Le Point

Le boulet de la dette

Le redresseme­nt économique sera encore plus difficile pour les pays entrés dans l’épidémie avec des finances publiques en mauvaise santé.

- par Pierre-Antoine Delhommais

La lecture des toutes dernières prévisions du FMI et de l’OCDE pour l’économie mondiale est vivement déconseill­ée aux Français qui souhaitent ne pas gâcher leurs vacances. Pas une région, pas un pays qui échappe à la déroute, même ceux qui ont pour l’instant résisté aux assauts du Covid-19, telle la Norvège, qui compte « seulement » 250 victimes, mais où le PIB devrait malgré tout reculer d’au moins 7 % cette année.

Si tous les pays vont être touchés par la pandémie économique, certains le seront plus que d’autres, dont la France qui, aux côtés de l’Espagne et de l’Italie, est, selon le FMI, la nation au monde qui connaîtra en 2020 la récession la plus sévère (– 12,5 %). D’après les estimation­s glaçantes de l’OCDE, le chômage devrait y grimper à 12,3 % à la fin de l’année, contre 5 % en Allemagne et même jusqu’à 13,7 % en cas de seconde vague (5,5 % en Allemagne).

Les séquelles à plus long terme ne s’annoncent pas non plus de la même gravité d’un pays à l’autre, notamment en raison de l’impact différenci­é qu’aura la crise sur les finances publiques, plus ou moins fort et durable, selon la situation dans laquelle celles-ci se trouvaient quand le virus est arrivé. Le contraste est par exemple saisissant entre le Danemark et la France. Le premier a abordé la crise avec une dette publique limitée à 33,2 % du PIB qui devrait monter à 43,8 % à la fin de 2020, un niveau qui reste mesuré et n’a rien d’inquiétant. Contrairem­ent à celui de la dette française, qui s’établissai­t à 98,1 % du PIB avant l’épidémie et va bondir à plus de 120 % à la fin de l’année.

Dans le rapport qu’elle vient de publier, la Cour des comptes souligne les conséquenc­es de tels écarts d’endettemen­t sur le redresseme­nt économique des pays, une fois l’épidémie passée. « Lorsque la dette est initialeme­nt faible et reste ainsi modérée à la suite du choc, il n’est pas nécessaire, ni même forcément opportun, de chercher à trop la réduire. La situation est beaucoup plus délicate lorsque le niveau d’endettemen­t est déjà important avant la survenance du choc. » Sous peine de perdre totalement le contrôle de la situation, les pays initialeme­nt lourdement endettés vont être contraints de serrer très rapidement les cordons de la bourse, tandis que les pays qui présentaie­nt au départ une dette faible pourront patienter avant de durcir leur politique budgétaire.

Déjà inquiète avant la pandémie, la Cour des comptes se montre aujourd’hui franchemen­t alarmiste sur la situation des finances publiques en France. « La soutenabil­ité de la dette constitue désormais un enjeu central, explique-t-elle. Le rééquilibr­age spontané des comptes publics ne sera, selon toute vraisembla­nce, que très partiel : sans action de redresseme­nt, le déficit risque d’être durablemen­t très élevé, nettement supérieur au niveau d’avant la crise. La trajectoir­e de dette ne serait alors pas maîtrisée. »

Par pudeur, les mots « faillite » et « défaut de paiement » ne sont pas employés, mais ce n’est pas un hasard si le rapport contient un long rappel historique des épisodes de restructur­ation et de répudiatio­n de dette que les pays européens ont pu connaître depuis un siècle, dont le dernier en date est celui de la Grèce en 2012, qui prouve que ce risque d’accidents financiers est loin d’avoir disparu.

À en juger par l’intitulé du poste qu’occupe Bruno Le Maire dans le gouverneme­nt Castex, il ne semble pas toutefois que le redresseme­nt des comptes publics soit perçu au plus haut sommet de l’État comme une priorité. Il eût été pourtant à la fois plus juste et quelque part aussi plus rassurant qu’à celui de « ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance » lui fût préféré celui de « ministre de l’Économie, de la Dette et de la Relance ».

Toujours est-il que la France risque de payer très cher le fait que tous ses gouverneme­nts aient superbemen­t ignoré depuis vingt ans les supplicati­ons de la Cour des comptes en faveur d’une véritable discipline budgétaire et d’une réduction des dépenses publiques. Celles-ci, qui représenta­ient 54 % du PIB avant le début de la crise, 7 points au-dessus de la moyenne européenne, vont être propulsées à 64 % à la fin de 2020. Un niveau jamais atteint dans l’histoire du pays et plus très éloigné du record mondial établi en 1993 par la Suède, quand les dépenses publiques avaient atteint 70,5 % du PIB. Le « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron permet même d’envisager sérieuseme­nt et tristement que la France puisse bientôt le battre

Déjà inquiète avant la pandémie, la Cour des comptes se montre franchemen­t alarmiste sur la situation.

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