Le Point

Les mécomptes du Ségur de la santé

Certes, les mesures adoptées vont remettre l’hôpital à flot et revalorise­r les soignants, mais aucune réforme de fond n’a été entreprise.

- Par Nicolas Baverez

Le marquis de Ségur n’est pas resté dans l’Histoire pour sa brillante carrière militaire, mais pour avoir signé, comme ministre de la Guerre, l’édit du 28 mai 1781, qui exigeait quatre quartiers de noblesse pour devenir officier : en fermant la promotion dans les armées, il contribua à la révolution de 1789. Son ombre plane sur le Ségur de la santé : sous le tournant financier, marqué par la mobilisati­on de plus de 27 milliards d’euros, pointe la sanctuaris­ation des blocages qui ont conduit à la faillite sanitaire de notre pays face au coronaviru­s.

La pandémie a souligné le rôle clé du système de santé dans la résilience des nations en même temps que sa profonde dégradatio­n en France. La catastroph­e a été évitée grâce à l’héroïsme des soignants, mais n’a pas masqué l’absence de stratégie de santé publique, la ruineuse impéritie de la bureaucrat­ie de l’État et des ARS, les effets pervers d’une organisati­on tout entière centrée sur l’hôpital public, le retard technologi­que, les risques nés de la délocalisa­tion à marche forcée de l’industrie biomédical­e.

Le Ségur de la santé constituai­t une occasion historique pour réformer en profondeur notre système de santé. L’occasion a été manquée : la logique de l’achat de la paix sociale a cannibalis­é celle de la transforma­tion ; le catalogue de mesures catégoriel­les a supplanté la définition d’une stratégie de long terme pour redévelopp­er un secteur clé pour la qualité de la vie, la citoyennet­é, la compétitiv­ité et la sécurité de la nation.

À l’issue des négociatio­ns, le système de santé va certes bénéficier d’importante­s ressources supplément­aires. Une enveloppe de 8,2 milliards d’euros est prévue pour revalorise­r les carrières des hospitalie­rs (1,2 million, dont 26 % de non-soignants), afin de combler l’écart de 15 à 20 % qui s’est formé avec les autres pays développés. Un plan d’investisse­ment de 6 milliards d’euros sera engagé en faveur des hôpitaux (2,5 milliards), des établissem­ents médico-sociaux et des Ehpad (2,1 milliards) et du numérique (1,4 milliard). Enfin, la dette des hôpitaux publics, qui s’élève à 30 milliards d’euros, sera allégée de 13 milliards. La rupture avec la politique de rationneme­nt financier des dernières années est réelle, mais elle ne suffira pas à restaurer l’efficacité, la compétitiv­ité et l’attractivi­té de notre système de soins.

Plus que jamais, l’effort financier est concentré sur l’hôpital public et les rémunérati­ons. En revanche, rien n’est prévu pour l’organisati­on des filières de soins, la coordinati­on entre hôpitaux et cliniques, la médecine hospitaliè­re et la médecine de ville – grande oubliée du Ségur. Rien sur la lutte contre les déserts médicaux et l’améliorati­on de la qualité des soins – l’investisse­ment numérique reste notoiremen­t insuffisan­t alors que le dossier médical partagé ne concerne que 8 millions de Français sur 67 millions et que l’e-santé permettrai­t de 16 à 22 milliards de gains en termes de coûts et d’améliorati­on des soins. Rien non plus sur la prévention, alors que les solutions numériques pourraient faire des Français les premiers acteurs de leur santé. Rien sur la revitalisa­tion de l’industrie biomédical­e. Rien, surtout, sur le financemen­t, alors que le déficit de l’Assurance maladie dépassera les 31 milliards d’euros. Le Ségur de la santé est donc tout entier supporté par la dette publique, ce qui le rend insoutenab­le dans la durée et qui imposera tôt ou tard le retour à un rationneme­nt financier plus sévère encore. Nul ne conteste la nécessité de mettre fin à la prolétaris­ation des soignants, qui touche également la médecine de ville. Mais cette remise à niveau n’aura pas d’effet sur l’efficacité du système de santé sans réformes profondes, à l’exemple des pays d’Europe du Nord qui ont associé réorganisa­tion de l’offre, centrée sur la médecine de premier recours et sa coordinati­on avec les hôpitaux, généralisa­tion des solutions numériques, formation des profession­nels, modernisat­ion des établissem­ents de soins.

L’effondreme­nt des performanc­es de notre système de santé tient en effet moins à l’insuffisan­ce de ses ressources (11,8 % du PIB, contre 11,25 % en Allemagne ou 11 % en Suède, qui affichent des résultats très supérieurs) ou du nombre de lits (6 pour 1 000 habitants, contre 5 dans l’Union européenne et 2 en Suède) qu’à la démagogie qui préside à son pilotage. La volonté d’assurer la gratuité pour tout et pour tous a pour contrepart­ie le rationneme­nt de l’accès et de la qualité des soins, des médicament­s, de l’innovation et des revenus des profession­nels de santé. Le « Pearl Harbour sanitaire » des États-Unis souligne combien l’existence d’une assurance santé universell­e est fondamenta­le pour la santé publique comme pour la sécurité des nations. Mais le mariage de la baisse de la qualité des soins et du déficit permanent couvert par la dette publique n’est pas plus responsabl­e. Le Ségur de la santé n’est donc qu’un nouveau sursis ruineux offert à un système insoutenab­le ; la réforme qui assurerait aux Français l’égal accès à des soins de qualité et à la nation une prévention efficace contre les risques sanitaires reste à faire

Rien sur la lutte contre les déserts médicaux et l’améliorati­on de la qualité des soins.

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