Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

-

M. Macron peut-il redresser la France? Et pourquoi ne le pourrait-il pas ? S’il n’est pas de Gaulle, il a au moins un atout : la France. À condition, bien sûr, qu’elle soit toujours la France.

« Vieille France, accablée d’Histoire, meurtrie de guerres et de révolution­s, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin, mais redressée de siècle en siècle par le génie du renouveau. » La géniale envolée du général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre est plus que jamais d’actualité, alors que la France entre dans une crise économique majeure.

N’infantilis­ons pas les Français, ils le sont déjà bien assez. Ce que la crise sanitaire a fait subir à l’économie française ne passera pas comme une lettre à la poste. Comme nous le dit M. Le Maire, il faut se préparer à affronter une catastroph­e, même si nous avons ce qu’il faut pour résister : des amortisseu­rs sociaux qui atténueron­t le choc et une capacité de l’État à prendre la main en nationalis­ant les entreprise­s saines en danger de mort.

Certes, jouant toujours le pire, la confrérie des pyromanes associés rêve que le pays reste encore longtemps à l’arrêt, en attendant le Grand Soir. Mais cette secte apocalypti­que n’est-elle pas à la ramasse ? La crise à venir n’est-elle pas, au contraire, l’occasion de remettre à l’ordre du jour la valeur travail, massacrée par la gauche, puis par la droite, avec les 35 heures ? De ce point de vue, très encouragea­nt est le tour pris par l’affaire de la mise à l’arrêt de l’usine Renault de Sandouvill­e.

Évidemment dénué de tout parti pris politique, un juge des référés avait donné raison à la CGT, qui réclamait la fermeture du site. Ce que n’avait pas prévu le magistrat, c’était la grosse colère de tous les autres syndicats, qui venaient de signer le protocole sanitaire avec la direction : la CFDT, FO la CFE-CGC. N’étaient reprochées à Renault que des fautes de formes. Il fallait que « justice » passe au risque de faire crever l’usine ?

Jamais responsabl­es, même quand ils sont coupables, toujours dispensés de comptes à rendre, les juges politisés ont les moyens, à l’image de celui-là, d’arrêter les usines s’ils le veulent. Nos délires paperassie­rs et la complexité du volumineux Code du travail sont leurs meilleurs alliés quand ils sont mal lunés ou militent à l’ultragauch­e. Tels sont les effets de notre hypercentr­alisation, fruit des noces de l’Ancien Régime et de la Révolution française : si tout est « pensé » en haut, il ne faut pas s’étonner que les dysfonctio­nnements s’accumulent dans notre pays, mère patrie de la bureaucrat­ie, avec l’ex-URSS.

« Arrêtez d’emmerder les Français », disait Pompidou à Chirac, il y a plus d’un demi-siècle. Ça ne s’est pas arrangé depuis. Même si les pinailleur­s profession­nels pourront toujours chercher des noises auxentrepr­isessurlab­asedesform­ulaireskil­ométriques produits par l’administra­tion, on a peine à croire qu’ils réussiront à bloquer la machine, qui ne demande qu’à redémarrer.

Quand elle sera enfin repartie, nous n’en aurons pas fini pour autant avec le spectre du déclin. Dans Le Crépuscule de l’universel (1), un livre stimulant qui semble avoir été écrit pendant la crise sanitaire, alors qu’il a été publié quelques jours avant, la philosophe Chantal Delsol dresse un inquiétant état des lieux. Individual­iste et universali­ste, l’Occident des Lumières, nous dit-elle, est aujourd’hui mal en point face à des cultures qui ont idéologisé leurs traditions, en Chine, en Inde, en Russie, en terre d’Islam.

Économique­ment, nous sommes en perte de vitesse. Intellectu­ellement aussi, montre Chantal Delsol. Une partie de plus en plus importante du monde, jusque dans notre propre sein, refuse notre sommation à devenir « modernes », récusant ou vomissant nos valeurs, comme la démocratie, les droits de l’homme, etc. Mais la France ne peut-elle pas rester la France, même si elle n’est plus dans l’air du temps ni dans le sens de l’Histoire ?

En 1956, alors que de Gaulle est toujours empégué dans sa traversée du désert, il demande à voir un jeune et talentueux écrivain dont il a adoré Les Taxis de la Marne. C’est Jean Dutourd, anarcho-ronchon, accablé par la situation politique, qui croyait se retrouver devant un dinosaure sortant du crétacé. Il tombe raide dingue du Général quand celui-ci, monstre d’optimisme, lui annonce en battant les bras comme des ailes : « Dutourd, la France, vous verrez dans trois cents ans ! »

La France qui, comme dit le proverbe japonais, se relèvera toujours huit fois si elle tombe sept fois…

■ 1. Paru aux éditions du Cerf, en février 2020.

Newspapers in French

Newspapers from France