Me Henri Leclerc : « Les juges se croient parfois tout permis »
Après les révélations du Point sur l’espionnage de plusieurs avocats en marge de l’affaire Bismuth, Me Leclerc a été désigné par le bâtonnier de Paris pour intenter une action contre l’État.
C’est parce qu’il est viscéralement attaché au secret professionnel que le bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, a choisi Henri Leclerc – 86 ans, dont soixantequatre de barre – pour défendre ses pairs. Les révélations du Point (voir n° 2496) sur un espionnage de plusieurs cabinets d’avocats (Dupond-Moretti, Veil, Haïk, Canu-Bernard, etc.), à travers l’épluchage de leurs factures téléphoniques détaillées (fadettes) en marge de l’affaire « Paul Bismuth », ont déclenché un séisme politique et judiciaire. La droite demande depuis la suppression du Parquet national financier (PNF), dont les méthodes déloyales sont pointées du doigt ; Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, a commandé, en attendant l’ouverture éventuelle d’une inspection de ses services, un rapport circonstancié à la procureure générale de Paris, Catherine Champrenault ; et le conseil de l’ordre des avocats de Paris réfléchit au meilleur moyen d’attaquer l’État, probablement pour fonctionnement défectueux du service de la justice, même si Henri Leclerc se refuse pour le moment à dévoiler sa stratégie judiciaire – « secret professionnel », sourit-il. La voix de cet ancien président de la Ligue des droits de l’homme, totem absolu de la Défense avec un grand « D » et plus généralement du monde judiciaire, résonne bien au-delà des affaires qu’il a eu à plaider, quelque célèbres qu’elles puissent être – il a notamment défendu Dominique StraussKahn en 2015 dans le dossier du Carlton de Lille. Considéré comme un monstre sacré des prétoires, Henri Leclerc a accepté de répondre aux questions du Point.
Le Point: Éric Dupond-Moretti, dont les fadettes ont été épluchées pendant quinze jours, a réagi aux révélations du «Point» et à ce qu’il considère être une atteinte sans précédent à sa vie privée et son secret professionnel. L’avocat qualifie cette pratique de «barbouzarde». Vous êtes d’accord? Me Henri Leclerc :
Oui. Le secret professionnel de l’avocat est un fondement nécessaire de la société. C’est même le fondement des droits de la défense. Il faut bien comprendre que ce secret professionnel n’est pas fait pour les avocats, mais pour protéger ceux qui s’adressent à eux : le justiciable, le citoyen, ceux qui décident de saisir la justice, qui y sont confrontés malgré eux ou qui sont victimes d’une atteinte à leurs libertés. À la fin du XIXe siècle, les professeurs de droit comptaient trois secrets : le secret de la confession, le secret de l’avocat et celui du médecin. Qui irait chez son médecin en toute confiance si ce secret n’existait pas ? Personne. Il est donc nécessaire de le préserver. Aujourd’hui, on ajouterait le secret des sources des journalistes, pas tant destiné à les protéger eux que ceux qui les informent.
Les avocats espionnés n’ont pas été mis sur écoute, seules leurs fadettes ont été épluchées. Le contenu de leurs conversations avec leurs clients n’est donc pas connu…
Les pouvoirs publics n’ont pas à connaître les noms et les numéros de téléphone des clients des avocats, pas plus que la durée de leurs appels ou le lieu où ils se trouvent au moment où ils les passent. Les avocats sont des hommes comme les autres, et peuvent faire des conneries. Ils peuvent parfois, au nom du secret,
« Les pouvoirs publics n’ont pas à connaître les noms et les numéros de téléphone des clients des avocats. »