Nicholas Stern : « C’est le moment d’augmenter la taxe carbone »
Auteur en 2006 d’un rapport remarqué sur les conséquences économiques du réchauffement climatique, l’économiste britannique analyse les effets de l’épidémie sur l’environnement.
En 2006, son rapport avait fait grand bruit. Sir Nicholas Stern écrivait dans un copieux document, réalisé pour le gouvernement britannique, que l’impact du réchauffement climatique serait comparable à celui des guerres mondiales ou à la crise de 1929. L’économiste évaluait à plus de 5 000 milliards d’euros le coût de l’inaction. Depuis, la crise du Covid-19 et le confinement ont à nouveau bouleversé les économies mondiales. Pour Le Point, Nicholas Stern, enseignant à la London School of Economics et ancien vice-président de la Banque mondiale, évoque les conséquences de l’épidémie pour la lutte contre le réchauffement de la planète.
Le Point : En 2006, vous avez publié un rapport essentiel sur les conséquences du changement climatique pour l’économie mondiale. En mettant de côté la crise épidémique, qu’est-ce qui a changé en près de quinze ans? Nicholas Stern :
Beaucoup de choses ont changé, dans trois secteurs qui concernent le climat : la science, la technologie et la politique. D’abord, la science. Les données scientifiques avec lesquelles nous avions alors travaillé se sont considérablement enrichies et tout nous incite à être encore plus inquiet et pessimiste qu’en 2006. Nos émissions de CO2 ne baissent toujours pas et la concentration dans l’atmosphère de dioxyde de carbone continue de s’élever. La situation est vraiment difficile. Mais il y a encore pire. La violence du changement climatique est plus dure que ce que nous imaginions. Il arrive plus tôt et plus fort. Je parle des événements extrêmes comme les ouragans, les inondations, la fonte des glaces.
Et la technologie?
Elle a remarquablement évolué. Le coût des énergies
Nicholas Stern Économiste, enseignant à la London School of Economics et ancien vice-président de la Banque mondiale. renouvelables a baissé d’un facteur dix, la production d’électricité par l’éolien offshore au RoyaumeUni est devenue moins coûteuse que par les énergies fossiles. De même, qui aurait pensé il y a dix ans que tous les constructeurs automobiles s’engageraient dans l’électrique ? Quand on regarde la production d’énergie, le transport, le digital pour les villes ou les réseaux, tout est remarquable. La science est inquiète, mais la technologie est étonnante parce qu’elle change à une vitesse que nous n’avions pas anticipée.
Les politiques, enfin, ont-ils modifié leur regard sur le changement climatique?
Oui. Plus d’une centaine de pays ont affiché un objectif de neutralité carbone d’ici à 2050. On n’en parlait pas beaucoup il y a quinze ans. Beaucoup de pays s’y engagent désormais, et c’est ce que nous devons faire. L’Europe a adopté son Green Deal, les gros pays consommateurs de charbon comme la Chine ou l’Inde modèrent son utilisation. Où que vous regardiez dans le monde, vous voyez des signes forts de progrès. Mais ces efforts sont inégaux. On voit aussi des signes négatifs, comme du côté de la Maison-Blanche ou du Brésil, dont les politiques ne vont pas dans le bon sens…
Qu’est-ce que la crise du Covid a modifié?
La crise épidémique a révélé que nos comportements et nos habitudes pouvaient changer en profondeur, et rapidement. Ce qui aurait pu prendre des années à être modifié l’a été en quelques semaines. Nous avons appris à nous débrouiller dans la vie avec moins, par exemple acheter moins de nourriture en utilisant ce que nous avions à la maison. Nous avons été créatifs. Cela vaut pour beaucoup de domaines, comme les transports, le travail, la vie domestique. Certains de ces nouveaux comportements vont durer.
« Il y a beaucoup de citoyens qui s’engagent un peu partout sans être juste catastrophistes comme Greta Thunberg. »
Pensez-vous que cette crise majeure va amplifier la prise de conscience en faveur de l’environnement?
Je pense que c’est une formidable occasion, encore faut-il la saisir. Regardons les exemples de la Première et la Seconde Guerre mondiales. Après le premier conflit mondial, nous avons pris un mauvais chemin en appliquant notamment les préceptes du protectionnisme. Ce fut une réponse négative et destructrice, qui a engendré deux ou trois décennies de malheurs économiques. Après la Seconde Guerre mondiale, la réponse a été beaucoup plus positive. Nous avons bâti l’ONU, l’Organisation internationale du travail, le FMI… Puis ce fut le début du projet européen. L’histoire de ces deux crises majeures montre qu’on peut en sortir en mal ou en bien. La crise actuelle est donc une grande opportunité, mais elle nécessite un leadership pour être efficace.
Les entreprises vont-elles poursuivre leurs efforts pour réduire leur pollution? Elles ont été laminées par la crise et le confinement. On peut donc penser qu’elles vont d’abord vouloir regagner de l’argent, sans s’embarrasser de contraintes environnementales…
Je pense qu’elles vont poursuivre dans cette voie de relance verte. De très nombreuses entreprises se sont engagées pour le « zéro émission de carbone », comme Microsoft, BP, Shell et la plupart des sociétés de la tech. La crise ne modifiera pas en profondeur ces engagements. De nombreuses revues et des experts tel Joseph Stiglitz ont d’ailleurs montré, ces dernières semaines, que l’épidémie du Covid-19 était une formidable occasion pour une relance verte.
Il y a deux ans, vous lanciez un appel pour que la taxe carbone appliquée aux entreprises soit portée à 50 ou 60 euros la tonne. Elle évolue aujourd’hui autour de 15 euros. Est-il opportun de relever cette taxe en pleine crise?
Nous devons évidemment augmenter le prix de la taxe carbone. Joseph Stiglitz et moi avions recommandé de 40 à 80 dollars la tonne maintenant et de 50 à 100 dollars la tonne d’ici à 2030. Cette taxe encourage la créativité, les nouvelles technologies, l’efficacité énergétique – et ses revenus sont valorisables. C’est le moment de l’augmenter afin de relancer et reconstruire notre économie de manière durable.
L’heure est aussi aux déclinistes, aux collapsologues, aux activistes qui, tels Greta Thunberg ou Extinction Rebellion, promettent un avenir sans beaucoup d’espoir…
Je pense que les jeunes citoyens sont plus importants qu’Extinction Rebellion. Bien sûr, Greta Thunberg est une sorte d’héroïne, mais il y a beaucoup d’autres citoyens qui s’engagent un peu partout dans le monde sans être juste catastrophistes. La prochaine génération s’intéresse à son futur, elle cherche à aller de l’avant, à être créative. Elle va investir dans les technologies du futur, pas dans celles du passé. En fait, c’est cela le principal changement depuis 2006 : les mouvements de jeunes
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