Un « French bashing » sous masque, par Kamel Daoud
Ou comment certains aimeraient bien associer protection de soi et rejet de l’autre.
La Covid-19 est la victoire silencieuse de l’islamiste parfait : on voile, on ne serre plus aucune main, on reste chez soi au foyer, on isole, on refuse de toucher autrui ou de partager l’humanité de son visage, on porte un masque, on se rétracte sur les siens ou vers le ciel. C’est un peu de l’humour en temps d’inquiétudes. D’aucuns en ont donc vite fait, dans la tradition facile du French bashing, un argument de dénonciation de la laïcité comme loi pour protéger les croyances des ambitions de chacun : voici la France qui refuse le voile obligée de porter le masque, répète-t-on presque jovial. Du faux humour anglosaxon, joyeux quand il s’agit de charger la laïcité et d’en démonter les contradictions possibles. Une manière suave et simpliste de plaider le modèle « religieux » des conservateurs d’outre-océan et d’imaginer le bénéfice des faveurs des « opprimés » du monde. La culpabilité a parfois cette manière de chercher un autre coupable, d’un autre « crime », pour se croire innocente et se confectionner une raison noble.
Ainsi, le procès permanent fait par certains au modèle de laïcité française disculpe un peu des racismes ambiants, des rejets communautaires ou des racismes envers les migrants dans le Nouveau Continent. L’auteur se souvient quand, interrogé par des médias anglo-saxons sur ce que lui inspirait ce modèle français qui excluait les musulmans, il lui fallait à chaque fois remettre les points sur les «i» et expliquer que la lutte contre l’islamisme sauve à la fois la république, l’islam, les musulmans et la paix dans le monde. Et qu’une lutte contre un radicalisme n’est pas un radicalisme automatique. Mais il était supposé que le chroniqueur, de par ses origines, partageait avec ferveur le sort unanime imaginé et l’indignation communautaire. Et très souvent, pour se débarrasser du piège, il suffisait de le retourner : comment a réagi l’Amérique au 11 Septembre ? Comment réagirait la large frange populo-conservatrice de l’Amérique si une bonne moitié des Américains venaient de pays musulmans ? Rejet, racisme et lois liberticides seraient de mise, sinon plaidés avec ferveur. Aurait-on alors songé à guérir la plaie, lever les malentendus et se mobiliser contre les confusions mortelles, ou aurait-on choisi de moquer l’Amérique et sa démocratie en absolu? Mais il est vrai que l’American bashing se suffit à luimême avec l’actuel président. Le propos le plus urgent n’est pas de chercher la faille des raisonnements faciles, mais de dénoncer ces raisonnements pour ce qu’ils sont : de dangereux amusements sur une question vitale et une pandémie mondiale. Confondre le masque et le voile, c’est confondre la survie et l’oppression, la loi et l’asservissement, une lutte pour vivre et un instrument pour interdire de vivre. Le voile peut bien être défendu par ceux et celles qui croient l’avoir choisi, il reste ce qu’il est : un signe de soumission, pas de libération. Et si on le porte en déclamant un droit, il faut se battre pour celles qui le portent forcées en ne l’ayant jamais désiré et pour celles qui ne peuvent pas porter le vêtement qu’elles désirent à cause de la norme qu’il impose. Aujourd’hui, moquer cette lutte, retourner en ironie la tragédie de celles qui subissent l’asservissement et plaisanter sur un usage de survie face à un virus sont une insulte, sinon un manque de maturité ou un simple caprice de l’oisiveté. On peut comprendre que le confinement mène à tout, mais il n’y a rien de comparable entre un masque et un uniforme. Entre un tissu pour éviter la mort et un usage pour la choisir
■
Confondre le masque et le voile, c’est confondre la survie et l’oppression, la loi et l’asservissement.