Macron et Philippe : dans les secrets de leur confinement
Récit. Comment le couple exécutif a traversé les huit dernières semaines. Révélations.
Des tensions, quelles tensions ? Depuis qu’ont éclaté au grand jour les rumeurs d’une mésentente entre les deux têtes de l’exécutif, chacun des intéressés et son entourage respectif s’échinent à en déminer la portée. On ne va pas ajouter une crise politique au drame sanitaire et au désastre économique à venir. Silence dans les rangs ! Pourtant, à y regarder de près, même si Emmanuel Macron et Édouard Philippe font assaut d’amabilités républicaines, le confinement a viré à la cohabitation. Comment en est-on arrivé là ? Récit de deux mois cloîtrés au sommet de l’État.
Acte I – Les jours heureux
Des huîtres ! Si les Français savaient ! En découvrant sur la nappe nacrée le menu du dîner de la majorité en ce mercredi 4 mars, les convives ronchonnent un peu. Il ne faudrait pas que ça fuite… Dans le jardin d’hiver de l’Élysée, on phosphore sur la suite du quinquennat et les priorités politiques qui suivront la réforme des retraites, la dépendance, l’écologie, la présidentielle bien sûr. Tout est condensé là, dans ces réunions discrètes, de la relation entre Emmanuel Macron et Édouard Philippe. Même dans ce cercle d’initiés, ils continuent à se donner du « vous » et du très protocolaire « monsieur
le président » et « monsieur le Premier ministre ». Les invités ont repéré leur manège : les deux hommes se concertent avant d’entrer. « Souvent, on les voit sortir du même bureau », raconte l’un de ces visiteurs. C’est le chef de l’État qui ouvre les débats, avant que le chef du gouvernement ne détaille l’ordre du jour et ne cède la parole aux barons, le patron de l’Assemblée, Richard Ferrand, et François Bayrou, les premiers, toujours. Le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler intervient bon dernier, après avoir griffonné des notes toute la soirée en compulsant d’épais dossiers, pour livrer une analyse détaillée de l’état de l’opinion. Là seulement, un verre de whisky ou un ballon de cognac à la main, on desserre la cravate, on se détend un peu. Ce sont encore les jours heureux. Le Premier ministre s’autorise une imitation de Jacques Chirac. Le président, qui aime bien plaisanter, trait de caractère qu’on lui connaît peu, se marre. Exceptionnellement, il s’accorde même une cigarette – Brigitte n’est pas là. Philippe fume avec lui. « Et Philippe Grangeon tape des clopes à tout le monde ! » dit en souriant l’un des happy few. Parfois, un « tu » fuse. Car les deux chefs se tutoient, dans le secret de leurs tête-à-tête. Moments rares : ils ne sont pas deux dans cet attelage, mais quatre avec Alexis Kohler et le directeur de cabinet de Matignon, le redouté Benoît Ribadeau-Dumas. Tous les lundis, ces quatre quadras déjeunent dans le salon des portraits de l’Élysée. Au café, souvent, Macron rejoint son épouse qui grignote à côté un plat léger, quelques asperges.
Oh, personne n’est dupe ! Le Premier ministre sait bien que le président de la République
« Il n’existe pas assez, je fais tout ! » Emmanuel Macron
s’est remis à gamberger. Il songe à le remplacer. Depuis le débat sur les retraites, quelque chose entre eux s’est cassé. Macron a eu un mal fou à enterrer l’âge pivot. « Il a compris qu’il avait face à lui trois Ribadeau, celui-ci ayant marabouté Philippe et Kohler! Si le “PM” était battu au Havre, ça aiderait beaucoup… », murmure un macroniste. En ce début mars qui voit l’Italie entrer en quarantaine, le pas martial et pressé d’Édouard Philippe fait trembler les murs du premier étage de Matignon. « Je dois prendre 25 mauvaises décisions par jour!» râle-t-il, sombre comme jamais. Ribadeau-Dumas doit battre le rappel des amis et des fidèles pour lui remonter le moral : « Tu devrais l’appeler… » Édouard Philippe redoute la faute. Il veut être au rendez-vous de l’Histoire. Les ministres, dans leurs petits souliers, ont appris à repérer les mauvais jours, quand son regard se fait noir, ses phrases courtes et sa jambe agitée de tics impatients. Bavarde impénitente, Muriel Pénicaud se souvient de ce vol où il a coupé net la conversation en mettant ses oreillettes pour écouter de la musique : « Il est toujours comme ça ? » Avec Manuel Valls, qui a affronté aussi la mort en face dans cette fonction, il a évoqué les attentats qui ont endeuillé le pays durant le précédent quinquennat. Au moins, l’ennemi avait un visage.
Alors que la crise sanitaire s’emballe, il faut faire front uni au sommet de l’État. Le 12 mars, fait rare, Macron invite Philippe à l’Élysée pour préparer son allocution télévisée du soir. Il faut annuler en catastrophe le meeting du Havre. Frustrant. Dans le salon d’angle qui sert de bureau au chef de l’État, avec le stratège Philippe Grangeon, Alexis Kohler et son adjointe Anne de Bayser, on soupèse chaque mot. Dans la journée, un désaccord a surgi. Emmanuel Macron, alerté par François Bayrou, a failli différer les municipales. Philippe l’en a dissuadé, sachant que la droite allait crier au coup d’État. Jamais le Premier ministre, coriace, ne renonce à défendre son point de vue. Mais quand le président a tranché, il n’y revient plus. «À la fin, énonce-t-il, il n’y a qu’une seule ligne. » «Ils connaissent le manuel de survie de la Ve République, ils n’ont pas le droit de s’engueuler!» décrypte Patrick Mignola, le chef des députés MoDem. Deux jours plus tard, panique à bord, les portables crépitent à nouveau. À quelques heures de l’ouverture des bureaux de vote en métropole, Bayrou tente le tout pour le tout pour différer le scrutin. Le président hésite. Son Premier ministre tient bon : il faudrait convoquer un Conseil des ministres en pleine nuit ! Personne n’en a rien su. Ainsi va la relation entre le « PR » et le « PM », fondée sur un lien de subordination assumée. « De loyauté », corrigent les philippistes. Jamais il ne laisse filtrer de divergence, ni n’évoque leurs échanges. « Ses entretiens avec le président, c’est sacré », dit son ami Gilles Boyer. Il est un poème que Philippe affectionne entre tous : Le Mot, de Victor Hugo, sur les méfaits des bavardages. « Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites. Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes… » Ils sont si différents : l’un est romantique, solaire, disruptif et se rêve chevauchant des nuages ; l’autre rigoureux, ténébreux, centralisateur et n’aimant guère les textos. Ils ont un point commun : si le président affectionne le théâtre et les bars à vins, le Premier ministre aussi aime s’encanailler. Le 12 mars, lorsqu’il quitte l’Élysée, il file chez Lily Wang, table orientale chic avenue Duquesne dans le 7e arrondissement, avec son conseiller Thierry Solère et Sébastien Lecornu, ministre chargé des Collectivités territoriales. Deux copains pour de dernières agapes. Le virus, déjà, s’insinue au sommet de l’État. Matignon, à deux pas de l’Assemblée nationale, manque de devenir un cluster. Continuité de l’État oblige, il faut s’assurer que le Premier ministre n’a pas contracté le Covid-19. Un test PCR est pratiqué. Négatif. «Si je suis testé positif, je le dirai », promet-il alors. Le 17 mars, la France baisse le rideau. C’est la guerre, a dit le président.
Acte II – La jalousie
Puisque l’Élysée a préempté la figure de Clemenceau dans les tranchées, Édouard Philippe sera
Churchill. À chacun son style. Ceux qui savent sa passion pour les civilisations en déclin, de l’Histoire de la Rome antique par l’historien Lucien Jerphagnon à Effondrement de Jared Diamond, précurseur des collapsologues, ne sont guère surpris. L’écroulement, déjà. Tandis que le président se retranche derrière son conseil scientifique et ménage les Français en prenant soin de ne pas utiliser le terme de confinement – « J’avais peur que le mot soit mal compris », expliquera-t-il en petit comité –, le Premier ministre va au 20 Heures leur dire droit dans les yeux, « avec une grande tristesse mais aussi avec une très grande détermination », qu’ils ne pourront pas enterrer dignement leurs morts. Sans emphase, clinique, pédagogique. Les Français se résignent au sang et aux larmes. Chaque soir, ils zappent pour regarder Jérôme Salomon égrener le décompte macabre des victimes de la pandémie. Au gouvernement, on a trouvé un cruel surnom au directeur général de la santé : « le croquemort ». Voilà Philippe bombardé dans le rôle de l’homme qui dit la vérité, même quand elle fait mal. Invité en prime time, il excelle. En conférence de presse, il rassure. Un vent de « Doudoumania » flotte. « Quand il parle à la télé, on l’attend comme une série. On est content de le retrouver ! » se pâme un conseiller ministériel. À Matignon, où l’on est devenu control freak, la propagande de guerre bat son plein. Chaque interview du moindre secrétaire d’État est passée au tamis, les ministres sommés d’afficher une mine compassée, quand ils ne se font pas réprimander, et le cabinet de la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, devenue le symbole des mystifications de l’État sur la pénurie de masques, profondément remanié. Alors que les plaintes s’empilent à la Cour de justice de la République, le Premier ministre feint de rester de marbre. « Lorsqu’un militaire doit lâcher une bombe, si on lui explique qu’il va passer en cour martiale s’il rate son objectif d’un seul mètre, il va faire huit fois le tour ! Un haut fonctionnaire ne doit pas avoir la main qui tremble », lâche-t-il au petit déjeuner de la majorité. Emmanuel Macron l’a-t-il pris pour lui ? Dans la forteresse de l’Élysée, le président paraît flotter dans son costume de général en chef. Ses déplacements, décidés à la dernière minute, semblent étrangement décalés. À Mulhouse en chef des armées, équipé d’un masque FFP2 ; près d’Angers dans une usine de masques, en charlotte et surblouse ; en Seine-Saint-Denis, visite dont on ne retient qu’un bain de foule mal maîtrisé, sans masque ; incroyablement bronzé, dans une vidéo du 1er mai ; dans une école des Yvelines, avec un masque noir «grand public» qui intimide les enfants. Il veut tant rester « agile » face aux événements qu’il en devient imprévisible. Il est loin, le temps où il s’irritait de voir Philippe trop en retrait. « Il n’existe pas assez, je fais tout ! » C’était au pic de la révolte des Gilets jaunes. Le Premier ministre, chuchote désormais la macronie, est devenu encombrant.
Le lundi 13 avril, le président s’invite à la télévision. Cette date n’est pas un jour comme les autres chez les Macron. C’est l’anniversaire de la disparition de Manette, la grand-mère adorée. C’est aussi celui de Brigitte. Elle déteste qu’on le lui fête. Cette année plus que d’autres, si « tristounette » loin de ses petits-enfants. Devant les Français, le menton volontaire, Macron remet brutalement son fusible en tension, en mode « je décide, il exécute ». Le chef du gouvernement est sommé de livrer dans les quinze jours un plan pour rouvrir les écoles et déconfiner le pays le 11 mai. Pas une fois il ne le cite ni ne le remercie. Il le fera deux jours plus tard, dans le huis clos du Conseil des ministres. La macronie profonde n’attendait que le signal de ce pouce baissé. Les entourages passent à l’attaque. «Pour les détails du déconfinement, demandez au petit personnel de Matignon ! » s’esclaffe un fidèle du président. Lui-même, songeant à la suite de son quinquennat, s’en va répétant qu’il est résolu à changer de Premier ministre. Pendant le week-end, il a appelé Nicolas Sarkozy, confiné au cap Nègre
« Un haut fonctionnaire ne doit pas avoir la main qui tremble. » Édouard Philippe
■■■ (Var), la résidence familiale des Bruni-Tedeschi. « Il a testé des noms auprès de Nicolas, celui de Bruno Le Maire, comme il l’avait fait pour Jean-Michel Blanquer il y a deux ans », jure un sarkozyste. L’ancien président n’aime guère le ministre de l’Économie, dont il connaît les ambitions, et n’a jamais porté Édouard Philippe dans son coeur. Le jour du congrès fondateur de l’UMP, en 2002, ils avaient failli en venir aux mains. Jusqu’alors, il avait dissuadé Macron de le licencier : « Quand tu nommes ton Premier ministre, il te déteste au bout de six mois. Si tu le vires, il te déteste encore plus. Et le nouveau te déteste au bout de six mois aussi ! » Cette fois, il souffle à son jeune successeur d’autres scénarios. Les deux hommes raccrochent en se promettant de déjeuner dès le retour de l’ancien président à Paris.
Sabre au clair, à la mode villepiniste, Bruno Le Maire lance la campagne de Matignon. Son battage médiatique n’échappe à personne au gouvernement, où il a son fan-club. Bruno par-ci, Bruno par-là. Des ministres qu’il traite avec égards depuis des mois. « Il m’a reçu pour me donner des conseils, me demander ce que j’aimerais faire », souffle l’un. « Vous avez vu comme il parle bien anglais ? » vante un autre. Ceux que son charme laisse insensibles se délectent. Son compte Instagram, où il pose en blouson de cuir et présente Jackie, son cochon d’Inde, fait les délices des moqueurs. «On s’est marrés! Toi, mon coco, t’es en train de penser qu’il va y avoir un remaniement ! » se gausse un membre du gouvernement. En Conseil des ministres, un jour de grande envolée lyrique du hussard de Bercy, des ministres trahissent un sourire complice entre les deux têtes de l’exécutif… Matignon n’est pas dupe. Le Maire est proche du conseiller spécial du président, Philippe Grangeon, dont les relations sont notoirement difficiles, doux euphémisme, avec le directeur de cabinet du Premier ministre. « Ribadeau est un mec de droite autoritaire qui déteste la deuxième gauche version CFDT, d’où vient Grangeon. Ce sont des comptables qui comptent les malades, les masques, comme ils comptent la dépense publique », accuse un macroniste. Édouard Philippe traite tout cela avec le plus grand mépris, en citant Jacques Chirac : « Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre ! » L’heure est trop grave, les journées trop courtes. Quinze jours ! Lors de sa deuxième conférence de presse du 19 avril, il semble ailleurs, mal à l’aise. Aux Français, qui attendent vainement une annonce, il réclame deux semaines de plus, jusqu’au 3 mai, pour détailler son plan. La machine frôle la surchauffe. Trop de pression? En audioconférence, devant tous les directeurs de cabinet assemblés, Ribadeau malmène le bras droit du ministre de l’Éducation nationale, autre premier-ministrable. C’est la goutte d’eau. Le président n’est pas content: « Ils ont tapé Blanquer ! » On ne touche pas au favori. «Abus de pouvoir», lui murmurent des proches, convaincus que Ribadeau a un agenda caché et prépare Philippe pour la présidentielle. François Hollande n’avait-il pas adressé à Emmanuel Macron cette mise en garde le jour de la passation des pouvoirs dans le salon Doré : « Il paraît que tu vas nommer Édouard Philippe ? Tu n’as pas d’histoire personnelle avec lui, tu ne crois pas qu’il peut te trahir ? » « Ça n’arrivera jamais, il me devra tout », avait balayé le nouveau locataire. Réplique du sortant : « Si tu crois que ça suffit ! » Entre l’équipe de Matignon et celle de l’Élysée, la paranoïa et la défiance s’installent. L’une verrouille, l’autre desserre. L’une enferme les seniors, l’autre les libère. Jusqu’au brin de muguet du 1er mai qui devient l’objet d’un bras de fer. On se corrige, on se contredit, sous le regard médusé des Français.
Acte III – La crise
Vite, un Canadair ! Il faut faire chuter la température. Circonscrire le brasier. Au soir du dimanche 26 avril, le président décroche son téléphone. Il veut doucher l’incendie qu’il a lui-même contribué à allumer en soufflant le chaud et le froid. Il ne peut se permettre le luxe d’une crise politique en pleine catastrophe sanitaire. Il doit acheter du temps. « Ma responsabilité, martèle-t-il à l’autre bout du fil, c’est que le tandem marche. La période n’est pas à la popol ! Je suis attaché à ce qu’il n’y ait plus de dissonance gouvernementale et je veux ■■■
« Il paraît que tu vas nommer Édouard Philippe ? Tu n’as pas d’histoire personnelle avec lui, tu ne crois pas qu’il peut te trahir ? » François Hollande
tuer la petite musique d’une différence entre l’Élysée et Matignon. Il y a unité du couple exécutif. Entre Édouard et moi, il n’y a pas une feuille de papier à cigarette ! » L’on comprend qu’il n’est pas content de Bruno Le Maire. Il évoque aussi, au détour d’une question, le vote attendu deux jours plus tard à l’Assemblée sur le plan de déconfinement. Il a demandé au Premier ministre d’en accélérer la présentation. Il avait dit deux semaines, ce sera deux et pas trois. Obsédé par la crainte que le pays se fracture, il aurait préféré que la droite obtienne un jour de plus pour voter. Il ne sera pas dit qu’il aura rompu le premier la concorde nationale. C’est juridiquement complexe, il en convient. « Je suis pour que l’opposition puisse s’exprimer, dans cette période où on a besoin d’unité nationale. Il faut vingtquatre heures de plus, mais l’article 50-1 [de la Constitution, qui prévoit une déclaration du gouvernement suivie d’un vote, NDLR], c’est compliqué. Richard Ferrand va voir cela. » Fin de la conversation. À Matignon, en ce week-end de veillée d’armes, le Premier ministre est sur la même ligne, ou presque. Il est las des articles sur ses tensions avec le président, las des snipers qui lui tirent dans le dos. « Ils n’ont pas compris. Ils font ça depuis le début. Ils n’ont pas compris que ça ne marche pas comme ça », maugrée-t-il. Ils ? Tout ce que la macronie compte de premiers-ministrables, ministricules et autres élus qui rêvent de promotion. Édouard Philippe vit chaque rumeur comme une nouvelle tentative de déstabilisation. « Certains aimeraient sans doute que ça se passe mal », traduit l’eurodéputé Gilles Boyer. Il veut les mettre au pas, contraindre les frondeurs qui menacent de faire sécession en créant leur propre groupe à voter le plan de réouverture du pays, qu’il voit comme un discours de politique générale censé le consacrer, par un vote clair, en chef incontesté d’une majorité réconciliée. Installé devant son ordinateur en bras de chemise, il rédige son intervention, avec, posé devant lui, son sabre de lieutenant d’artillerie, qui lui a été offert par son grand-père, lui-même artilleur. L’image, postée sur Instagram, sonne comme un avertissement.
Las, le climat est si inflammable qu’on ne retient que leur différence d’approche sur le vote. La moindre étincelle met le feu à la plaine. Le pompier président se transforme en pyromane, sur fond de SMS, jurant ses grands dieux qu’il ne les a jamais envoyés à des journalistes. L’opération apaisement est un fiasco. « Comme dans un couple quand ça part en vrille, il suffit d’une broutille du genre: “t’as pas fait la vaisselle” pour que ça pète », philosophe un conseiller du pouvoir. À des proches qui s’inquiètent, Macron promet par texto de cajoler Philippe. « Je n’aurai aucune complaisance à l’égard de ceux qui, par des bruits et des rumeurs, tentent de diviser le gouvernement et singulièrement le Premier ministre et le président de la République ! » tempête-t-il, courroucé, au Conseil des ministres. Dans la pièce, la mine déconfite de Le Maire n’échappe à personne. Le off présidentiel est-il arrivé jusqu’à lui ? «Il faisait une gueule ! Il devait savoir que l’affaire n’allait pas se faire », spécule l’un de ses collègues du gouvernement. Au perchoir de l’Assemblée, Édouard Philippe est tendu comme un arc, rattrapé par la fatigue, le visage émacié. Il a beau pratiquer la boxe, il peine à encaisser les coups. Il prend une longue minute pour avaler un verre d’eau avant de se jeter dans le ring. Qui sait ? C’est peut-être son dernier combat. Le discours est aride. Mais quel vote ! Les Républicains, son ancienne famille, sont KO debout. En quittant l’hémicycle, il est comme dopé. Toute la nuit, il remâche une de ces répliques chirurgicales dont il a le secret. Le lendemain, aux questions d’actualité, il secoue le chef des députés LR Damien Abad : « Vous avez hier indiqué que gouverner, c’était décider… avant que la moitié de votre groupe ne préfère s’abstenir ! » « Ah, ça ne sert à rien, mais ça fait du bien ! » s’exclame l’hôte de Matignon en regagnant ses bureaux à pied, le pas léger. Des deux côtés de la Seine, les entourages sont priés de ranger les gants de boxe et les épées. Sitôt après le déconfinement, des déjeuners de presse communs Élysée-Matignon sont programmés avec Grangeon et Solère en symbole d’unité. Au sommet de l’État, les dîners politiques ont repris, le 6 mai, pour accorder les violons. Le président, à la veille du déconfinement, a renoncé à s’adresser au pays, comme il l’avait envisagé, pour ne pas en rajouter. Cela suffira-t-il ? Pour les Français, qui ont passé deux mois sur leur canapé devant la télévision, l’affaire du divorce du couple exécutif est devenue un feuilleton haletant, où tout n’est plus vu qu’à l’aune de la séparation annoncée. Philippe fêtera-t-il ses 50 ans, le 28 novembre, à Matignon ou à la mairie du Havre ? Nul ne le sait, pas même le chef de l’État. Le coronavirus est le nouveau maître des horloges ■
« Ma responsabilité, c’est que le tandem marche. La période n’est pas à la popol !
» Emmanuel Macron