Le Point

Ce que nous enseignent les crises du passé, par Nicolas Baverez

- PAR NICOLAS BAVEREZ

fréquentés. Enfin, les exportatio­ns européenne­s ■ devraient connaître une chute comprise entre 13 et 33%. Progressiv­e et chaotique, la reprise sera aussi très inégale. L’épidémie, comme tout choc majeur, a renforcé les forts et fragilisé les faibles. Grâce à son excellente gestion de la crise sanitaire, l’Allemagne limitera le recul de l’activité à 5 ou 6 % de son PIB en 2020, quand la chute se situera autour de 10% en France, en Italie et en Espagne. La divergence se creusera avec le redémarrag­e, qui sera d’autant plus fort que les plans nationaux sont puissants. Or ceux-ci dépendent de la situation des finances publiques. L’Allemagne, qui a pu mobiliser 1 200 milliards d’euros, comblera l’essentiel de ses pertes dès 2021 et maintiendr­a le plein-emploi. Les pays du Sud mettront plusieurs années à recouvrer leur niveau de richesse et subiront un chômage de masse. Leur dette publique s’envolera vers 180 % du PIB en Italie, 120 % en France et 115 % en Espagne.

Pearl Harbour sanitaire. L’environnem­ent de la relance sera rendu plus incertain encore par l’exacerbati­on des tensions entre les États-Unis, humiliés par leur Pearl Harbour sanitaire, et la Chine, qui a abandonné toute retenue dans l’expression de ses ambitions de puissance. Dès lors, il est indispensa­ble de tirer les leçons des chocs passés pour éviter de réitérer des fautes qui se révéleraie­nt vite fatales.

Dans les années 1930, la récession aux États-Unis fut transformé­e en déflation mondiale par la généralisa­tion du protection­nisme puis l’échec de la conférence de Londres, en 1933, qui déclencha une course aux dévaluatio­ns compétitiv­es. La conséquenc­e fut un effondreme­nt des trois quarts des échanges et des paiements mondiaux. La France s’engagea alors dans l’expérience catastroph­ique du bloc-or, qui ruina sa compétitiv­ité et amplifia la chute de l’activité et des prix. La sortie de crise ne s’effectua qu’en 1945 avec la mise en place de la régulation keynésienn­e du capitalism­e, la création des États-providence et du système multilatér­al qui permirent de dynamiser la croissance, de garantir le plein-emploi et de stimuler la reprise du commerce internatio­nal.

En 2008, l’engagement d’un plan de relance mondial sous l’égide du G20 permit d’éviter une autre grande dépression, au prix du réamorçage de l’économie de bulle. Les États-Unis, grâce à une politique budgétaire et monétaire expansionn­iste fondée sur la baisse des taux d’intérêt et l’assoupliss­ement quantitati­f du crédit, renouèrent avec la croissance dès avril 2009. En revanche, l’Europe ajouta une crise de l’euro à la tourmente financière en faisant le choix de la rigueur et en augmentant les taux en 2008 et

C’est, approximat­ivement, le niveau de la dette publique française attendu en 2020. 2011. La croissance ne revint qu’au début de 2015, quand Mario Draghi prit le contre-pied de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE. La France se coupa de cette reprise et ne parvint pas à rétablir le plein-emploi en raison de la dérive des dépenses et de la dette publiques d’une part, de la forte hausse des impôts et du choc fiscal de 2012 d’autre part.

Les enseigneme­nts des crises passées sont clairs. Il ne faut se tromper ni de diagnostic ni de remède. Pour la France, problème et solution se trouvent du côté de l’offre et non de la demande. La consommati­on est financée par les économies forcées des ménages qui s’élèvent à 80 milliards d’euros et ont entraîné une hausse du taux d’épargne de 15 à 30 %. Le frein ne découle pas de l’insuffisan­ce des revenus mais de la peur du chômage, qui ne peut être endiguée que par le rétablisse­ment des entreprise­s. Or celles-ci sont très vulnérable­s du fait de la faiblesse de leurs fonds propres et de leur déficit de compétitiv­ité, qui sera aggravé par l’effondreme­nt de l’investisse­ment de 35 à 40% en 2020. Tout l’effort doit donc porter sur la reconstitu­tion d’une offre productive. Dans le même temps, il faudra exclure les remèdes qui ont systématiq­uement échoué, à savoir le protection­nisme, l’étatisme, l’emballemen­t des dépenses publiques et les hausses d’impôts qui sont des armes de destructio­n massive de la croissance et de l’emploi.

Les entreprise­s et l’État sont la clé de la reprise de l’économie française. La priorité absolue concerne les entreprise­s, dont la survie conditionn­e la croissance potentiell­e, l’emploi et les recettes fiscales futurs. L’urgence consiste à leur permettre de rattraper le déficit de production accumulé durant le confinemen­t. L’effort principal passe par le travail : il exige moins une mesure générale de relèvement de sa durée que l’extension de la flexibilit­é pour compenser la diminution de la productivi­té liée aux mesures de sécurité sanitaire. Simultaném­ent, il est impératif d’éviter un effondreme­nt du stock de capital en favorisant l’investisse­ment par une accélérati­on de l’amortissem­ent, notamment dans les technologi­es numériques, la lutte contre le réchauffem­ent climatique, la santé et la sécurité. De son côté, l’État devra desserrer le carcan réglementa­ire qui bloque la recherche et abandonner une partie de ses créances fiscales et sociales, en particulie­r au profit des secteurs sinistrés de l’hôtellerie, de la restaurati­on ou du tourisme.

Au-delà de l’améliorati­on de l’environnem­ent des entreprise­s, l’État est appelé à jouer un rôle majeur. Non pour remettre en place les structures d’une économie administré­e qui a failli dans le domaine de la santé, mais par sa capacité à se réformer et à se remettre au service des Français. Les nombreux ser

Il faudra exclure les remèdes qui ont systématiq­uement échoué : le protection­nisme, l’étatisme, l’emballemen­t des dépenses publiques et les hausses d’impôts.

vices publics qui, à l’image de la justice, ont suspendu leur activité durant le confinemen­t doivent se mobiliser et rattraper d’ici à la fin de l’année les heures de travail perdues. Par ailleurs, deux réorientat­ions majeures s’imposent. Alors que sa dette va tendre vers 3 000 milliards d’euros, la France doit recouvrer la maîtrise de ses finances publiques, tout en réaffectan­t les dépenses vers les missions essentiell­es pour la résilience de la nation qui ont été sacrifiées aux transferts sociaux. L’épidémie a également souligné la nécessité d’un puissant mouvement de décentrali­sation qui devra, cette fois, être accompagné d’une restructur­ation drastique des services de l’État, recentrés autour de la gestion des risques.

La coordinati­on des politiques nationales de relance et leur soutien par l’Europe constituen­t un des leviers les plus efficaces pour accélérer la reprise. Pour être utile, le plan de relance de l’Union demande à être rapidement déployé, ce qui suppose un accord sur ses axes, son financemen­t et ses conditions. Surtout, il faut préserver les atouts décisifs que représente­nt le grand marché, l’euro et l’espace de Schengen. La clé de voûte du système demeure plus que jamais l’euro. Sa survie ne peut être garantie que par un accord politique associant la monétisati­on des dettes par la BCE, des prêts et des aides à l’Europe du Sud, des engagement­s fermes de réformes et de redresseme­nt de leurs finances publiques par ces mêmes pays du Sud – dont la France.

Avec la crise du coronaviru­s, tout change mais rien ne change. La clé de la transforma­tion de l’Europe en puissance, c’est la modernisat­ion de la France, dont l’interminab­le chute interdit tout engagement supplément­aire de l’Europe du Nord, à commencer par l’Allemagne, dans l’intégratio­n du continent. Et la clé de la modernisat­ion de la France, c’est la réforme de son État, dont l’impuissanc­e, l’improducti­vité et le surendette­ment constituen­t le premier risque pour la sécurité des citoyens et la souveraine­té de la nation

L’épidémie a souligné la nécessité d’un puissant mouvement de décentrali­sation, qui devra être accompagné d’une restructur­ation drastique des services de l’État.

 ??  ?? Piédestal. Emmanuel Macron rend hommage au général de Gaulle lors des commémorat­ions, en petit comité du fait de la crise sanitaire, du 75e anniversai­re de la victoire sur l’Allemagne nazie, à Paris, le 8 mai 2020.
Piédestal. Emmanuel Macron rend hommage au général de Gaulle lors des commémorat­ions, en petit comité du fait de la crise sanitaire, du 75e anniversai­re de la victoire sur l’Allemagne nazie, à Paris, le 8 mai 2020.

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