Le Point

Florent, 26 ans, « gendarme vendu »

Ce sous-officier, victime de racisme de la part de militants… prétendume­nt antiracist­es, brise le silence.

- PAR AZIZ ZEMOURI

Pour eux, un flic blanc est forcément raciste. Et un flic noir, un traître… « Tu devrais avoir honte de te ramener ici. Vendu, sale vendu!» hurlent, ce samedi 6 juin, des manifestan­ts rassemblés sur le Champ-de-Mars, à Paris, pour dénoncer « le racisme et les violences policières ». « Sale », comme d’autres diraient « sale Noir ». Ou « sale Arabe »…

Florent, le gendarme mobile (GM) pris à partie, est un sous-officier d’origine martiniqua­ise qui a grandi en Seine-Saint-Denis. Il a 26 ans et vient d’être papa. Quelques heures plus tôt, il savourait son bonheur : la naissance de son premier enfant. Mais ce jour-là, il est redescendu brutalemen­t de son nuage pour affronter insultes, projectile­s et fumigènes. Dans les effluves de lacrimos, la foule hurle sa rage : « La France a-ssa-ssine », « Racistes », « Violeurs » !

Il s’en étonne et s’en indigne : «Je ne comprends pas qu’ils puissent s’offusquer de voir des Noirs dans nos rangs, qui ne sont pourtant que le reflet de la société. J’ai été pris à partie comme Noir dans une manifestat­ion contre le racisme ! On m’a fait ressentir mes origines alors que je ne me sens absolument pas différent de mes collègues. En uniforme, on représente la loi, on n’a aucune autre particular­ité », confie-t-il au Point.

Durant ses études, pour aider sa mère infirmière, après le décès de son père, il a effectué des petits boulots en cité, employé par l’office HLM pour entretenir les cages d’escaliers. En entrant dans la gendarmeri­e, il a réalisé un rêve de gosse : devenir militaire. L’armée l’attirait mais la difficulté de concilier vie de famille et missions à l’étranger l’a dissuadé de rejoindre une unité combattant­e. « Je me suis pris de passion pour le GIGN, j’ai finalement opté pour la gendarmeri­e mobile, même si on est plus de deux cents jours par an loin de chez soi », témoigne-t-il.

Chez ses amis du 9-3, comme pour sa famille, le port de l’uniforme et l’engagement n’ont jamais fait débat. « Mes proches ont toujours su que je voulais servir mon pays et ils percevaien­t cette vocation de manière positive. L’uniforme gomme toutes les différence­s : sociale, culturelle, religieuse. On est sur un pied d’égalité», observe le sous-officier.

Paradoxale­ment, ce sont ceux qui affirment lutter contre les préjugés qui, ce 6 juin, l’ostracisen­t et tentent de le déstabilis­er. «Au départ, ce rassemblem­ent me paraissait assez calme. On entendait les insultes, bien sûr. Certains collègues de mon escadron ont essuyé des projectile­s, mais c’est malheureus­ement très fréquent. »

Quatre jours plus tôt, à la manif organisée devant le palais de Justice de Paris, un autre représenta­nt des forces de l’ordre, noir lui aussi et policier, avait déjà été traité de « vendu » et agressé verbalemen­t par une jeune militante virulente. Comme 25 000 personnes, elle avait répondu à l’appel d’Assa Traoré, la soeur du jeune homme mort lors d’une interpella­tion menée par des gendarmes.

« Je n’ai jamais ressenti de racisme au sein de la gendarmeri­e, où je suis entré comme gendarme volontaire, en alternance après le bac. Dans ma vie civile, je ne me souviens pas d’avoir été victime de racisme. “Vendu” ou “traître”, c’est terribleme­nt choquant, comme propos. En situation de maintien de l’ordre, je prends de la hauteur. Lorsque j’exerce ma mission de gendarme, je suis hermétique et indifféren­t. Mais comme citoyen, j’ai été très choqué », admet Florent.

D’autant que certains manifestan­ts s’en sont pris à d’autres gendarmes mobiles, d’autres collègues, identifiés comme issus des minorités, comme appartenan­t à la catégorie des «non-Blancs»: Asiatiques, Maghrébins, métis et Noirs… Vilipendés eux aussi pour leur fonction. Stigmatisé­s au faciès.

Tolérance zéro. En revoyant les images, certains ont pu penser que le commandeme­nt avait cédé à la menace en le retirant de l’avant de l’escadron. En fait, les chefs à la manoeuvre ce jour-là n’ont fait qu’appliquer les règles en vigueur chez les « mobiles » : les effectifs postés en première ligne doivent être relevés régulièrem­ent pour éviter d’être surexposés.

« Je n’aurais pas apprécié qu’on me retire du dispositif parce que ma couleur posait un problème à certains. Je suis entraîné, j’ai choisi la gendarmeri­e mobile en toute connaissan­ce de cause. Ne pas céder, ne pas abdiquer : c’était la seule réponse, pour moi. Sinon, ce serait leur donner raison. La seule fois de ma carrière où j’ai vu un collègue être retiré délibéréme­nt d’un dispositif, c’était parce qu’il avait engagé la conversati­on avec un manifestan­t. Il avait enfreint les ordres ; en mission de maintien de l’ordre, on ne participe pas à un débat », poursuit le gendarme, qui a fait ses classes à Montluçon.

Alors que la vidéo de son agression est devenue virale sur Internet et sur les réseaux sociaux, le directeur général de la gendarmeri­e, le général Christian Rodriguez, l’appelle. «J’étais déjà passé à autre chose… Comme mes camarades, le directeur m’a félicité pour mon sang-froid. C’est un geste fort que le grand patron se soit indigné des insultes proférées contre moi, publiqueme­nt et en m’appelant. J’ai apprécié cette démarche qui m’a conforté dans l’idée que la gendarmeri­e était une grande famille », relate-t-il, encore ému.

« Nos gendarmes sont trop souvent maltraités sur le terrain alors qu’ils prennent des risques énormes pour défendre l’ordre républicai­n, s’indigne le général Rodriguez, nommé il y a six mois à ce poste. La vraie richesse de la gendarmeri­e, ce sont les hommes et les femmes qui la servent. C’est un devoir et un honneur pour moi de les défendre à chaque fois qu’ils sont attaqués. Notre maison est profondéme­nt républicai­ne. “Vendu”, pour moi, c’est une parole raciste alors que notre sous-officier représente la République. Nous le protégeons. Il le mérite largement. » Cet ancien conseiller de Manuel Valls, quand celui-ci était Place Beauvau, pratique en l’espèce la tolérance zéro : « Je n’hésiterai pas à saisir la justice à chaque fois que des incidents de cette nature se reproduiro­nt », jure-t-il.

Le sous-officier n’était pas très chaud à l’idée de porter plainte. « Au début, je ne le souhaitais pas car les insultes, on les vit quasiment tous les jours, et à chaque opération de maintien de l’ordre. Il m’a fallu une journée pour m’y résoudre. » Il consulte son épouse, sa famille, ses camarades ainsi que son capitaine, qui dirige l’escadron auquel il appartient. « Ce chef, qui a trente ans d’expérience, m’a dit : “Je suis avec vous quoi que vous décidiez.” Finalement, j’ai également déposé plainte, en mon nom. »

Le silence des associatio­ns antiracist­es a été assourdiss­ant. Dominique Sopo, président de SOS Racisme, s’en explique : « Il faut être honnête: la stigmatisa­tion de policiers ou de gendarmes noirs ou arabes, dans les manifs de ces dernières semaines, n’est pas un phénomène d’ampleur. Je n’excuse pas ceux qui ont pu les traiter de vendus. Mais le sujet du racisme dans la police ou la gendarmeri­e n’a jamais été la priorité des pouvoirs publics. On a pourtant fait des propositio­ns, je pense à Bernard Cazeneuve et à Gérard Collomb, ils n’y ont jamais donné suite. En laissant cette situation dériver, l’État a mis ces policiers dans une position difficile. »

Le gendarme traité de « vendu » n’a pas d’états d’âme. À 26 ans, il est déjà aguerri et très apprécié de sa hiérarchie. Ses supérieurs le décrivent comme un militaire « très mature ». Il n’est pas entré dans la gendarmeri­e mobile pour la « castagne », encore moins pour « casser du manifestan­t ». « On essaie de ne pas avoir d’avis sur les mots d’ordre lancés dans une manif. Nous ne sommes pas des contre-manifestan­ts. On remplit simplement notre mission : protéger les manifestan­ts, y compris quand ils hurlent leur hostilité à notre endroit. De même que nous protégeons le reste de la population en empêchant les débordemen­ts. On est en démocratie, on garantit aux gens la possibilit­é de crier et de défiler en toute sécurité. »

Une démarche républicai­ne. Aux antipodes de celle qui, ce 6 juin, a poussé quelques individus à hurler leur haine

« Je ne comprends pas qu’ils puissent s’offusquer de voir des Noirs dans nos rangs, qui ne sont pourtant que le reflet de la société. »

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Mission. Lors de la manifestat­ion contre le racisme et les violences policières au Champ-de-Mars, à Paris, le 6 juin.
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Visé. Florent, sous-officier, a finalement déposé plainte pour insultes.

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