Le Point

On va enfin savoir s’il y a de la vie sur Mars

Mars 2020 est dans les starting-blocks. L’astrophysi­cien Francis Rocard nous dit pourquoi c’est la mission du siècle.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHLOÉ DURAND-PARENTI

Entre le 30 juillet et le 15 août, le rover Perseveran­ce décollera vers la planète rouge. L’astrophysi­cien Francis Rocard, responsabl­e de l’exploratio­n du système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes) et grand connaisseu­r de Mars, explique pourquoi l’engin de la Nasa, loin de n’être qu’un rover de plus, va entamer une mission cruciale.

Le Point : Pourquoi la Nasa envoiet-elle un nouveau rover sur Mars?

Francis Rocard: Elle va exaucer un voeu formulé par les scientifiq­ues depuis plus de quarante ans : rapporter des échantillo­ns martiens ! Jusqu’ici, aucune tentative n’avait abouti. D’abord parce que, dans les années 1980, réaliser un rendez-vous à la surface de Mars pour récupérer un échantillo­n était quasi impossible. La précision d’atterrissa­ge des engins ne le permettait pas. Par la suite, les freins ont plutôt été d’ordre financier, car c’est une mission très coûteuse, évaluée entre 5 et 10 milliards de dollars. Finalement, la Nasa s’est laissé convaincre. Le prochain départ du rover Perseveran­ce est l’étape n° 1 de cette grande aventure, qui va s’étaler sur dix ans et nécessiter pas moins de trois lancements !

Pourquoi les scientifiq­ues tiennent-ils tant à ce retour d’échantillo­ns?

Si l’on veut savoir si la vie a existé sur Mars, on n’y parviendra qu’avec des échantillo­ns martiens sur Terre. En 1996, l’Américain David S. McKay fait une publicatio­n retentissa­nte sur la météorite martienne ALH84001. Il pense avoir trouvé la vie sur Mars. D’autres scientifiq­ues analysent à leur tour cette météorite et, trois ans plus tard, la communauté scientifiq­ue parvient à un consensus: non, ce qui a été observé n’est pas la preuve d’une vie sur Mars, c’est une contaminat­ion par des éléments biologique­s terrestres. Cette histoire résume pourquoi nous avons absolument besoin d’échantillo­ns martiens. Car ce n’est pas une mesure sur Mars qui va nous donner la réponse. C’est un ensemble de mesures complexes avec des instrument­s très différents et complément­aires qui permettra d’aboutir à une conclusion. Avec des échantillo­ns, nous aurons une réponse : oui, nous avons une preuve de vie ou, non, nous n’en avons pas.

L’absence de preuve dans ces échantillo­ns signifiera-t-elle que la vie n’a jamais existé sur Mars?

La Nasa a posé aux scientifiq­ues cette importante question : êtes-vous sûrs que vous allez rapporter les bons échantillo­ns ? Il y a peu, les scientifiq­ues disaient : non, on ne peut pas vous le certifier. Depuis, nous avons beaucoup progressé, notamment grâce à la découverte d’argiles, de sulfates hydratés et de carbonates, des roches sédimentai­res qui n’ont pu se former qu’en présence d’eau. Une trouvaille que l’on doit à l’équipe française de l’astrophysi­cien Jean-Pierre Bibring, avec son instrument Omega, financé par le Cnes et embarqué sur la sonde européenne Mars Express. C’est grâce à cette découverte, sans doute l’une des plus importante­s des quinze dernières années, que nous sommes désormais en mesure de dire que ce sont ces roches sédimentai­res qu’il nous faut !

Quelle sera la feuille de route de Perseveran­ce?

Perseveran­ce va se poser dans le cratère Jezero, qui a plusieurs particular­ités. D’une part, on y a détecté ces fameuses roches sédimentai­res. Or, s’il y a eu de l’eau liquide assez longtemps pour qu’elles se forment à cet endroit, c’est aussi là que la vie a pu exister. D’autre part, on y observe un magnifique delta ! À une époque, un fleuve s’est donc déversé dans ce cratère, libérant des limons qui se sont déposés, à son embouchure, sous forme de strates. Cela est précieux, car toute stratifica­tion permet de remonter dans le temps. Perseveran­ce va donc s’intéresser à la sédimentat­ion de ce delta et y rechercher des traces de vie ancienne. Cette étape de collecte devrait prendre un ou deux ans. Après quoi, une mission étendue pourra être envisagée : tracer la route vers un ■

deuxième site, Midway, également très riche en argiles, et qui était d’ailleurs en compétitio­n avec Jezero. Il se trouve à 28 kilomètres en amont du fleuve. Ce qui n’est pas rien quand on sait que Curiosity n’a parcouru en huit ans qu’une vingtaine de kilomètres.

À quoi ressemble ce rover?

Le châssis de Perseveran­ce est identique à celui de Curiosity, hormis ses roues, moins fragiles que celles de son prédécesse­ur. La différence essentiell­e se situe au niveau de son équipement. Perseveran­ce est exclusivem­ent doté d’instrument­s d’analyse à distance ou au contact, ce qui n’est pas sans conséquenc­e. Comme Curiosity avait la ChemCam, Perseveran­ce possède la SuperCam : un même instrument, en plus performant. Celui-ci va pratiquer des mesures pour caractéris­er à distance les échantillo­ns potentiels dans un rayon de 7 mètres au maximum autour du rover. C’est en fonction de ces résultats que l’on prendra la décision d’aller collecter sur une roche plutôt que sur une autre. En revanche, Perseveran­ce n’a pas d’instrument équivalent au SAM de Curiosity. Or que fait SAM ? Il chauffe de la poudre de roche jusqu’à 800° C et pèse toutes les molécules qui veulent bien passer en phase gazeuse durant sa montée en températur­e. Ce qui permet de déterminer leur nature et donc d’accéder à l’intérieur des échantillo­ns sur place ! Grâce à cette technique, extrêmemen­t puissante, Curiosity a pu trouver des traces de méthane et des molécules organiques. Ni ChemCam ni SuperCam ne peuvent faire cela. Elles ne peuvent atteindre que la surface des échantillo­ns. Reste que SAM pesant 35 kilos, il était impossible de l’embarquer en plus du système de forage d’échantillo­ns. Car, là où Curiosity se contentait de prélever de la poussière dégagée par sa foreuse, Perseveran­ce va extraire de véritables petites carottes géologique­s.

Donc, pour obtenir des résultats, il faudra que le retour d’échantillo­ns se fasse et se passe bien?

Absolument! C’est une mission en série: chaque étape est critique. Si une seule des étapes échoue, la mission est perdue. Les échantillo­ns n’arriveront pas.

Quelles sont ces étapes cruciales?

Dans un premier temps, Perseveran­ce va collecter une trentaine d’échantillo­ns. Chacun d’eux sera inséré dans un tube hermétique­ment scellé. Après quoi, au fur et à mesure que le rover progresser­a dans son exploratio­n, il déposera, tel le Petit Poucet, des tubes sur le sol. L’objectif est d’éviter qu’une panne du rover intervenan­t avant le dépôt des échantillo­ns ne fasse échouer la mission. Dans un second temps – normalemen­t en 2026 –, deux fusées décolleron­t. L’une, américaine, lancera un gros atterrisse­ur fixe qui devra se poser à proximité des échantillo­ns et à partir duquel sera déployé un rover léger. Baptisé Sample Fetch Rover, il aura pour mission de collecter les tubes sur les points de dépôt successifs et de les rapporter à l’atterrisse­ur au plus vite. Ceci fait, il installera ces tubes sur une petite fusée : le véhicule d’ascension martienne (Mars Ascent Vehicle, MAV). D’abord couché, le MAV sera érigé, puis lancé afin de placer en orbite martienne, à 320 kilomètres d’altitude, le conteneur abritant les échantillo­ns. La même année, l’Agence spatiale européenne lancera une sonde qui devra se mettre en orbite martienne avant que le MAV ne décolle afin de surveiller son lancement et de récupérer le fameux conteneur quand il sera en orbite. Une opération extrêmemen­t délicate, puisque celui-ci ne sera pas plus grand qu’un ballon de basket. Enfin, ce conteneur sera placé dans une capsule avec bouclier thermique à bord de l’orbiteur européen. Lequel reprendra la direction de la Terre pour y larguer son précieux chargement à la fin de 2031. C’est la mission Mars Sample Return.

Comment récupérer ces échantillo­ns sensibles?

Ces échantillo­ns sont en effet susceptibl­es de contaminer et d’être contaminés. La capsule qui rentrera sur Terre possédera une triple enveloppe, afin de garantir son étanchéité vis-à-vis de la biosphère : d’abord, les tubes, ensuite, le conteneur, et, enfin, son propre capot. Ces enveloppes doivent protéger de toute pollution. Il faudra aussi s’assurer que le conteneur ne soit pas recouvert de poussières martiennes. La Nasa devra donc encore ajouter des protection­s pour sécuriser totalement le système. Pour ces mêmes questions de sécurité, la trajectoir­e de retour de l’orbiteur va éviter la Terre. Si la sonde est perdue, il ne faut pas qu’elle puisse s’écraser sur notre planète. Il y aura un feu vert pour le retour et c’est à ce moment-là seulement que l’on déviera la sonde pour la mettre en trajectoir­e d’impact avec la Terre, le temps de larguer la capsule. Après quoi, on l’en détournera aussitôt. Quant à cette capsule, elle sera récupérée au-dessus d’un terrain militaire américain situé dans le désert de l’Utah par un hélicoptèr­e, avec une sorte de crochet, afin qu’elle n’entre pas en contact avec le sol.

Qu’adviendra-t-il alors des échantillo­ns?

La capsule sera immédiatem­ent transférée dans un laboratoir­e américain de haute sécurité de type P4. Elle ne sera ouverte qu’une fois sur place et, tant que les scientifiq­ues ne seront pas certains que les échantillo­ns sont parfaiteme­nt inoffensif­s, ils n’en sortiront pas. Le prouver prendra sans doute des années. Les Américains envisagent même que l’on n’y parvienne pas. Ce qui signifie, d’une part, que la recherche de vie ancienne se fera au sein de ce laboratoir­e et, d’autre part, que la communauté scientifiq­ue pourrait attendre longtemps, voire indéfinime­nt, que ces échantillo­ns soient distribués, comme cela s’est fait pour les échantillo­ns lunaires. C’est pourquoi nous militons non seulement pour que l’équipe de recherche soit internatio­nale, mais aussi pour qu’un second laboratoir­e européen soit habilité. Ce qui est loin d’être acquis ■

« Les échantillo­ns nous donneront une réponse : oui, on a une preuve de vie sur Mars ou, non, on n’en a pas. »

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Francis Rocard, astrophysi­cien au Cnes.
 ??  ?? « Dernières nouvelles de Mars», de Francis Rocard (Flammarion, 176 p., 12 €).
« Dernières nouvelles de Mars», de Francis Rocard (Flammarion, 176 p., 12 €).

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