Le Point

Médoc 2005, année fantastiqu­e

« Et si c’était, de tous les temps, le plus grand millésime de Bordeaux ? » se demandait Le Point en 2006. Retour sur « L’année incomparab­le. »

- PAR JACQUES DUPONT

Nous n’étions pas les seuls à qualifier ainsi ce millésime. Lucien Guillemet, propriétai­re discret de Boyd-Cantenac, oenologue, naguère conseiller de plusieurs domaines avant de revenir à la propriété familiale, dressait ce constat : « On a sans doute par le passé connu des années semblables, mais on n’avait pas la maîtrise technique d’aujourd’hui, c’est ce qui me fait dire que 2005 est peut-être le meilleur millésime qui ait jamais existé. »

En janvier, alors que le coronaviru­s n’était même pas baptisé «Covid-19», nous avons eu envie de revoir ces vins à l’âge adulte ou presque. Quinze ans pour un grand cru dans un grand millésime, c’est à peine la maturité. En 2006, quand nous avions dégusté l’ensemble des vins de Bordeaux, il nous avait paru que le médoc, et notamment ses grands crus classés en 1855, possédait un léger avantage : fraîcheur, complexité, et surtout le maître mot qui définit un grand vin, équilibre. En clair, l’harmonie entre alcool, densité, acidité : le trépied de base.

Sur les soixante crus classés du Médoc, six n’ont pas répondu à l’appel. Certains parce qu’ils ne sont pas satisfaits de leur vin, d’autres parce que la propriété a depuis changé de main, d’autres encore pour des raisons qui les regardent… Nous avons éliminé un vin qui nous a semblé défectueux. Soixante moins sept, restent cinquante-trois vins remarquabl­es. Par rapport à notre dégustatio­n de 2006 « en primeur », c’est-à-dire opérée sur des vins en cours d’élevage, les notes de 2020 sont en moyenne un peu plus élevées, malgré quelques crus encore fermés et qu’il convient d’attendre. Mais la tendance générale se résume à une confirmati­on : 2005 est bel et bien un très grand millésime même si, depuis, on a vu passer 2010, 2016 ou 2018. Nous verrons comment ils évoluent. Parviendro­nt-ils à le surpasser? La qualité suprême, ce qui différenci­e un très bon vin d’un très grand, ce n’est pas la puissance mais la subtilité, et de ce point de vue 2005 sera difficile à détrôner

Plusieurs facteurs ont joué en faveur du médoc cette année. D’abord, contrairem­ent à 2003, il n’y a pas eu de rupture dans la maturité. La sécheresse, installée très tôt, a permis à la plante d’anticiper. Les racines profondes dans les sols de graves ont continué d’alimenter la vigne. La maturité a seulement été ralentie : une maturité longue donne des cabernets de très grande qualité. La domination du cabernet sur le territoire du Médoc est aussi un facteur positif cette année. Il a pu mûrir tranquille­ment et apporte au vin des tanins d’une extrême finesse. Moins généreux en alcool que le merlot, il a été déterminan­t dans l’équilibre des vins. Rarement en Médoc cette année les degrés dépassent 13,5°. Alors qu’il n’est pas rare de trouver des saint-émilions ou des pomerols au-delà de 14°. Cependant, toutes les appellatio­ns n’ont pas été logées à la même enseigne. Le nord Médoc a bénéficié de quelques pluies fin juillet et début septembre qui ont soulagé la plante et autorisé une récolte quasi normale. En revanche, plus on descend vers le sud et plus les rendements s’appauvriss­ent. Margaux, l’appellatio­n sans doute la plus homogène cette année, est aussi celle qui a le moins récolté. Sans que ces deux facteurs soient d’ailleurs liés : encore une fois, cette année, ce ne sont pas les domaines qui ont récolté le moins qui présentent les vins les mieux équilibrés. Les grands vins sont plutôt à rechercher chez ceux qui ont su extraire juste ce qu’il fallait de tanins, et pas plus.

 ??  ?? Le domaine du Château Baron Pichon-Longuevill­e, à Pauillac.
Le domaine du Château Baron Pichon-Longuevill­e, à Pauillac.

Newspapers in French

Newspapers from France