Mode : la toile oblique de Dior
Plus qu’un logo, ce motif, né en 1968, est devenu l’attribut esthétique de Dior.
Des mannequins de la maison Dior en partance pour un défilé à New York, avec au bras des bagages siglés. La photo date d’il y a près d’un demi-siècle, 1972, pour être exact, mais elle dessine deux ressorts de la mode d’aujourd’hui : miser sur le charisme des égéries et imaginer des accessoires de luxe identifiables au premier regard. L’idée de cette toile est signée Marc Bohan. Chez Dior de 1961 à 1988, le directeur artistique veut imaginer un motif impactant. Pari réussi. « Désormais, tout bagage qui se respecte – fourre-tout, pochette, porte-documents ou valise – doit être imprimé d’un sigle célèbre ou d’un signe distinctif qui, pour l’oeil averti, ne laisse rien ignorer de son origine », peut-on lire dans un journal français daté du 2 mars 1972 et consigné dans les riches archives Dior. Déclinée en marron, en bleu, mais aussi en rouge et noir, cette toile imperméable en coton siglée d’un Dior en biais est d’abord proposée sur une ligne de bagages en 1968, puis, l’année suivante, sur des sacs, des ceintures et de la petite maroquinerie, à l’époque sous la houlette du licencié Guené. Le sac Logo fera même deux apparitions lors du défilé haute couture printemps-été 1969, fait plutôt rare à l’époque – aujourd’hui, ce serait une hérésie ! Car le directeur artistique nourrit de grandes ambitions pour sa toile Logo, qu’il décline aussi sur une robe-chemisier, pour sa collection Boutique de la même saison. « Le mieux vendu de ses Colifichets [une des lignes, NDLR] est une robe de soie surah ayant le mot Dior imprimé sur l’ensemble de la robe. Il semblerait que la princesse Grace de Monaco en ait acheté une demi-douzaine de toutes les couleurs », écrira la journaliste Gloria Emerson, dans le New York Times du 5 janvier 1967. Succès oblige, la maison ouvre une liste d’attente. Ainsi, en 1974, Guené annonce vingt-quatre mois de délai pour se procurer un sac en toile Logo. À New York, Saks consacre une vitrine entière à ces produits logotypés, et même la moquette de la boutique parisienne Dior, rue Boissy-d’Anglas, reprend le motif siglé. Mais, après ces années fastes, le logo disparaît en 1989 avec le nouveau directeur artistique, Gianfranco Ferré. Il faut attendre 1996 et l’arrivée de son successeur, le flamboyant John Galliano, pour que le motif emblématique soit remis en lumière. Puis il retombe dans l’oubli avant d’être à nouveau repêché par Maria Grazia Chiuri, l’actuelle directrice artistique. « J’ai commencé ma carrière avec les accessoires, j’ai donc une sensibilité particulière dans ce domaine. Lorsque j’ai rejoint Dior, je me suis rendu compte que l’oblique était un emblème de la maison au même titre que la veste Bar, explique-t-elle. J’ai voulu lui redonner sa valeur, mais aussi une nouvelle image. D’où la finition jacquard et la broderie, pour donner du relief et l’utiliser sans doublure, sans recourir aux finitions en cuir. » Dès le printemps-été 2018, la créatrice romaine se réapproprie la toile avec un modèle de cabas, le Book Tote*, qui va vite devenir l’un des grands succès commerciaux de Dior. Une pièce qui demande trente-sept heures de travail, avec un jacquard composé de plus de 1 500 000 points de couture et que l’on peut sigler de ses initiales. « L’oblique n’est pas qu’un simple motif, c’est devenu un imaginaire dont de nombreuses personnes se sentent proches, notamment une nouvelle génération de femmes qui ne le connaissaient pas », ajoute Maria Grazia Chiuri. Depuis, l’oblique s’arrache – jusque dans la nouvelle boutique phare de la marque, à Paris (au 261, rue Saint-Honoré), inaugurée tout début juillet… ■
* Prix sur demande, dior.com