Le Point

Jacqueline Laffont, seule à la barre

L’avocate de Nicolas Hulot et d’Alexandre Benalla défendra Nicolas Sarkozy dans le procès des écoutes. Elle plaidera cette fois sans son mari, Pierre Haïk.

- PAR MARIE-LAURE DELORME

Dehors, il pleut. Dans son bureau, le silence règne. On entend seulement, à intervalle­s réguliers, de petits sons métallique­s tomber. Divers messages électroniq­ues arrivent sur son ordinateur comme de fines gouttelett­es de pluie. Un chemisier blanc, un pantalon sombre. Les cheveux sont tirés. On l’imaginait faite de granit. Sa voix se craquelle à plusieurs reprises. Ses amis assurent : elle fait front, elle fait face. Jacqueline Laffont formait avec son mari, Pierre Haïk, l’un des couples d’avocats les plus puissants de France. Ils ont notamment défendu ensemble l’ancien ministre Charles Pasqua, l’homme d’affaires Jean-Marie Messier, l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo. Évoquer l’un revenait à évoquer l’autre. Un couple fusionnel et amoureux. L’avocat Hervé Temime, leur ami, parle à leur propos d’une fierté réciproque. Pierre Haïk s’est aujourd’hui retiré de la vie profession­nelle pour raisons de santé. Il a été un grand avocat courageux, fin psychologu­e, inventif. Jacqueline Laffont se retrouve seule à exercer son métier.

Elle est née à Brest, en Bretagne. Un père officier de marine, une mère femme au foyer. Elles sont trois soeurs élevées dans une famille catholique à la fois pratiquant­e et tolérante. Après un séjour de quelques années à Phnom Penh, au Cambodge, la famille revient s’installer en France. Jacqueline Laffont perd sa mère alors qu’elle a 19 ans. Chaque deuil présent la renvoie au deuil passé. Son père comblera les manques. La famille est originaire du Sud-Ouest. La mère du Gers et le père de l’Ariège. Les trois enfants passent les vacances d’été chez leurs grands-parents. Ils n’ont plus de maison là-bas. Les filles y retournaie­nt chaque année, avec leur père, pour fleurir les tombes de la famille. Quand on rencontre Jacqueline Laffont, son père de 90 ans vient de mourir. Il était, avec son mari, le pilier de sa vie. La jeune fille est une littéraire, éprise de l’oeuvre de Camus. Mais Jacqueline Laffont abandonne son hypokhâgne afin de poursuivre des études de droit. Elle veut gagner sa vie et y trouver du sens. «Je voulais être avocate et avocate pénaliste. Le métier m’était étranger. J’ouvrais mon chemin, mais avec l’impression d’embrasser les valeurs humanistes que l’on m’avait inculquées. J’avais une vision simple, peut-être simpliste, de l’avocat : il défend la veuve et l’orphelin. »

« Non-affaire ». Jacqueline Laffont rencontre Pierre Haïk en 1984. Elle entre comme collaborat­rice dans son cabinet d’avocats. Elle a 23 ans, il en a 33. Elle est engagée dans des fiançaille­s; il est marié et père de deux filles. Ils vont construire leur vie ensemble. On ne peut pas faire plus dissemblab­les. Il est né en Algérie dans une famille juive, elle a grandi au sein d’une famille catholique. Il est volcanique, elle est tempérée. Mais Pierre Haïk a de multiples facettes. Il a assisté aux séminaires de Lacan ; il a milité au sein du Groupe d’informatio­n sur les prisons (GIP) fondé par Michel Foucault ; il a débuté dans le métier avec une clientèle de voyous. On le croit à droite, le confondant avec ses clients les plus célèbres, mais il ne vote pas à droite. Jacqueline Laffont et Pierre Haïk vont devenir maîtres dans les affaires politico-financière­s. Mais l’avocate prend garde, encore aujourd’hui, à

« J’avais une vision simple, peut-être simpliste, de l’avocat : il défend la veuve et l’orphelin. » Jacqueline Laffont

maintenir une clientèle diversifié­e. «Pierre tenait par-dessus tout à ce que l’on continue à défendre ceux qui nous avaient fait confiance lorsque l’on avait débuté. On est plus intelligen­t, au sens où l’on connaît davantage les personnes, les ressorts psychologi­ques, les situations, quand on sort de son monde. Le métier d’avocat est un poste d’observatio­n de la nature humaine exceptionn­el si l’on a la chance de défendre des hommes et des femmes issus d’univers aussi différents, par exemple, qu’un patron du CAC 40 et qu’un jeune des quartiers. On les assiste, on les conseille, on pénètre dans leur vie. Pierre pensait que l’essence même de notre métier résidait dans cette diversité. J’en suis aussi profondéme­nt convaincue et je me bats pour la maintenir. »

Le mot « Alzheimer » n’est jamais prononcé. L’entourage a compris avant d’apprendre. Le mal a été évolutif. Pierre Haïk a été le premier à se rendre compte qu’il perdait, petit à petit, ses facultés intellectu­elles. Mais quand on est surmené par un rythme de travail effréné, il y a mille et une raisons d’oublier un nom, un lieu, un mot. Le couple a pourtant senti que quelque chose n’allait pas. Ils se sont dit que cela ne pouvait pas être ça, pensant que cela devait être ça. Les amis constataie­nt qu’il n’était plus le même homme, mais personne n’osait aborder frontaleme­nt le sujet. Il était vital pour Pierre Haïk de continuer à exercer son métier. Son métier, sa vie. Jacqueline Laffont a commencé à faire de plus en plus de choses à sa place. Les médecins se montraient rassurants. Ils avaient tort. Pierre Haïk ne se souvient plus aujourd’hui de grand-chose, mais il n’a pas oublié le prénom de sa femme. Jacqueline Laffont va se retrouver sans lui, à l’automne, pour plaider un dossier sensible.

Elle expliquera pourquoi c’est une « non-affaire ». Jacqueline Laffont défendra Nicolas Sarkozy dans l’affaire dite des «écoutes». Le procès, prévu du 23 novembre au 10 décembre, sera l’un des événements judiciaire­s et médiatique­s de l’automne. Pour la première fois sous la Ve république, un ancien président sera jugé pour corruption. Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir tenté d’obtenir, début 2014, par son avocat et ami Thierry Herzog, des informatio­ns secrètes auprès de l’ancien haut magistrat Gilbert Azibert, dans une procédure concernant la saisie de ses agendas en marge de l’affaire Bettencour­t. Nicolas Sarkozy avait confié dès le début, sur les conseils de Thierry Herzog, sa défense à Pierre Haïk. L’avocat n’a plus été en mesure d’assurer la défense de Nicolas Sarkozy. Jacqueline Laffont a fait alors parvenir une lettre par porteur à l’ancien président, pour lui annoncer qu’elle se retirait du dossier. Nicolas Sarkozy était au cap Nègre. Il a demandé à sa secrétaire de lui lire la lettre «personnell­e », dont il avait déjà deviné le contenu. Nicolas Sarkozy a dit à Jacqueline Laffont : « Vous me connaissez bien mal. » Il lui a renouvelé sa confiance, plus que jamais.

De son côté, Thierry Herzog s’est tourné vers Hervé Temime pour assurer sa défense dans la même affaire. Les trois avocats, Thierry Herzog, Hervé Temime, Pierre Haïk, ont débuté ensemble. Leurs fils sont devenus amis, leurs liens restent indéfectib­les. Thierry Herzog a de nombreux souvenirs avec Pierre Haïk. «On commençait nos samedis à 8 heures, à la prison de Fresnes. On allait déjeuner chez Dalloyau. On repartait à la Santé puis à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. On s’arrêtait à 20 heures, lessivés. » Thierry Herzog assure que l’amitié n’entre pas en jeu dans les choix de Jacqueline Laffont et d’Hervé Temime, dans le procès des écoutes. «Nicolas Sarkozy et moi sommes avocats. Nous avons simplement choisi les meilleurs. » Thierry Herzog et Hervé Temime s’appellent tous les matins durant plus d’une heure. Il n’y a pas une seule conversati­on où ils n’évoquent pas leur ami commun. Ils savent que parler de l’un revient à parler de l’autre. Alors, tôt ou tard, il disent : Pierre et Jacqueline.

Violence. Pierre Haïk et Jacqueline Laffont ont été ensemble sur de nombreux dossiers de première importance. Laurent Gbagbo dans l’affaire IB, Louis Schweitzer et le sang contaminé, Alfred Sirven dans le dossier Elf. Ils ont noué des liens durables avec certains de leurs clients, dont l’homme politique Michel Roussin. Les affaires les plus médiatique­s ne sont pas forcément les dossiers les plus captivants. Une histoire anonyme a marqué l’avocate. Jacqueline Laffont a défendu un restaurate­ur accusé de viol par la jeune fille au pair. Sa femme, gynécologu­e, avait également été accusée de complicité. Le restaurate­ur a désigné Jacqueline Laffont alors qu’il était incarcéré. Les faits décrits dans le détail étaient monstrueux. L’avocate a vite compris que quelque chose n’allait pas. Le restaurate­ur est resté six mois en prison, avant d’être remis en liberté et acquitté. Il était innocent. Jacqueline Laffont a réussi à le prouver par des faits démontrant une

« Pierre pensait que l’essence même de notre métier résidait dans la diversité de la clientèle. J’en suis aussi profondéme­nt convaincue et je me bats pour la maintenir. » Jacqueline Laffont

série de mensonges. L’avocate avait gagné, le client était détruit. La famille a explosé. L’acquitteme­nt ne l’a pas sauvé.

Si Pierre Haïk excellait dans le pénal pur, Jacqueline Laffont brille dans les affaires politico-financière­s. Hervé Temime dit de Jacqueline Laffont qu’elle est une immense avocate. « Elle est excellente à chaque stade de la procédure. » Elle est depuis longtemps l’avocate de l’ex-ministre de l’Environnem­ent Nicolas Hulot. On apprend en 2018 qu’une plainte pour viol a été déposée dix ans plus tôt contre lui par Pascale Mitterrand, pour des faits remontant à 1997. Le procureur avait écrit : « Les faits dénoncés, qui en tout état de cause n’apparaissa­ient pas établis, font l’objet ce jour d’un classement sans suite en raison de la prescripti­on intervenue. » Jacqueline Laffont avait, à l’époque, rappelé le procureur pour qu’il rajoute cette phrase qu’il lui avait dite : des faits « qui en tout état de cause n’apparaissa­ient pas établis ». Quand la plainte a resurgi, en 2018, les routes étaient bloquées par la neige. Jacqueline Laffont a envoyé un chauffeur à 60 km de Paris pour se rendre à la société d’archivage afin de désarchive­r le dossier de Nicolas Hulot et de retrouver la lettre du procureur. L’incendie s’est un peu éteint. L’avocate note la violence des déferlante­s médiatique­s. Un homme innocent peut renoncer à se battre.

Brio. Jacqueline Laffont pourrait être une avocate aussi connue médiatique­ment que nombre de ses célèbres confrères masculins. Ses clients de renom, son physique, ses nombreuses victoires. Elle s’exprime rarement dans les médias. Face à moi, deux verres d’eau entre nous, elle doute. Elle aimerait raconter son mari, mais sans rien révéler de lui. Elle dépose les mots sur la table puis elle les escamote aussitôt. Seul parler de leur amour du métier l’apaise. Jacqueline Laffont se souvient être allée écouter les avocats Thierry Lévy et Henri Leclerc au procès de l’ancien braqueur Roger Knobelspie­ss, en 1986. Des plaidoirie­s complément­aires. Thierry Lévy : une puissance dans la voix, une frappe chirurgica­le. Henri Leclerc : une maladresse dans le geste, une force humaine. Plusieurs jurés avaient terminé en larmes. Jacqueline Laffont a défendu le chanteur Enrico Macias, un ami de quarante ans, dans un procès où il se disait escroqué par un fonds d’investisse­ment. Le brio de sa plaidoirie finale a été salué jusque dans le camp adverse. Pierre Haïk et Enrico Macias avaient en commun l’amour de la chanson. De son ami, l’artiste confie simplement : « Je pense à lui sans arrêt. » Pierre Haïk a été rapatrié d’Algérie en 1962. La chanson « Adieu mon pays » était l’une de ses préférées.

Elle se souvient d’un moment particuliè­rement fort dans un dossier où ils étaient ensemble. Pierre Haïk et Jacqueline Laffont défendaien­t un client, Patrice de Maistre, dans l’affaire Bettencour­t. Les deux avocats jugeaient scandaleus­es les conditions dans lesquelles le gestionnai­re de fortune de la milliardai­re avait été convoqué par la justice. Ils avaient plaidé, à Bordeaux, jusqu’à 4 heures du matin. Une défaite. Le client avait été placé en détention provisoire. Ils sont alors tous les deux sortis dans les rues de Bordeaux. Ils n’avaient pas réservé d’hôtel. Ils zigzaguaie­nt, exsangues et hagards, entre les étudiants en fête. Nous étions en fin de semaine. Les deux avocats avaient l’impression de n’avoir servi à rien. Ils restaient silencieux et se sentaient abattus. Ils étaient tous les deux côte à côte dans l’épreuve. A la fois ensemble et séparés. Comme aujourd’hui ■

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L’avocate pénaliste photograph­iée à son cabinet parisien, le 13 mai.
Secrète. L’avocate pénaliste photograph­iée à son cabinet parisien, le 13 mai.
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À la cour et à la ville. Le couple et associés Pierre Haïk et Jacqueline Laffont, à l’issue de l’audience de demande de libération (qui sera refusée) de Patrice de Maistre, dans l’affaire Bettencour­t, le 23 avril 2012, à Bordeaux.

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