Le Point

La France doit se réinventer

Notre pays risque de sortir déclassé de la crise du Covid-19. Un plan de relance ne suffira pas à le redresser.

- Par Nicolas Baverez

L’épidémie de coronaviru­s constitue pour nous une rupture historique. Et le déconfinem­ent va faire la vérité sur la catastroph­e. En France, le recul du PIB, qui a atteint 5,8 % au cours du premier trimestre 2020, est le plus important en Europe, notamment du fait de l’effondreme­nt de l’activité dans l’industrie, qui n’a fonctionné qu’à 63 % de sa capacité. La chute de la production s’amplifiera pour s’élever à 25 % au premier semestre, en raison du caractère rigide du confinemen­t, du flou entretenu sur les conditions sanitaires de travail et de la générosité du régime de chômage partiel. Notre modèle économique fondé sur la consommati­on comme notre structure productive, où l’aéronautiq­ue, l’automobile et le tourisme jouent un rôle clé, sont touchés de plein fouet. Enfin, notre économie est entrée très affaiblie dans cette crise après le mouvement des Gilets jaunes et les grèves contre la réforme des retraites. Les entreprise­s ne disposaien­t que de fonds propres très limités ; le déficit et la dette publics culminaien­t à 3 % et 100 % du PIB fin 2019. L’année 2020 s’achèvera avec une chute du PIB de 11 à 12 %, une remontée du chômage autour de 10,5 à 12 % de la population active, un déficit et une dette publics de 15 % et de 120 % du PIB.

Surtout, le décrochage sera durable car la disparitio­n de très nombreuses entreprise­s, en particulie­r dans le commerce, l’artisanat et l’hôtellerie-restaurati­on, ainsi que l’installati­on d’un chômage structurel amputeront la croissance potentiell­e. La France ne retrouvera donc pas son niveau de richesse de 2019 avant 2023, au mieux. La diminution durable de la production, la forte contractio­n du secteur privé, qui ne représenta­it plus que 44 % du PIB, et le retour du chômage permanent entraînero­nt une baisse du niveau de vie pendant plusieurs années. Elle est indissocia­ble d’une montée de la pauvreté et des inégalités. La gestion calamiteus­e de l’épidémie par les pouvoirs publics, qui se prolonge avec la pénurie persistant­e de tests et le projet mort-né d’applicatio­n numérique, a créé une défiance inédite des Français envers leurs dirigeants. Simultaném­ent, le « juin 1940 » de la santé a délégitimé un État autoritair­e et centralisé, inefficace et déconnecté des réalités. Ce discrédit freinera la relance et, s’ajoutant à la crise économique et sociale, ouvrira un espace aux populistes dans la perspectiv­e de 2022.

La France sortira de l’épidémie déclassée. Au sein de l’Europe et de la zone euro, elle est désormais un pays du Sud dont le recul de la production et l’emballemen­t de la dette menacent la survie de la monnaie unique. Son incapacité à maîtriser l’épidémie compromet ses ambitions à peser comme puissance. Le cas de la France relève aujourd’hui moins d’une stratégie de relance que d’un projet de reconstruc­tion. Il reste indispensa­ble de mobiliser toutes les forces du pays, à commencer par le travail, pour limiter d’ici à la fin de l’année l’énorme déficit de production. Mais notre pays doit surtout, comme en 1945, se remettre en question pour inventer un modèle qui lui soit propre et qui assure sa prospérité et sa liberté dans un XXIe siècle dominé par les risques globaux. Il nous faut reconstrui­re notre économie autour de la production et non de la consommati­on, de l’innovation et non de la rente. Il nous faut reconstrui­re notre État autour de la capacité à gérer les crises et non à dépenser. Il nous faut reconstrui­re une communauté de citoyens autour de l’éducation et du civisme et non de la quête de fonds et de privilèges publics. Il nous faut reconstrui­re l’Europe comme puissance dans un monde où la liberté est menacée et où les démocratie­s ne bénéficien­t plus de la réassuranc­e des États-Unis. Il existe cependant une différence majeure avec l’après-Seconde Guerre mondiale : ce n’est plus l’État qui peut piloter la reconstruc­tion de la France, c'est aux Français d'en prendre l’initiative et de la réaliser

Nous avons besoin d’un projet de reconstruc­tion qui mobilise toutes les forces de la société.

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