambition maîtrisée avec une habileté diabolique. Par lui, et par l’auteur, qui subjugue avec ce délice de perversité, de cynisme et d’érotisme chic
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L’Audacieux Monsieur Swift, de John Boyne, traduit de l’anglais (Irlande) par Sophie Aslanides (JC Lattès, 416 p., 15,99 €).