La chronique de Patrick Besson
Le naute : navigateur des fleuves et des rivières dans la Gaule romaine. L’internaute : marin des réseaux sociaux dans la France d’Internet. Le naute travaillait en plein air où il y avait ses rameurs, l’internaute reste dans sa chambre où il y a son ordinateur. On a connu les cosmonautes, les astronautes, les astronomes, les astrologues. Voici l’internaute, nouveau personnage de la comédie humaine. Son portrait n’est pas facile à faire, le modèle vivant caché derrière un pseudo. Il ne signe pas ses lettres, pour la plupart de dénonciation. Le boulot qu’aurait eu la Gestapo, si Internet avait existé en 1940. L’internaute ne donne pas non plus une photo de lui, même de dos, qui pourrait l’identifier. Cet homme n’est pas entendu alors qu’il se comprend. Cette femme n’est pas vue alors qu’elle se contemple. Dès qu’il se met à naviguer, c’est-à-dire tous les jours pendant plusieurs heures, l’internaute n’a plus de sexe. C’est l’être parfait de Platon enfin réconcilié. L’Académie française songera-t-elle bientôt à féminiser le mot ? Un internaute, une internautesse. Il y a des internautes qui se font passer pour des internautesses, des internautesses qui prétendent être des hommes. Quand tout est permis, c’est le signe qu’il n’y a plus de liberté.
Comment se nourrit l’internaute ? Le fait est qu’il ne se met pas à table : impossible de manger en face d’un ordinateur, il est trop distrayant. Sur un tabouret à côté de son bureau, l’internaute a déposé un sandwich aux sardines – ou aux anchois – et un verre de lait. Il est sans alcool, déjà ivre de lui-même. Son habillement ? Un tee-shirt Apple, un short Facebook, des chaussettes Orange.
L’internaute est le gendarme non assermenté du XXIe siècle. Il veut imposer une loi : la sienne. Il ignore en quoi elle consiste, à part lui donner une contenance, étant lui-même sans contenu. Son champ de bataille : les réseaux sociaux. Il lutte sans savoir pourquoi ni contre qui, jusqu’au jour où il se rend compte que tout l’insupporte, et que son ennemi, c’est tout le monde. L’internaute exprime sa colère, mais la colère n’exprime pas l’internaute : elle l’étouffe. Ses commentaires s’en ressentent : on dirait des suffocations. L’internaute manque d’air, enfermé dans lui-même qu’il prend pour le monde entier, ce que lui prouve son ordinateur. Ses doigts s’agitent sur le clavier, victimes d’un perpétuel tremblement de rage. Les mots lui manquent, du coup il a recours aux insultes. Il ne débat pas, il se débat.
Comment soulager ce mécontent chronique qui croit faire la loi alors qu’il la défait ? Une gigantesque panne informatique mondiale nous sauvera peut-être du monde selon Bill Gates. Toutes les réactions sont réactionnaires. Ce qui est progressiste, c’est le sourire
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L’internaute est le gendarme non assermenté du XXIe siècle. Il veut imposer une loi : la sienne.