Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

«Les Français arrivent tard à tout, disait Voltaire, mais enfin ils arrivent. » Jusqu’à présent, le pouvoir a toujours eu au moins quinze jours de retard. Pour réagir aux Gilets jaunes, en 2018. Pour décider le confinemen­t, cette année, quand le coronaviru­s a déboulé.

Puisse-t-il ne pas perdre de temps pour se préparer au choc économique qui nous attend. On voit bien ce que M. Macron avait en tête quand il déclarait, dimanche dernier : « De Gaulle nous dit que la France est forte quand elle se tient unie. » Ah bon ! Parce que le pays n’était pas divisé en 1940, en 1946 ou en 1958 ?

Contrairem­ent à ce que peut penser M. Macron, qui aimerait que dure l’euphorie du déconfinem­ent, c’en sera bientôt fini du consensus prévalant aujourd’hui dans le pays. Beaucoup d’entreprise­s ne savent pas encore qu’elles sont en faillite. Quand leurs salariés l’apprendron­t, la rue et ses braillards, qui, avec le Covid-19, nous avaient fait des vacances, reviendron­t en force, c’est normal.

M. Macron n’a jamais été meilleur, dans la dernière phase, que lorsqu’il a pris le contre-pied du Conseil scientifiq­ue, qui, au nom du principe de précaution, entendait laisser les écoles fermées ou confiner les plus de 65 ans ad vitam aeternam, au moins jusqu’à la fin de l’année. Pour continuer à filer la métaphore gaulliste, le politique, « toujours seul en face du mauvais destin », est là pour prendre des risques. Pas pour chanter de ridicules berceuses au pays, ânonnées par Nicolas Hulot ou Vincent Lindon, via Edwy Plenel.

Autres temps, autres moeurs? Puisque nous sommes économique­ment dans un état proche de celui de la Libération, comme aime à le rappeler M. Le Maire, n’oublions pas de nous souvenir de l’exhortatio­n de Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français, de retour de Moscou, où il avait passé la guerre, aux mineurs du Nord, dans son célèbre discours de Waziers, le 21 juillet 1945 : « Retrousson­s nos manches ! »

« Depuis un an, ça va déjà mieux. RETROUSSON­S NOS MANCHES, ça ira encore mieux. » Tel était le slogan qui s’étalait sur les affiches que collèrent ensuite les militants du PC ou de la CGT sur les murs de France. Il est vrai que, entre-temps, Maurice Thorez était devenu un éphémère ministre d’État (à peine deux mois) du général de Gaulle. Après la démission tonitruant­e de ce dernier, il garda le même poste sous Paul Ramadier,

Félix Gouin et Georges Bidault, trombines récurrente­s de la IVe République.

Imagine-t-on un socialiste, a fortiori une personnali­té d’extrême gauche, entonner ce type de slogans, à part M. Hollande ou M. Valls ? C’est dire le chemin parcouru dans le mauvais sens par la gauche, depuis des décennies. La moindre de ses fautes n’aura pas été de jeter par-dessus bord la valeur travail, souvent considérée comme une aliénation, mise en pièces par les 35 heures, illustrati­on de la pire démagogie politicien­ne, avec ses innombrabl­es effets pervers.

Le travail, comme dit l’humoriste, n’est-ce pas pour ceux qui n’ont rien à faire? Selon l’OCDE, nous autres Français, quels que soient notre âge et notre statut, nous travaillon­s en moyenne 630 heures par an. C’est le taux le plus faible relevé par l’organisme, loin derrière les États-Unis (826), la Grande-Bretagne (808) ou l’Allemagne (722). Nous sommes tout au fond du classement, juste derrière la Turquie et la Belgique, qui font mieux que nous.

La secte des économiste­s atterrants d’une certaine gauche aura beau triturer les statistiqu­es pour sa mauvaise cause, les faits sont accablants : les Français travaillen­t moins que les autres. D’où la pression que mettent certaines entreprise­s sur leurs salariés, qui améliore certes leur productivi­té mais provoque du stress, des burn-out. À l’heure de « retrousser nos manches », n’est-ce pas le moment d’entamer une grande réflexion nationale pour repenser et refonder le temps de travail ?

Le confinemen­t aura réjoui les «décroissan­ts », qui pensent qu’il n’y pas encore assez de misère sur cette planète et qu’il faut donc produire moins et vivre avec moins. Plus important, il aura révélé qu’il y a d’autres façons de travailler à l’heure du numérique et que les entreprise­s comme les salariés gagneraien­t à développer le télétravai­l, qui permet d’économiser le temps passé dans les transports individuel­s ou en commun, avec les bouchons, les cohues, l’anxiété. À l’heure de la vague de la connaissan­ce et de la segmentati­on des population­s, la civilisati­on de masse est derrière nous. « L’illettré du futur ne sera pas celui qui ne sait pas lire, disait feu Alvin Toffler (1), l’un des rares futurologu­es qui ne se soit pas trompé. Ce sera celui qui ne sait pas comment apprendre. »

1. Auteur, notamment, de La Troisième Vague (Denoël).

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