Éditoriaux : Luc de Barochez, Pierre-Antoine Delhommais, Nicolas Baverez
Les dirigeantes ont été plus efficaces que leurs homologues masculins lors de la crise sanitaire. Un tel constat pose question.
Le «sexe faible» dame le pion aux hommes forts. Des pays aussi divers que la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, l’Islande, la Norvège, Taïwan, la Finlande, le Danemark, tous gouvernés par des femmes, ont surmonté la crise sanitaire beaucoup mieux que d’autres. La coïncidence interpelle. Il est tentant d’y voir une relation de cause à effet. Reste à comprendre pourquoi.
D’abord, une évidence : face au coronavirus, les recettes viriles sont inopérantes. Aucun dirigeant à la masculinité affirmée n’a brillé contre la pandémie. Le Chinois Xi Jinping a dissimulé son ampleur. L’Américain Donald Trump y a vu une invention de ses opposants démocrates. Le Brésilien Jair Bolsonaro a prétendu que ses concitoyens étaient déjà immunisés… Pour ne rien arranger, un certain idéal masculin ennoblit la témérité, laquelle ne dissuade en rien le virus. Boris Johnson se vantait encore le 3 mars d’avoir serré la main de chacun de ses interlocuteurs dans un hôpital – peu après, il était luimême alité en soins intensifs. Emmanuel Macron a ostensiblement assisté à une pièce de théâtre à Paris juste avant de confiner tous ses concitoyens. Le maire de Milan, Giuseppe Sala, poussait encore ses administrés à fréquenter bars et restaurants alors que plusieurs centaines de cas étaient déclarés dans sa ville. Ces messages contradictoires troublèrent la population. À l’inverse, les dirigeants dont le bras n’a pas tremblé, ceux qui ont organisé la riposte sans tergiverser, qui ont misé sur la confiance des citoyens et leur sens de la responsabilité, ont souvent été des femmes. Tsai Ing-wen, la présidente taïwanaise, a sonné l’alarme dès le début du mois de janvier. À la fin de ce mois-là, son pays produisait déjà 2 millions de masques par jour. La Première ministre islandaise, Katrín Jakobsdóttir, a offert, elle, un test gratuit à chaque citoyen, ce qui a permis d’étouffer l’épidémie dans l’oeuf. Quant à la Première ministre norvégienne, Erna Solberg, elle a donné deux conférences de presse uniquement à des enfants pour leur expliquer ce qu’était le confinement et leur dire qu’il était normal d’avoir « un petit peu peur ».
La chancelière allemande Angela Merkel, qui est docteure en chimie quantique, a prévenu très tôt sa population, arguments scientifiques à l’appui, de la gravité de l’épidémie. La Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, a confiné tous les habitants du pays avant même que le premier décès dû au Covid-19 ait eu lieu. « La crise me fait penser à un labora
Ce sont les sociétés les plus avancées, aux gouvernements efficaces qui les ont installées au pouvoir.
toire où se distille un type de gouvernement féminin qui contraste avec celui des hommes, lesquels, pendant un temps beaucoup trop long, n’ont pas compris ou ont nié le sérieux de la situation », a constaté la sociologue israélienne Eva Illouz dans l’hebdomadaire allemand Die Zeit. Il serait erroné cependant de s’arrêter à l’explication essentialisante qui veut qu’une dirigeante serait, de par sa nature de femme et de mère, plus préoccupée qu’un homme de la santé de ses concitoyens, plus responsable dans son comportement, plus réticente à la prise de risque. Attribuer le succès des dirigeantes à leur genre plutôt qu’à leurs qualités intrinsèques de leader est une marque de sexisme. Une théorie plus sophistiquée attribue la réussite des femmes aux postes de pouvoir aux difficultés qu’elles ont éprouvées historiquement pour y parvenir. Fruits d’une sélection plus rigoureuse, elles seraient meilleures que leurs homologues masculins qui, eux, n’ont pas eu à vaincre préjugés et stéréotypes pour parvenir au sommet.
La sociologue américaine Kathleen Gerson, dans le média en ligne The Hill, avance une troisième explication, plus convaincante. Elle observe que les femmes parviennent plus aisément aux responsabilités dans une démocratie apaisée, qui pratique l’égalité des sexes et respecte les droits des minorités, que dans un pays autoritaire ou conflictuel où la société est en proie au malaise. Elle renverse ainsi la perspective. Les femmes ne sont pas, en tant que telles, de meilleures combattantes contre le Covid-19. Ce sont les sociétés les plus avancées, aux gouvernements efficaces, qui sont à la fois les mieux équipées pour lutter contre les pandémies et les plus susceptibles d’installer des femmes au pouvoir. Ces pays jouissent de la stabilité politique, d’un niveau élevé de confiance, d’un système de santé de qualité. L’on y attribue une grande valeur à la transparence, à la responsabilité individuelle, au dialogue, à l’empathie, à la tolérance et au consensus. Autant de caractéristiques utiles contre l’épidémie qui font cruellement défaut à la France de 2020
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