Le Point

Le nouveau directeur de cabinet de Jean Castex est l’oeil d’Emmanuel Macron à Matignon.

- PAR NATHALIE SCHUCK

«Fonce ! Monte tout de suite récupérer le beau bureau du deuxième étage ! » En ce 15 mai 2012 au matin, tandis que Nicolas Sarkozy et François Hollande se transmette­nt les clés du pays dans une ambiance glaciale dans le salon Doré de l’Élysée, une autre passation des pouvoirs, autrement plus complice, se joue entre le secrétaire général adjoint sortant, un certain Jean Castex, et son successeur : Nicolas Revel. Le maire de Prades (Pyrénées-Orientales), qui connaît bien le Palais, lui conseille de vite poser ses cartons dans le bureau si convoité qu’il a lui-même occupé, s’il ne veut pas hériter d’une triste soupente. Revel s’exécute et file découvrir le joli perchoir lumineux et mansardé avec vue sur les jardins. Ayant scrupule à faire cela, il s’interrompt et décide d’attendre son alter ego, l’autre secrétaire général adjoint, un certain Emmanuel Macron. Il a sympathisé cinq mois plus tôt avec ce prodige, de douze ans son cadet, impliqué dans la campagne de François Hollande, autour d’une bonne table italienne près de la mairie de Paris. Lorsqu’ils ont appris qu’ils étaient tous deux nommés « SGA », ils ont échangé un SMS de félicitati­ons. Quand Macron arrive enfin à l’Élysée, ce 15 mai, ils conviennen­t donc de jouer le beau bureau à pile ou face.

Le jeune homme a la main heureuse. Nicolas Revel l’ignore alors, quand il encaisse cette modeste déconvenue, mais les dés de la destinée viennent de placer sur sa route les deux hommes avec qui il tiendra, huit ans plus tard, les commandes de l’État.

« Textoteurs du soir ». Les débuts à l’Élysée ne sont pas si fluides entre «la petite Ferrari» – le surnom de Macron, à l’époque – et « la Deux-Chevaux » – dixit Revel, par autodérisi­on –, tant le jeune conseiller avec un faux air de Boris Vian attire la lumière. «Il marchait sur les plates-bandes des autres membres du cabinet, y compris sur celles de Revel, qui s’occupait des ministères sociaux et n’en cultivait pourtant aucune aigreur », se remémore un proche de François Hollande. Les galères de ce quinquenna­t de fracas vont vite les souder. Effarés, Macron et Revel essuient les tempêtes Cahuzac et Leonarda, le « Gayetgate » et les tourments de ce président qui n’assume pas sa nature profonde sociale-démocrate. « Ils étaient tous deux sous la férule aussi lamentable que mesquine du secrétaire général de l’Élysée, Pierre-René Lemas », se rappelle Aquilino Morelle, conseiller politique excommunié par François Hollande. « Emmanuel et Nicolas ne pouvaient pas blairer Lemas ! » fulmine un autre ancien du cabinet. Le soir venu, Emmanuel Macron et Nicolas Revel, escortés par le conseiller com Christian Gravel, s’affalent dans les douillets canapés couleur chocolat du bureau d’angle de Morelle – devenu celui de Macron une fois président – pour décompress­er autour d’un whisky ou d’un mojito. «Nous étions fatigués de cette vision apocalypti­que du char de l’État menaçant quotidienn­ement de verser dans le fossé.

de cabinet du Premier ministre. Si je suis président, je mettrai Alexis Kohler à mes côtés et tu iras à Matignon. » N’ayant jamais croisé Philippe, Revel avait décliné. Il ne voulait pas d’un mariage arrangé. Même refus lorsque Macron a suggéré son nom pour remplacer Gérard Collomb. La sécurité n’a jamais été son coeur de métier. S’il a accepté cette fois, c’est pour « Jean, un choix du coeur », dit-il. « Tombé tout petit dans la marmite Castex », le nouveau dircab de Matignon a été conquis par cet homme faussement bonhomme dès ses premiers pas à la Cour des comptes au début des années 1990. Son épouse, Myriam, a même travaillé avec Jean Castex lorsqu’il chapeautai­t les hôpitaux de France au ministère de la Santé, les deux couples partageant gueuletons et nouvelles de la famille.

Qu’allait-il faire au service d’un ancien sarkozyste, lui l’homme de gauche? En décembre, dans Libération, Nicolas Revel s’avouait encore « sceptique sur le dépassemen­t du clivage droite-gauche» revendiqué par le président. Les premiers de cordée, très peu pour lui. Les réformes dont il est le plus fier sont marquées du sceau de la protection et de l’attachemen­t aux services publics : c’est lui qui a aidé le socialiste Vincent Peillon à débloquer de puissants moyens pour l’Éducation nationale, à commencer par l’éducation prioritair­e. Lui qui a fait levier, quand il était à la tête de la Cnam, pour faire aboutir le reste à charge zéro pour les soins dentaires. Quand Édouard Philippe a imposé l’âge pivot à 64 ans, il s’en est ému, le réprouvant devant témoin. « Du temps où il y avait une gauche et une droite, il était de gauche, tendance moderne et transforma­trice», dépeint l’ex-ministre des Affaires sociales Marisol Touraine. Social-démocrate, en somme, à l’aise avec la réforme du marché du travail et le concept de flexisécur­ité. « Il n’a jamais été un socialiste virulent», taquine Aquilino Morelle. Jusqu’ici, Nicolas Revel avait toujours servi des hommes de gauche. Jean Glavany d’abord, rencontré lors de sa première prise de poste dans

 ??  ?? Confiance. Si Nicolas Revel a accepté le poste, c’est, dit-il, pour « Jean, un choix du coeur », avouant être « tombé tout petit dans la marmite Castex ». Ici, le Premier ministre et son directeur de cabinet, à Paris, le 11 juillet.
Confiance. Si Nicolas Revel a accepté le poste, c’est, dit-il, pour « Jean, un choix du coeur », avouant être « tombé tout petit dans la marmite Castex ». Ici, le Premier ministre et son directeur de cabinet, à Paris, le 11 juillet.

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