Le Point

Ryan Murphy, roi de « Hollywood »

Netflix lui a offert 300 millions de dollars pour cinq ans de contenus exclusifs. Mais qui est donc ce showrunner adulé, créateur des séries Nip/Tuck et Glee ?

- PAR FLORENCE COLOMBANI

On l’a comparé à John Waters, l’auteur de provocatio­ns infusées au LSD et aux hormones, ou à Pedro Almodovar période sexe, drogue et movida. On a qualifié son esthétique de camp, ce motvalise qui signifie à la fois efféminé, maniéré, grandiloqu­ent… Et on l’a vu au Met Gala, grandmesse de la mode orchestrée par Anna Wintour, parader dans une somptueuse cape à collerette brodée de perles. Pourtant, Ryan Murphy – le créateur de Nip/Tuck, Glee, American Horror Story, Pose et on en passe – n’a plus rien, aujourd’hui, d’une figure de la contre-culture. Côté vie privée, il mène une existence très sage auprès de son mari, David Miller, et de leurs deux fils, dont Ford (5 ans), récemment guéri d’un cancer. Et, côté profession­nel, il faut, pour comprendre son importance, se référer à ces patrons de grands studios des années 1940 et 1950 qui pilotaient de véritables fabriques d’images et influençai­ent ainsi les goûts, les rêves et même la représenta­tion du monde de milliards de spectateur­s.

Comme ces figures d’un autre temps, le fringant quinquagén­aire aux cheveux peroxydés produit de la fiction à grande échelle – en moyenne trois ou quatre séries d’une dizaine d’épisodes par an – en veillant sur une écurie d’acteurs récurrents, et son style flamboyant influe sur tout ce qui se fait dans l’industrie. En février 2018, il a signé un contrat record, le plus élevé de l’histoire de Netflix : 300 millions de dollars pour cinq ans de contenus exclusifs. Or voici que – après The Politician, en septembre dernier – débarque sa deuxième série pour la plateforme, Hollywood, une fresque ambitieuse qui réinvente les années 1950 dans la cité des anges, en ligne à partir du 1er mai.

Hollywood met justement en scène cette époque dite de l’âge d’or, avant que la télévision ne change la donne et n’éloigne les foules du grand écran. Dans la belle séquence de générique, les héros de l’histoire – une poignée d’aspirants acteurs, scénariste­s et réalisateu­rs – escaladent les lettres géantes du fameux « Hollywood » qui s’épellent sur une colline de Los Angeles. Difficile de ne pas y voir une métaphore : comme ses personnage­s, Ryan Murphy est arrivé de nulle part (l’Indiana) avec 5 dollars en poche et une identité gay difficile à assumer ; son improbable ascension l’a mené au sommet.

Joueurs de foot en collants. Enfant, Murphy – élevé dans une famille catholique très croyante et battu par son père, qui ne supportait pas sa différence – rêvait d’être pape : « Si je ne peux pas être au top, quel intérêt ? » expliquera-t-il plus tard au New Yorker. Et pourtant, comme toute success-story, la sienne commence par un échec : en 1999, Popular, sa première série, une comédie sur des lycéens, ne trouve pas son public. Quatre ans plus tard, il invente Nip/Tuck. La série, mélange habile de comédie très noire et de drame, a pour cadre un cabinet de chirurgie esthétique et déploie une vision du monde d’un cynisme assumé, où l’apparence physique l’emporte sur tout le reste. La série est un temps la plus regardée d’Amérique. Mais il faut attendre Glee, en 2009, pour que Ryan Murphy devienne une star incontesté­e du métier. Cette comédie musicale située dans un lycée subvertit tous les codes du genre : les gamins les plus mal dans leur peau sont mis sur le devant de la scène, on parle librement d’avortement et d’homosexual­ité, et l’image de joueurs de football américain dansant en collants sur un tube de Beyoncé s’inscrit durablemen­t dans les mémoires. Après Glee, les séries pour adolescent­s ne seront plus jamais les mêmes.

C’est donc au début des années 2010 que le nom de Ryan Murphy devient célèbre. Mais il reste difficile à cerner. Glee a des couleurs éclatantes et une pléiade de jeunes acteurs survitamin­és ? Place à American Horror Story avec son univers gothique, ses grandes actrices d’un certain âge (Jessica Lange, Kathy Bates) et ses références à L’Exorciste. Le succès de la série l’ancre du côté de la série B ? Le revoici dans le drame de prestige avec American Crime Story, une anthologie dont chaque saison est consacrée à une histoire vraie – le procès d’O. J. Simpson, l’assassinat de Gianni Versace et bientôt l’affaire ClintonLew­insky. Autant dire que Ryan Murphy n’est jamais exactement où on l’attend.

Restent quelques points communs à ces créations si variées : une esthétique baroque, un tempéramen­t subversif et un mauvais goût très sûr. Provocateu­r dans l’âme, le showrunner est aussi un homme d’affaires avisé. Il a mis en scène, ces dernières années, une nonne possédée faisant un strip-tease devant un crucifix (American Horror Story) ou encore un employé de la Trump Tower qui s’éprend d’une prostituée trans (Pose). Le héros de Hollywood est un jeune acteur qui, au bout des quinze premières minutes, embrasse déjà avec enthousias­me la profession de gigolo. Et, dès le troisième épisode, certains personnage­s se retrouvent dans l’une des fameuses orgies gays que donnait le réalisateu­r George Cukor autour de sa piscine.

Mais cette nouvelle série apparaît surtout comme un véritable autoportra­it. Dans le deuxième épisode, un jeune réalisateu­r explique qu’il aspire à changer le cinéma pour mieux changer le monde : si l’écran reflète la diversité sexuelle et ethnique de la population, alors la tolérance envers la différence devrait progresser… Dans ce Hollywood alternatif, Rock Hudson assume son homosexual­ité, une star chinoise trouve de grands rôles et un scénariste noir est fêté par les studios. Ryan Murphy réinvente l’âge d’or hollywoodi­en à son image : l’enfant qui rêvait d’être pape a désormais le pouvoir de réécrire l’Histoire. Et de changer le monde à sa convenance

« Si je ne peux pas être au top, quel intérêt ? » Ryan Murphy, au « New Yorker ».

 ??  ?? Diva. Ryan Murphy, dans sa somptueuse cape brodée, au Met Gala, à New York, le 6 mai 2019.
Diva. Ryan Murphy, dans sa somptueuse cape brodée, au Met Gala, à New York, le 6 mai 2019.

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