Ces Français ont inventé un ciment écolo !
En Vendée, Hoffmann Green élabore un ciment bas carbone. Une piste prometteuse face à l’urgence climatique.
Au milieu de la pelouse, d’immenses panneaux solaires se dorent les cellules pour alimenter en électricité l’usine expérimentale, à laquelle la fin du confinement redonne un peu de vie. Bienvenue sur le site de production de Hoffmann Green, installé dans la campagne vendéenne, à Bournezeau, près de La Roche-sur-Yon. Ici, sur trois hectares, on fabrique depuis 2019 du ciment bas carbone, selon un procédé qui permet de diviser par cinq l’empreinte carbone. « Notre ciment a un bilan carbone qui équivaut à celui du bois utilisé pour la construction », assure Julien Blanchard, président de Hoffmann Green.
Le ciment est le produit manufacturé le plus consommé au monde : 150 tonnes en sont coulées chaque seconde et, en France, 80% des bâtiments sont en béton. Face aux 866 kilos de CO2 émis par tonne de ciment traditionnel (type Portland CEM 1), les 172 kilos de CO2 émis par tonne de ciment Hoffmann Green (type H-UKR) font figure de révolution.
Activation à froid. Les cimenteries sont l’une des industries les plus polluantes pour la planète, le secteur représente à lui seul 5 à 7 % des émissions de gaz à effet de serre. Et pour cause, la fabrication du ciment traditionnel nécessite de chauffer à 1 450 degrés, pendant dix-huit heures, un mélange composé à 80 % de calcaire et à 20 % d’argile, pour obtenir du clinker. La combustion est obtenue en brûlant un mélange de fioul et de déchets. D’ailleurs, dans les fours, la flamme atteint 2 000 degrés, ce qui permet de se débarrasser de déchets que les incinérateurs ne savent pas traiter, comme l’amiante ou les pneus. Broyée très finement, la poudre de clinker est le composé essentiel du ciment, le liant, avec une plus ou moins grande concentration – de 5 à 95 % – selon les performances désirées.
Pour s’affranchir de cette cuisson ultrapolluante, Hoffmann Green a breveté un procédé d’activation à froid, donc sans clinker, sans four et sans cheminée. Pas besoin non plus de carrière de calcaire, les matériaux utilisés sont des coproduits de l’industrie, comme le laitier de haut-fourneau. Et côté qualité, « à dosage équivalent, nos bétons ont des performances techniques et mécaniques supérieures : ils sont plus solides, prennent plus vite et résistent mieux au feu », garantit Julien Blanchard. Mais il faut encore les faire homologuer : les ciments de la PME commencent juste à être utilisés. Fondée en 2015, l’entreprise, de 20 salariés aujourd’hui, n’a pas encore atteint son rythme de croisière. Une deuxième unité de production portera en 2022 la production de 50 000 à 300 000 tonnes de ciment par an, et une troisième en région parisienne devrait permettre d’atteindre les 550 000 tonnes : de quoi alimenter… 3 % du marché français.
Les géants du BTP, très dépendants des cinq grands cimentiers français, apprécient cette nouvelle perspective. Hoffmann Green a signé un contrat avec Bouygues Construction pour 50 000 tonnes de ciment et a fourni à Eiffage de quoi construire, à titre expérimental, un grand escalier du nouveau centre commercial Montparnasse à Paris. Les cimentiers traditionnels, qui possèdent les cimenteries mais aussi les carrières de calcaire, « peuvent difficilement sortir de leur modèle », estime Julien Blanchard. Mais ceux-ci n’ont évidemment pas l’intention de se laisser faire. « Nous avons déjà des solutions similaires, ces techniques ne sont pas si nouvelles », assure Mouloud Behloul, directeur du développement des solutions bas carbone chez LafargeHolcim France. Le géant franco-suisse du béton prépare d’ailleurs des annonces « pour l’été 2020, avec une nouvelle gamme de produits axés sur le bas et le très bas carbone », explique le responsable, qui promet de proposer alors « un produit meilleur que celui de Hoffmann Green ».
Surcoût. Côté prix, la tonne de ciment bas carbone coûte plus cher que la tonne de ciment traditionnel : 250 euros, contre 120 à 150 euros pour le Portland, ce qui augmente en moyenne « de 3 % le coût total d’un bâtiment, tous corps d’état confondus », assure Hoffmann Green. Un surcoût moins élevé que celui du bois, situé entre 10 et 20 %. L’entrée en vigueur à l’été 2021 de la réglementation RE2020, qui obligera à réduire l’empreinte carbone des constructions neuves, va changer la donne. Avec un plafond d’émissions de CO2 à respecter impérativement, il ne s’agira plus de comparer le prix du ciment bas carbone à celui du ciment traditionnel, mais plutôt de le comparer au prix des autres moyens de réduire l’empreinte carbone. Une mise en concurrence dont le résultat dépendra de chaque chantier.
Pour autant, le ciment bas carbone n’est pas une solution miracle. « C’est une optimisation du ciment, qui reste un matériau issu de stocks non renouvelables »,
explique Nicolas Lutton, expert en construction durable au cabinet d’ingénieurs EODD. « Lorsque nous serons capables de recréer un béton à partir de béton recyclé, alors nous réduirons vraiment son impact », poursuit-il. Dans la même veine, lorsqu’un immeuble est détruit, il serait possible, avant qu’un autre soit construit au même emplacement, de récupérer massivement les gravats pour les intégrer au granulat du béton destiné au nouvel immeuble. Mais ce type de réemploi est encore limité en France, où la part de béton réutilisé dans les granulats est plafonnée à 30 %, alors que les ingénieurs savent en utiliser jusqu’à 100 %. Une réglementation taillée pour protéger l’emploi dans les carrières françaises, disent les mauvaises langues, et qui devrait évoluer dans les prochaines années, au rythme des fermetures de carrières. « Trouver de nouvelles solutions high-tech pour construire plus propre à moyen et long terme, c’est bien, mais nous pouvons aussi agir à très court terme pour limiter le gâchis des matériaux, qui pourraient être réemployés et sont aujourd’hui envoyés à la décharge », regrette Sébastien Duprat, patron de Cycle Up, une place de marché en ligne pour le réemploi des matériaux de construction et des surplus de chantiers.
Selon lui, récupérer des matériaux est « l’une des manières les plus compétitives pour obtenir un bâtiment bas carbone ».
L’utilisation du bois, un matériau dit biosourcé qui commence son cycle de vie en absorbant du carbone, reste évidemment un levier majeur pour réduire l’empreinte écologique des constructions. Très utilisé en Europe du Nord, il peut remplacer facilement le béton, y compris pour les éléments structurels. Un bâtiment en bois génère l’émission de 200 à 300 kilos de CO2 par mètre carré construit – trois fois moins qu’avec le béton, sans compter que chaque kilo de bois équivaut à un kilo de CO2 stocké. « Il est absolument nécessaire de promouvoir la filière bois en France », juge Stéphanie Ledoux, architecte associée au cabinet AW2. Elle espère « une évolution des réglementations, qui sont le plus gros obstacle lorsqu’on travaille sur des projets en France », afin qu’elles permettent l’utilisation de l’ensemble des processus plus vertueux. Les chaînes d’approvisionnement françaises pour le bois de construction devront aussi évoluer. Elles piochent aujourd’hui dans des forêts d’Europe de l’Est et du Nord, ce qui engendre des émissions de CO2 lors du transport.
Combiner les solutions. « On ne peut pas se passer du béton pour certains ouvrages, comme le viaduc de Millau, mais pour tout le reste, il faut envisager les autres solutions plus responsables : le tout-béton est un principe d’un autre siècle ! » estime Nicolas Lutton. « Face à un défi aussi monumental et à l’urgence climatique absolue, aucune des filières bas carbone ne peut à elle seule porter la solution : il faut combiner toutes les solutions disponibles », estime pour sa part Sébastien Duprat de Cycle Up. Autre piste, peut-être la plus évidente : utiliser moins et mieux les matériaux. « Certaines entreprises mettent du béton surdosé en ciment sur les façades, alors que celui-ci est prévu pour les éléments structurels du bâtiment, car elles ne veulent pas avoir à gérer deux types de béton sur leur chantier : c’est une pratique qu’il faut bannir», dénonce Mouloud Behloul, chez LafargeHolcim. « Le béton est parfois utilisé par paresse, car c’est le plus solide et le plus facile, avec des ajustements au centimètre là où les matériaux biosourcés nécessitent une précision de l’ordre du millimètre », renchérit Nicolas Lutton. « Avec plus de matière grise, on réduit l’énergie grise », dit un dicton du BTP : c’est aussi vrai avec moins de matériaux…
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« Le béton est parfois utilisé par paresse, car c’est le plus solide et le plus facile. » Mouloud Behloul, LafargeHolcim