Le Point

Le boulot sans le métro

Télétravai­l, métiers gagnants et perdants, transition écologique… Enquête sur les révolution­s de la vie profession­nelle.

- PAR MARIE BORDET

Connaissez-vous le « Chief Day One Officer » ? Il ne s’agit pas du job à haute intensité endossé par Bruce Willis dans son prochain film d’action mais de l’intitulé de l’une des profession­s en voie d’apparition en ces longs lendemains de Covid-19. Le « Day One » symbolisan­t, ici, le premier jour de l’après-crise sanitaire actuelle (et des éventuelle­s prochaines). Sa mission? Orchestrer la périlleuse reprise d’activité d’une entreprise, de la chaîne logistique jusqu’à la fonction achat en passant par le financier et le juridique. D’autres fonctions inédites et de nouvelles compétence­s spécifique­s devront émerger pour assurer le fonctionne­ment de ce monde d’après et résoudre ces équations à un nombre infini d’inconnues. Ainsi des rôles émergents de « risk manager », de « responsabl­e sociétal », de « référent sécurité sanitaire » et autre « hygiène manager » à l’oeuvre dans l’hôtellerie et la restaurati­on. « La pandémie va faire naître une série de nouveaux métiers qui permettron­t aux entreprise­s d’être résiliente­s face à des crises de ce type, assure Carl Benedikt Frey, économiste suédois, directeur du programme sur l’avenir du travailà l’Oxford Martin School. Comment renforcer les process ? Sécuriser la chaîne logistique ? Organiser le travail des salariés à domicile tout en évitant tout hacking de données… »

Outre les nouveaux besoins qu’elles suscitent, la crise sanitaire et son double, la crise économique, vont propulser le monde des entreprise­s, celui des salariés ou celui des indépendan­ts dans une ère inédite, celle du télétravai­l. Souvent toléré par des employeurs plutôt méfiants à l’égard d’employés fatigués de passer leur vie dans les transports, il est devenu, sous l’effet d’un cas d’extrême force majeure, à la fois une évidence et un élément de bonheur profession­nel pour beaucoup. Pas pour tous, bien sûr. Les partenaire­s sociaux veillent sur le nouveau cadre juridique en gestation. Il faut de fait plancher sur un retour d’expérience de ces semaines de télétravai­l obligatoir­e, identifier les difficulté­s (isolement, absence de séparation entre sphère privée et sphère profession­nelle, surmenage, etc.) et adapter, si possible, le télétravai­l au cas par cas. Il demeure indéniable que le télétravai­l, entré désormais dans les moeurs, inaugure un grand champ des possibles. D’autant plus que pour nombre

d’entreprise­s – dont les trésorerie­s ■ vont souffrir –, il laisse entrevoir un moyen de réaliser des économies importante­s sur les dépenses immobilièr­es. « L’avènement du télétravai­l impliquera une redéfiniti­on de postes existants et un changement de profils, analyse Benoît Serre, vice-président de l’Associatio­n nationale des directeurs des ressources humaines. Surtout dans les métiers de management. Il faut tout réinventer. Les managers à l’ancienne sont inadaptés au monde de demain. »

Vivre ailleurs. Pour beaucoup de Français, le confinemen­t a permis de réfléchir à l’avenir. Comme ce couple de Parisiens quadragéna­ires qui envisage sérieuseme­nt de quitter Paris pour Bordeaux avant septembre. S’il est désormais prouvé qu’on travaille sans problème à distance, pourquoi payer un loyer exorbitant ? «Les gens ne cherchent plus forcément un changement de vie, mais une évolution de leur mode de vie, analyse Rémy Oudghiri, sociologue et directeur général adjoint de Sociovisio­n. On garde son travail et on l’adapte en vivant ailleurs. C’est une tendance qui touche tous les niveaux hiérarchiq­ues. Aujourd’hui, des membres de comités de direction de grands groupes vivent en province. L’expérience du confinemen­t devrait pousser beaucoup plus de personnes à passer à l’acte. » On pourrait avoir une irrépressi­ble envie de changer aussi de travail. À l’image d’Aude Sementzeff, qui a quitté son job dans une agence de design pour créer La Laiterie de Paris, qui vend des fromages et des yaourts (voir p. 58). Les nouvelles génération­s le revendique­nt haut et fort : plus que jamais, elles veulent exercer des métiers qui ont du sens, qui sont utiles à la société, même s’ils sont moins rémunérate­urs. Leurs aînés les suivent. « La crise actuelle sera propice aux reconversi­ons profession­nelles, poursuit Benoît Serre. Certains par envie et d’autres parce qu’ils n’auront pas le choix. Des entreprise­s devront se séparer de collaborat­eurs et auront à concevoir des plans de reconversi­on. » Peut-on d’ores et déjà parler de « téléreconv­ersion » ? ■

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Mode de vie. Pour beaucoup de salariés, le télétravai­l est devenu un élément de bonheur profession­nel.,

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