Plus c’est court, plus c’est bon
Crise aidant, proximité rime plus que jamais avec modernité : petits producteurs et chefs locavores sont redevenus les héros des temps nouveaux.
Olivier Roellinger a tiré la sonnette d’alarme l’été passé. Dans son manifeste Pour une révolution délicieuse (Fayard), l’ancien chef trois étoiles de La Maison de Bricourt à Cancale appelait « le peuple à un soulèvement alimentaire ». « Nous devons reprendre notre destin et notre santé en main en arrachant des griffes de l’industrie agroalimentaire ce trésor de l’humanité qu’est la nourriture. Nous avons la mission de sauvegarder notre formidable garde-manger. La vraie cuisine, ce n’est pas remplir un chariot dans un supermarché (…). Désormais, pour manger sain, il faut être hors la loi (…) Fini de se laisser empoisonner ! » s’emportait le sexagénaire en brandissant une fourchette.
Moins d’un an après, le cri du coeur du cuisinier engagé a trouvé un écho sans précédent dans l’Hexagone. Sa profession de foi environnementale et sociale sans concession a converti une France groggy, encore sous le choc du coronavirus. Deux mois et demi de confinement qui ont fait exploser la tendance du « locavorisme » dans les cuisines des familles à travers la prise de conscience du drame sanitaire se jouant bien audelà de nos frontières. « Cette crise nous a démontré la nécessité d’accélérer la transition écologique et de relocaliser les productions pour garantir la sécurité alimentaire », a carrément plaidé le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.
Fusibles. On ne compte plus aujourd’hui les fervents défenseurs du terroir. Des résilients ayant banni l’avocat du Pérou, le haricot vert du Kenya, le cabillaud de Norvège, le pamplemousse de Floride… importés par avion. Envolée leur empreinte carbone démesurée ! Ces sentinelles du bon goût, obnubilées par l’origine, la provenance et la saisonnalité, se tournent uniquement vers les producteurs proches de chez eux. Des maraîchers, des éleveurs, des pêcheurs… branchés sur courant continu qui font disjoncter tous les intermédiaires afin de s’ériger en fusibles du court-circuit.
On ne fait en réalité que recycler les joies de la vente en direct, vieille comme le monde. En version moderne, ça donne l’Amap, qui a pointé le bout de son panier pour la première fois en avril 2001 du côté d’Aubagne, dans les Bouches-duRhône. On recense actuellement quelque 3 000 « associations pour le maintien d’une agriculture paysanne ». En 2019, ces fées de la bonne chère ont écoulé les récoltes d’artisans estampillés « bio » ou en « agriculture raisonnée » auprès de 270 000 adhérents. Le modèle a fait des émules un peu partout sur le territoire. La Ruche qui dit oui !, une plateforme d’achat en ligne fondée en 2011, affichait pas moins de 850 ruches actives regroupant 5 000 producteurs pour un total de 160 000 clients l’an dernier. Dans le Nord-Pas-de-Calais, le site lecourtcircuit.fr, un drive fermier inauguré en 2011, rassemble 130 acteurs sur près de 30 points de retrait. Autant d’initiatives citoyennes qui se multiplient pour permettre à 67 millions d’habitants de décider de leur sort via leur assiette. À eux de jouer !
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