Livre – Clémentine Mélois, born to be (Oscar) Wilde
Artiste à l’humour explosif, elle célèbre le plaisir de lire par temps troublés dans son nouveau livre, Dehors, la tempête.
Vous êtes-vous jamais demandé de quel pain était fait le sandwich du commissaire Maigret ? Quel était le goût du Fernet-Branca servi dans Zazie dans le métro ? Clémentine Mélois, oui, et ces questions essentielles (pour qui trouve que la compagnie des héros de roman est souvent aussi réelle que celle des êtres de chair et d’os) qu’elle se pose sont l’une des nombreuses raisons de lire son nouveau livre. Une autre encore ? Le fait que Dehors, la tempête, paru juste avant le confinement, a des allures prémonitoires. Car cet essai joyeux et brillant célèbre les plaisirs de se plonger dans la lecture quand, au-dehors, les éléments font rage… En courts chapitres alternant listes, souvenirs ou divagations sur tel auteur, l’écrivaine et plasticienne folâtre dans les méandres de ses souvenirs de lectrice. Si son livre est précieux par les temps qui courent, c’est qu’elle montre à quel point ces rangées de livres sont des terrains d’exploration. « Ce qui m’intéresse, c’est le détail, le dérisoire, l’infraordinaire, nous explique cette brune solaire. J’avais envie de partager tous ces à-côtés de la littérature qui rendent la lecture si vivante, comme le souvenir du lieu où l’on se trouvait quand on a découvert tel ou tel livre ! » Elle raconte la façon dont les mots des autres s’infiltrent jusque dans nos mémoires, notre quotidien. Elle évoque «l’odeur de foin rance » de son exemplaire de L’Île au trésor, et celle de « grenier chaud » de son Seigneur des anneaux. Mélois parle avec gourmandise des ouvrages chéris, bien sûr, de Moby Dick au Journal de Samuel Pepys, mais aussi de la façon dont elle les range (ou pas). Décris-moi ta bibliothèque, je te dirai qui tu es… Dans celle de Clémentine Mélois se trouvent encore les 365 livres magiquement gagnés à 10 ans, à l’occasion d’un concours d’écriture organisé par Gallimard. « Cela fait partie de ma mythologie fondatrice. J’étais déjà une lectrice, mais peut-être que j’ai vraiment basculé à ce moment-là… »
Chewing-gum à la chloroquine. Son gai savoir se nourrit de divagations joyeuses et de réminiscences intimes. Il faut dire que, chez elle, art et jeu ne vont pas l’un sans l’autre. Plasticienne formée aux Beaux-Arts de Paris, elle aime bricoler des objets aux allures de blague potache. Actualité oblige, le confinement l’a incitée à réinventer des objets du quotidien, d’un calendrier PTT montrant un pangolin et une chauve-souris à un paquet de chewing-gum goût chloroquine… Elle s’était fait remarquer il y a quelques années en détournant, retouchant titre et visuels, des couvertures de livres. Dans Cent Titres (Grasset), on trouvait ainsi aussi bien un «Crépuscule des idoles des jeunes » qu’un « Born to be Oscar Wilde ». Elle a précédemment publié un livre, Sinon j’oublie, né de sa collection de… listes de courses. Elle en avait choisi une centaine, photo à l’appui, qu’elle assortissait chaque fois d’un microrécit. C’est justement ce livre, parce qu’elle l’avait écrit en s’imposant des contraintes aussi invisibles que précises, qui l’a fait remarquer par l’Oulipo, club ultra sélect fondé par Raymond Queneau et François Le Lionnais, dont les membres cultivent l’art de s’amuser avec la littérature. « Quand j’ai été invitée par mail à rejoindre le groupe, je suis tombée des nues. Mais c’est un bonheur ! Il y a une réunion une fois par mois, et l’ordre du jour est le même depuis la création en 1960. » Jouer, évidemment. Un goût du jeu qu’on retrouve aussi dans les livres pour enfants qu’elle cosigne avec son compagnon, le dessinateur Rudy Spiessert. Ils viennent de publier un irrésistible diptyque pour les tout-petits : Tout ce que je sais sur les chiens et Tout ce que je sais sur les chats (Seuil Jeunesse). Pile poil pour fêter le succès des adoptions d’animaux de compagnie pendant le confinement
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Dehors, la tempête, de Clémentine Mélois (Grasset, 192 p., 17 €, 11,99 € en numérique).