Un beau et sombre roman sur l’adolescence qui étanche notre soif d’Italie.
Après elle crée à nouveau l’événement avec La Vie mensongère des adultes.
Le pseudonyme Elena Ferrante, qui fait écho au nom de la grande romancière Elsa Morante, cacherait-il un homme, le Napolitain Domenico Starnone, lauréat en 2001 du prix Strega, le Goncourt italien ? Ou, selon diverses enquêtes allant jusqu’à la récupération de relevés bancaires dans les poubelles, l’écrivaine mystère serait-elle Anita Raja, la femme de Starnone, traductrice de l’allemand et secrétaire d’édition aux éditions E/O, qui publient les romans signés Ferrante ? Allons ! Démasquer Elena Ferrante, qui s’en soucie aujourd’hui ? Le mystère qui compte, n’est-ce pas moins celui d’un nom que celui d’une saga, L’Amie prodigieuse, qui, vendue à 12 millions d’exemplaires dans le monde, est parvenue à effacer la frontière entre littérature populaire et littérature lettrée et à toucher tous les publics, des plus exigeants critiques aux lecteurs de best-sellers, des femmes aux hommes et des hommes aux femmes, et surtout des lecteurs de toutes classes sociales, de tous âges, vivant sur tous les continents ?
Une saga qui est parvenue, aussi, à travers cette histoire de deux petites filles, Lila et Lenu, nées durant les années 1940 dans un quartier populaire de Naples, brillantes élèves issues de familles illettrées, l’une devenant professeure et publiant des livres, l’autre détruisant ceux qu’elle a écrits adolescente et restant dans un monde inculte, à entrelacer des thèmes qui parlent à toutes et tous (la douleur d’aimer, la douceur de l’amitié, la trahison, l’impossibilité de s’arracher au destin qui vous a fait naître en tel lieu, dans tel milieu et à telle époque, l’éphémère de la jeunesse) avec d’autres thèmes moins évidents et peut-être encore plus intéressants : la féminité douloureuse, la maternité ravageant les illusions d’un amour bienveillant, la brutalité masculine, la sauvagerie des rapports sociaux.
« Je crois que les livres, une fois qu’ils sont écrits, n’ont pas besoin de leurs auteurs », déclarait Elena Ferrante dans Frantumaglia. Oui, décidément, le mystère de l’identité réelle d’Elena Ferrante ne doit pas masquer le miracle d’une oeuvre et d’une écriture qui dit la violence dans une langue retenue, miracle qui se prolonge dans son nouveau roman, La Vie
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mensongère des adultes. Où l’on entend – appelez-la ■ comme vous voudrez, Elena, Delia, Olga, Lila, Lenu ou… Giovanna – la même voix singulière qui nous parle à coeur ouvert et sans pathos du merveilleux mystère d’être. Giovanna, c’est l’héroïne de cette « vie mensongère », l’histoire d’une jeune fille, encore, des hauteurs de Naples et qui, comparée par son père à une tante à la réputation maléfique, fouille l’appartement et part à la recherche de cette tante résidant dans les quartiers pauvres de la ville. Celle-ci lui ouvrira les yeux, de la même façon que les romans de Ferrante ouvrent les yeux des lecteurs : à travers eux, nous regardons le monde tel qu’on ne voudrait pas qu’il soit : impur, cruel, laid, méchant. Mais avonsnous d’autre choix que d’accepter le mensonge de vivre ? Et si le roman, d’ailleurs, forme suprême du mensonge, était le seul moyen de survivre à son enfance? Nous nous sommes efforcés non pas de démasquer Ferrante, mais de la décoder. Telle que, de roman en roman et d’essai en chronique, ses livres la révèlent et expliquent la secrète fascination de son oeuvre. Voici quelques pistes pour un dictionnaire Ferrante. Au premier rang des mots-clés, évidemment, le mensonge, hideux et inévitable…
En 2018, chaque semaine, Elena Ferrante a publié une chronique dans The Guardian. Elle y parle de politique, de cinéma, de littérature, d’amour, de psychanalyse… et d’elle-même. De sa propension au mensonge. « Enfant, j’ai débité tous les types de mensonges possibles. J’ai menti pour avoir l’air meilleure que je ne l’étais. » Le mensonge, c’est justement le thème de son nouveau roman. Non pas le mensonge accidentel, pieux, défensif, mais celui, ravageur, dont les parents entourent l’enfance et qui mêle amour et rejet, protection et indifférence.
Dès les premières lignes, on retrouve les thèmes de la grande écrivaine. La culture et l’inculture, la beauté et la vulgarité, l’argent, l’amitié féminine, la perte de l’innocence, l’errance périlleuse de l’adolescence dans un univers vide de sens, les liens familiaux tissés d’emprise et de chagrin, l’amour qui fait mal. Tout cela a un lieu et ce lieu a un nom : Naples, encore et toujours, qui s’écrit au pluriel, des hauts quartiers vers la ville populaire, de haut en bas des classes sociales. Le trajet que suit la narratrice est
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