Ce que l’on respire vraiment
Circulation des virus, pollution, substances nocives, climatisation… Enquête sur les mystères de l’air.
mulation d’indices en faveur d’une transmission aéroportée du virus Sars-CoV-2. D’ailleurs, l’OMS admettait le 7 juillet, en réponse à la missive, « qu’il y a des preuves émergentes dans ce domaine », et qu’elles « doivent être rassemblées et interprétées ». Rien de très surprenant dans le fait qu’un virus respiratoire puisse se propager dans l’air. C’est un phénomène déjà observé avec d’autres virus comme celui de la grippe H1N1 de 2009, celui du premier Sras en 2002 ou encore celui du Mers de 2012, et, très tôt au cours de cette nouvelle épidémie, certains foyers de contamination ne semblaient trouver d’autre explication qu’une transmission aéroportée. Une personne éternue au fond du bus et le conducteur tombe malade après avoir inhalé des particules microscopiques contagieuses venues de plusieurs mètres derrière lui par l’air. C’est probablement ce qui s’est produit en Chine lors de ce trajet d’une heure et demie où 23 passagers sur 67 ont été infectés, sachant que les plus proches du malade n’ont pas été statistiquement plus touchés que les autres.
Tout le monde se souvient de la mésaventure vécue en janvier par 10 clients infectés dans un restaurant de Canton. Attablés à plus de 1 mètre de distance les uns des autres et n’ayant eu aucun contact au cours de leur repas – comme l’ont attesté les caméras de surveillance –, tous ont eu la malchance de se retrouver dans le même flux d’air ventilé qu’un convive malade. On pourrait également évoquer l’histoire, toujours en Chine, de ces 30 participants à un atelier de formation, cloîtrés pendant quatre heures dans des salles de réunion équipées de climatiseurs à recyclage d’air, c’est-à-dire sans apport d’air extérieur. Résultat : 1 participant sur 2 est tombé malade dans les jours qui ont suivi. Et cette chorale américaine, où 53 chanteurs sur 61 ont été infectés par le SarsCoV-2 après une répétition dans une salle close, n’est qu’un énième exemple des contaminations aéroportées qui ont fait l’objet de publications scientifiques.
Ainsi donc, tousser, discuter, chanter ou simplement respirer suffirait à catapulter le virus
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Une personne éternue au fond du bus et le conducteur tombe malade après avoir inhalé des particules microscopiques contagieuses.
sous le nez de sa prochaine ■ victime, qui pourtant s’était bien lavé les mains et tenue à distance. Notre rayon de 2 mètres de survie n’y suffirait plus. Alerte générale !
Mais des gouttelettes aux aérosols ? On est un peu perdus. Prenons le cas simple d’un malade qui éternue. Atchoum ! Attention, pluie de météorites ! Des sortes de capsules, chargées de particules virales et d’un mélange peu ragoûtant de mucus et de salive, sont propulsées. Les plus petites d’entre elles s’envolent rapidement. Légères, elles restent suspendues dans l’air : ce sont les aérosols. Tandis que, très vite, les plus grosses (d’une taille supérieure à 5 micromètres), qu’on nomme communément les gouttelettes, plus lourdes que l’air, tombent mécaniquement proche du point d’émission. Elles s’arrêtent en rencontrant un obstacle : le pli du coude, le sol, le bureau, le téléphone ou le clavier d’ordinateur. Tous ces objets d’accueil deviennent alors des « fomites », le nom savant pour décrire une surface souillée, où nos mains se baladent et récoltent le virus, nous exposant au risque d’auto-inoculation. La fameuse transmission manuportée.
Mais, au fil des heures, même les gouttelettes échouées s’assèchent et s’allègent. Un mouvement d’air, en repliant l’ordinateur par exemple, et hop, les plus légères peuvent reprendre de la hauteur. La gravitation ne suffit plus à les clouer au point de chute. Voilà de nouveaux aérosols « full of virus » en voyage désorganisé, portés par les flux d’air, loin de leur contrée d’origine. « Ce qui est trompeur, c’est d’imaginer qu’une personne qui respire, parle, tousse ou éternue émet deux familles distinctes de particules, avec d’un côté de grosses gouttelettes
sion par voie aéroportée est même supérieur à celui des contaminations par des fomites, sauf que, dès le début, l’OMS a choisi de mettre en garde contre cette dernière voie de transmission mais pas contre les aérosols. » Derrière cette remarque se dessine un hiatus entre, d’un côté, les spécialistes de santé publique et d’infectiologie, très représentés dans les agences sanitaires, et, de l’autre, les experts en aérosols comme Raymond Tellier et les 238 autres scientifiques signataires de la lettre qui, eux, en sont pratiquement exclus.
« Anistropique ». « Même s’il est encore difficile de trancher, pose le microbiologiste canadien, en se référant à ce que nous avons appris du virus de la grippe, la fourchette des contaminations en lien avec des aérosols devrait se situer entre 10 % et 50 %. Mais cela dépend évidemment des environnements. Il faut également souligner une chose intrigante, c’est la notion d’infection “anistropique”, soit une infection qui n’aurait pas la même gravité selon la manière dont vous l’avez contractée. Cette idée a été développée par David K. Milton, l’un des premiers signataires de la lettre. Dans le cas de la grippe, des études suggèrent, en effet, que si vous l’acquérez par inhalation d’aérosols, vous aurez alors de plus grandes chances de présenter une forme sévère. » Comment l’expliquer ? Assez simplement : « Les particules de plus de 20 micromètres ne pénètrent pas dans les voies respiratoires inférieures alors que les plus petites, elles, vont pouvoir se retrouver directement jusque dans le poumon et y déclencheraient directement l’infection. Donc, toujours dans le cas de la grippe, même si l’on ne compte que 10 % de cas transmis par aérosols, ce pourrait être 10% parmi les formes les plus graves. Cette hypothèse reste à confirmer pour la grippe et à vérifier pour le Sars-CoV-2. Mais, en attendant, c’est une voie de transmission qui mérite d’être interrompue ! »
De son côté, le Dr Bruno Grandbastien, président de la Société française d’hygiène hospitalière, se veut bien plus rassurant. Lui, table sur « moins de 5 % de cas » provoqués par l’inhalation d’aérosols. «Ils jouent à la marge, car ce sont les postillons et les gouttelettes émises à proximité du malade qui sont la voie de contamination centrale », explique le médecin. Si l’écart est aussi grand entre les deux scientifiques lorsqu’il s’agit d’évaluer dans quelle mesure le virus en mode aérien prend part à l’hécatombe, c’est que la question reste techniquement épineuse.
En simplifiant, plus la particule est grosse, plus elle est chargée en particules virales et plus elle est humide pour garder le virus actif, infectieux. Plus elle est petite, moins elle renferme de virus et de liquide, moins elle sera infectante et plus vite elle sera asséchée et le virus désactivé. Température, taux d’humidité, ensoleillement, aération jouent donc un rôle majeur dans le potentiel infectant des aérosols. Éternuer alors qu’on est malade dans un abattoir clos de la Mayenne ou dehors, en plein cagnard, dans le désert des Bardenas, en Espagne, ce n’est décidément pas la même histoire.
Procédons par étapes : le virus Sars-CoV-2 a-t-il déjà été retrouvé dans des aérosols ? Oui, et cela dès mars, dans une première étude sur la transmission aéroportée menée à Wuhan. Des concentrations plus ou moins importantes de matériel génétique viral ont été mesurées dans des prélèvements d’air provenant de chambres de patients, de bureaux de soignants ou de zones fréquentées par le grand public. Un malade peut-il projeter des particules à plus de 2 mètres ? La réponse est encore oui. Une étude menée dans un autre établissement
Une fois « aérosolisé », le virus garde-t-il un potentiel infectant ? C’est le cas chez les souris, et cela vient d’être prouvé chez les furets.