Le Point

1871, 1919, 1945… et 2020 ? Comment la France s’est relevée

1871, 1919, 1945… et 2020 ? À plusieurs reprises dans son histoire, notre pays a dû surmonter un désastre humain et économique. Il a eu à choisir entre une simple reconstruc­tion et la modernisat­ion. Enquête.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Le 4 décembre 1945, Jean Monnet adresse une note confidenti­elle au général de Gaulle, alors président du Conseil. Celle-ci lui décrit l’urgence de la situation : il est nécessaire d’aller très vite si l’on ne veut pas que la France soit réduite à jamais au rang de petite nation. La priorité est clairement désignée par le futur commissair­e au Plan : le caractère archaïque des méthodes de production. Il s’ensuit un bilan détaillé des capacités françaises et des propositio­ns pour les années à venir. Emmanuel Macron a évidemment reçu des monceaux de rapports, eux aussi confidenti­els, qui listent et chiffrent ce que l’on doit déjà appeler l’effort de reconstruc­tion. Une estimation des dégâts préalable à un train de mesures.

Voilà une épreuve que la France a déjà affrontée à quatre reprises. À chaque fois après un conflit, perdu ou gagné. Même si un droit à des réparation­s pour dommages de guerre a été reconnu par une première loi sous la Révolution, en 1793, il n’a pratiqueme­nt pas été appliqué en 1815, après Waterloo et le désastre napoléonie­n. Seule une aide gracieuse de 10 millions a été prélevée sur la liste civile du roi. Un geste charitable.

Passons sur cette Restaurati­on où le redresseme­nt fut d’abord moral, selon son spécialist­e, Emmanuel de Waresquiel : « La “France des larmes” prôna l’oubli en jetant un nuage d’encens sur les “crimes” de la Révolution. » Mais elle fut aussi l’occasion d’une tentative inédite d’un libéralism­e à la française, politique et économique.

La première vraie reconstruc­tion économique est celle qui s’imposa après la guerre perdue contre la Prusse, en 1871. Une indemnité de 5 milliards de francs or à verser aux Allemands, six départemen­ts occupés jusqu’en 1874 en gage de paiement, la perte de l’Alsace-Lorraine, des dommages de guerre estimés à près de 1 milliard. La note était lourde. Pourtant, le pays fait preuve d’une incroyable capacité de rebond. Comme le précise Hélène Lewandowsk­i, autrice de La Face cachée de la Commune (Cerf), « lorsque l’État lance un emprunt de 2 milliards en 1871 et de 3 milliards en 1872, le nombre des souscripti­ons explose». Mieux: en une seule journée, on récolte 3 milliards et demi ! Bel élan de solidarité ! C’est donc aux citoyens de mettre la main à la poche.

« Débrouille­z-vous ». À cette époque, malgré une loi votée en septembre 1871, l’État se déclare encore irresponsa­ble juridiquem­ent envers les particulie­rs sinistrés par faits de guerre. Aide-toi, le ciel t’aidera ! La doctrine est donnée par le président du Conseil Adolphe Thiers, défenseur « des intérêts de l’État, qui lui aussi a beaucoup souffert et mérite des ménagement­s ». L’État, après débats au Parlement, consentira toutefois à quelques « enveloppes forfaitair­es » distribuée­s aux départemen­ts les plus touchés. « Mais Paris ne s’en mêle pas. “Débrouille­z-vous”, dit le gouverneme­nt à ces départemen­ts », commente Hélène Lewandowsk­i. Il verse cependant 140 millions à la ville de Paris, doublement affaiblie par la guerre, la Commune et sa répression, et par les 200 millions qu’elle a dû verser à l’Allemagne pour l’avoir contrainte à un siège. Là aussi, la réactivité de la puissance économique de la France est sidérante. L’emprunt de 350 millions de la capitale est couvert 15 fois ! « On est frappé par la volonté de rebâtir au plus vite : on veut

En 1871, la réactivité sidérante des citoyens traduit la puissance économique de la France.

montrer aux Allemands, mais aussi aux rivaux anglais, qu’on n’a pas été touché, qu’on est encore les meilleurs. » L’organisati­on de l’Exposition universell­e, prévue en 1878, sera aussi un aiguillon, comme pourraient l’être du reste les JO de Paris, programmés en 2024. Un débat surgit au Parlement, promis à une belle postérité : les départemen­ts de province réclament un meilleur partage de l’argent avec Paris, soupçonnée de le confisquer. On songe même à décapitali­ser la ville.De cette période, il nous reste un bel héritage : nos écoles communales. Si la France a perdu la guerre face à l’Allemagne, c’est parce que les Français avaient perdu auparavant la bataille de l’éducation. Des milliers d’écoles, identiques, surgissent dans le paysage.

En 1918, la musique n’est plus la même. Dès 1914, la bataille de la Marne, au départ mal engagée mais finalement remportée, a permis de constater, après la retraite des troupes allemandes, les ravages du territoire libéré. On comprend quelles seront, au vu des

En 1919, les seuls remèdes ont pour noms planche à billets, donc inflation, et endettemen­t.

nouvelles armes de destructio­n utilisées, les dévastatio­ns d’un conflit appelé à durer. Dès l’automne, un député de l’Est est à l’origine d’une propositio­n de loi prévoyant que l’État prendra en charge les dommages causés par la guerre. Mais, du principe à la chose, il y a un gouffre. Il faut attendre 1916 pour que voie le jour un comité interminis­tériel pour la « reconstitu­tion des régions envahies ». Et c’est seulement en novembre 1917, à l’arrivée de Clemenceau au pouvoir, qu’est créé un ministère des Régions libérées. On évoque avec assurance le paiement des dommages et, après l’armistice, le 17 avril 1919, une loi fondamenta­le, dite « Charte des sinistrés », est votée : elle stipule que « chaque individu pourra déclarer ses pertes matérielle­s ».

« Si l’État est si certain de pouvoir rembourser, explique l’historien Jean-Yves Le Naour, auteur de Sortir de la Guerre, 1919-1921 (Perrin, 2020), c’est parce qu’on est persuadé que les Allemands paieront. » Or, ils ne paieront pas. Ou une misère : 10 milliards échelonnés au cours des années 1920. Comment rembourser alors que la France a perdu 10 % de sa main-d’oeuvre, 25 % de son potentiel industriel, 3,5 millions d’hectares cultivable­s, 500 000 maisons, 500 gares, que les Allemands, avant de se retirer, ont inondées de mines, comme ils ont fait sauter les ponts et coupé les arbres fruitiers ? C’est à cette époque que naît l’expression « l’enfer du

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1871, 1919, 1945… et 2020 ? Comment la France s’est relevée
 ??  ?? Espoir. Le général de Gaulle à SaintNazai­re, en juillet 1945. Bombardée, comme Royan, Caen, Dunkerque ou Brest, la ville portuaire bénéficier­a d’un plan de reconstruc­tion moderniste.
Espoir. Le général de Gaulle à SaintNazai­re, en juillet 1945. Bombardée, comme Royan, Caen, Dunkerque ou Brest, la ville portuaire bénéficier­a d’un plan de reconstruc­tion moderniste.
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 ??  ?? Cicatrices. Les chantiers de l’hôtel de ville de Paris (à g.) et de la colonne Vendôme (à d.), après leur destructio­n par les communards, en 1871.
Cicatrices. Les chantiers de l’hôtel de ville de Paris (à g.) et de la colonne Vendôme (à d.), après leur destructio­n par les communards, en 1871.
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 ??  ?? Orgueil. La une de « L’Éclipse », le 9 juillet 1871. La France, en montrant la force du grand emprunt, veut prouver aux Allemands qu’elle est encore la meilleure.
Orgueil. La une de « L’Éclipse », le 9 juillet 1871. La France, en montrant la force du grand emprunt, veut prouver aux Allemands qu’elle est encore la meilleure.
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