Roman (Douglas Kennedy) : fiévreux de 5 à 7
Avec Isabelle, l’après-midi, Douglas Kennedy métamorphose une banale histoire d’adultère en divine idylle.
Ils communient l’un avec l’autre et c’est beau comme du saint Augustin sous le crayon de Manara.
«C’est l’histoire, c’est l’histoire, d’un amour. » D’un amour à la sensualité renversante, interdit, secret et obsessionnel, jamais usé par la vie domestique. Samuel, étudiant américain, découvre Paris dans les années 1970. Isabelle, la femme française, plus âgée, mariée, catherinedeneuvesque en diable, lui apprend tout de l’amour humain. Ensemble, deux fois par semaine et « l’après-midi » seulement, dans une cambuse minuscule au 9 rue Bernard-Palissy, ils traversent tous les tableaux érotiques que leur imagination leur soumet, ils s’y abandonnent avec grâce et délice ; ils franchissent les barrières, frôlent, bisent, baisent, étreignent, goûtent et se mêlent, ils communient l’un avec l’autre et c’est beau comme du saint Augustin sous le crayon de Manara.
Et puis ils se quittent. Elle ne renonce ni à son mari ni à sa vie. Lui rentre chez lui, tombe amoureux et se marie. C’est la vie. Sauf qu’aucun n’oublie. Ils s’écrivent, entretiennent le secret, nourrissent le désir, idéalisent année après année la divine idylle. «Avant Isabelle, je ne connaissais rien au sexe. Avant Isabelle, je ne connaissais rien à la liberté. Avant Isabelle, je ne connaissais rien à la vie. » Cette histoire,
on la connaît par coeur, et c’est pourtant fascinant. D’une part, parce que Douglas Kennedy n’est pas un simple storyteller hors pair (adulé par le public européen alors qu’il n’a longtemps pas eu d’éditeur aux États-Unis), c’est un photographe du tonnerre. À partir d’un négatif déjà vu mille fois, il développe une image pure et inoubliable. Ouverture du diaphragme, temps d’exposition, température du révélateur, sa mécanique est imparable, c’est un orfèvre. Et de deux, parce que la force d’un roman peut aussi venir de sa normalité absolue, de sa symétrie, parfaite et déchirante, avec le réel.
« Toute vie, lorsqu’elle le peut, a ses après-midi avec Isabelle », écrit Kennedy. Pas de rebondissements sauvages, de gadgets de scénario ou de hautes tensions dramatiques dans cette géographie de l’amour (jamais les deux amants ne se réveilleront ensemble, pas une fois ils ne sortiront ou marcheront ensemble), juste l’exploration, implacable et puissante, de la vie d’un homme et de la passion d’une vie, « confinée » dans une poignée d’après-midi ■
Isabelle, l’après-midi, de Douglas Kennedy, traduit de l’anglais (États-Unis) par Chloé Royer (Belfond, 312 p., 22,90 €).