Temple, église, mosquée, musée : le destin mouvementé de Sainte-Sophie
● 330 : après sa conversion au christianisme, l’empereur Constantin lance la construction d’une basilique dédiée à la « sagesse divine » (hagia sophia) sur les ruines d’un ancien temple d’Apollon. Elle sera consacrée trente ans plus tard par son fils, l’empereur Constance II.
● 415 : après un incendie provoqué, elle est reconstruite et consacrée à nouveau par Théodose II.
● 23 février 532 : après la sédition Nika, un soulèvement populaire qui a ravagé Constantinople, l’empereur Justinien reconstruit une basilique plus vaste et majestueuse, inspirée du Panthéon de Rome. Elle fonde le style byzantin et inspirera les architectes arabes, vénitiens et ottomans.
● 726 : l’empereur Léon III l’Isaurien entame une campagne iconoclaste qui durera plusieurs siècles, influencée par l’Islam. Les icônes sont détruites.
● 1204 : sac de la basilique lors de la quatrième croisade. Sainte-Sophie devient le siège du patriarche latin de Constantinople.
● 1453 : Mehmed II, qui entend convertir en mosquée SainteSophie, épargne le bâtiment contrairement à d’autres églises chrétiennes de la ville. Il fait ériger un minaret.
● 1566-1577 : sous le règne de Selim II, des travaux d’envergure sont menés pour bâtir de nouveaux minarets, la loge du sultan et son mausolée.
XVIIIe siècle : une
● école coranique est ajoutée, ainsi qu’une bibliothèque, une fontaine d’ablutions et une soupe populaire.
● 1918 : devant la menace des Alliés, qui approchent d’Istanbul, les Ottomans songent à dynamiter Sainte-Sophie.
● 1934 : Atatürk transforme l’édifice en musée pour l’« offrir à l’humanité ». Il fait retirer les grands panneaux circulaires portant les noms d’Allah, de Mahomet et des califes.
● 2005 : des associations musulmanes commencent à réclamer un retour au statut de mosquée.
● 2018 : Recep Tayyip Erdogan lit un verset du Coran à l’intérieur de la basilique.
● 10 juillet 2020 : décret de l’État turc transformant Sainte-Sophie en mosquée. Vives protestations de l’Unesco, qui avait classé le site en 1985 et qui y voit une violation de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972.
« La Turquie a besoin d’un nouvel esprit de conquête. »
Erdogan, en 2009
son palais d’Ankara, Erdogan reçoive les chefs ■ d’État étrangers entouré par des janissaires costumés, qui rappellent la diversité fantasmée de ces empires. La raison en est linguistique. On s’en réfère à une conception très élargie du vieux turc, né en Mongolie dans la vallée de l’Orkhon, qui chapeauterait les langues altaïques, dont les langues turques et mongoles. Une vision controversée forgée au XIXe siècle qui permet d’englober des langues aussi différentes que le coréen et le hongrois. Les Turcs répondent d’ailleurs présents au sud de la Hongrie pour l’immense rassemblement annuel du Kurultaj, début août, à Bugac, dans les dunes sablonneuses, où se retrouvent les nations d’origine nomade d’Asie centrale. Événement cofinancé par la Turquie, qui y envoie la fanfare de ses janissaires. À 200 kilomètres de là, à Szigetvar, se dresse la citadelle où mourut, en 1566, Soliman le Magnifique, restaurée par la Turquie, qui fait face au monument de l’amitié turco-hongroise, là où les deux armées s’affrontèrent. Entre Orban et Erdogan, deux nostalgiques des grandeurs perdues, on se comprend. En 2011, Soliman a fait l’objet en Turquie d’un soap opera. Erdogan est intervenu auprès des producteurs, parce qu’on y voyait Soliman y aller fort sur la bouteille, et son épouse, Roxelane, trop décolletée. Le feuilleton a initié un contingent de séries historiques consacrées à des sultans ou à des grands vizirs, intitulées dirilis, qu’on peut traduire par « résurrection ». Tout un programme. C’est sous Soliman que la Libye et le verrou de Tripoli sont tombés dans la zone d’influence ottomane. À bon entendeur, salut !
Premier calife. Un autre sultan a fait l’objet récent d’un hommage suprême, Selim Ier dit le Terrible (15121520). Le troisième pont sur le Bosphore, inauguré en 2016, a reçu son nom. Conquérant de l’Égypte, vainqueur des Perses chiites, ce sultan a toutes les qualités pour Erdogan. Surtout qu’il fut aussi le premier à recevoir le titre religieux de calife, leader des musulmans, protecteur de La Mecque après l’avoir conquise. Il s’empara également de la Syrie, élément non négligeable quand on sait l’angoisse actuelle des Turcs, qui se sentent envahis par les réfugiés syriens. Enfin, avant Soliman, son successeur, il commença à s’allier à François Ier, prêt à tout pour desserrer l’étreinte de Charles Quint. Après la capture du roi français à Pavie, Paris et Constantinople furent ainsi longtemps unis par leur crainte partagée de la maison d’Autriche et un désir de commercer. Une alliance religieuse contre nature pour le roi très chrétien, qui dura pourtant
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C’est sous Soliman que la Libye et le verrou de Tripoli sont tombés dans la zone d’influence ottomane.
jusqu’au XIXe siècle. Mme de Sévigné ne se ■ référait-elle pas à « notre frère le Turc » ? Traités de conventions commerciales, dits « capitulations », envois réguliers de savants, de marchands, de prêtres, de diplomates renforcèrent les liens avec la Sublime Porte. En 1683, quand le grand vizir mit le siège devant Vienne, Louis XIV formula des voeux pour sa réussite. Ce qui ne l’empêcha pas, après l’échec et le reflux des Ottomans, soudain au bord de la rupture, d’envoyer des ingénieurs et des cartographes sillonner tous les ports et îles de l’Empire. Un projet de conquête sans lendemain. Sous couvert de l’amitié, la France n’eut d’ailleurs de cesse de vouloir affaiblir son allié. Obsédée par l’Égypte depuis Bonaparte, elle échoua au XIXe siècle au pays des pyramides, barrée par l’Angleterre, qui ne lui autorisa que le canal de Suez. Mais elle se rattrapa avec le Liban et la Syrie, obtenus après 1918 sur les décombres de l’Empire ottoman, combattu pendant le conflit mondial. La France tenta même de porter secours aux Arméniens en Cilicie, en 1921, mais Atatürk eut raison de poilus épuisés. La France fut dès lors une terre d’asile pour les victimes de la Turquie : Arméniens et opposants politiques. Après la prise de Constantinople en 1453, la peur avait incité le pape à lancer une nouvelle croisade européenne. En vain. Les nations étaient désunies. Quant à Charles VII, roi de France, il était, après la guerre de Cent Ans, occupé à reconstruire le pays
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