Eh bien, bronzez maintenant!
tures, les photographies, le cinéma, etc.) et la praxis (les produits ou les soins des premiers instituts de beauté, par exemple). « C’est un champ très vaste, mais seule une certaine paresse intellectuelle peut faire penser qu’il n’est pas documenté », pointe Pascal Ory. En effet, des Lettres à Lucilius, de Sénèque, valorisant le léger hâle des hommes fréquentant les thermes aux dernières recommandations médicales, de la prose de Montherlant, de Mann, ou de Morand à l’érotisation du corps ambré de Romy Schneider dans La Piscine, sans oublier les articles stratégiques de Elle ou de Marie-Claire, la documentation abonde, prouvant qu’une histoire du sensible se dessine au travers des pratiques corporelles.
Si le terme de bronzage n’apparaît dans le Littré qu’au sortir du Second Empire, la couleur du teint est, depuis l’Antiquité, un élément différenciant: entre les hommes et les femmes, les chrétiens et les profanes, les élites et la masse, les travailleurs des villes et les travailleurs des champs, les forts en thème et les gros durs, les bourgeoises et les émancipées, les hédonistes et les précautionneux… « Jusqu’au début des années 1930, il n’est question que de se protéger des morsures du soleil et de se blanchir le plus possible la peau. Dans l’Occident chrétien, l’association du teint clair à la virginité rajoutait une légitimité supplémentaire à ce discours, que les sociétés d’outre-mer, longtemps dominées par des Blancs, ont intériorisé – jusqu’à aujourd’hui. Au-delà, l’assimilation de la domination à la pâleur, qui est d’abord affaire d’anthropologie, a continué de fonctionner dans les cultures, sans substrat chrétien, d’Extrême-Orient. Voyez la Chine, le Japon, etc., décrypte Pascal Ory. Bien sûr, il s’agissait là originellement du
« Le corps standard des êtres humains a plus changé pendant le XXe siècle que pendant les deux millénaires qui l’ont précédé. L’invention du bronzage en fait partie. » Pascal Ory
lors de ses sorties en mer sur la Côte ■ d’Émeraude et se demande comment brunir sans brûler », relate Élodie Bernardi, directrice générale de Garnier. Il teste ses premières formules au printemps 1935 et commercialise la fameuse Ambre solaire en 1936. » Avait-il anticipé la pertinence de son produit, l’année de l’avènement des premiers congés payés ? Nul ne le sait, mais le succès est immédiat. « Le flacon généreux, ambré et cranté, pour ne pas glisser des mains, laissant entrevoir une huile au parfum de rose jasminée, synonyme de vacances, ancre cette nouveauté grand public, disponible chez tous les droguistes, dans l’imaginaire des familles françaises.» La pertinence technique couplée à la puissance du relais publicitaire distance la concurrence. En 1937, le jingle publicitaire de la première campagne radio marque les esprits, mais le coup de maître a lieu après la guerre. Il résulte de l’utilisation du personnage de Suzy, une pin-up en Bikini à taille humaine. « Ce totem américanisé d’une société qui, sortie des deuils et des restrictions, reprend le chemin de la plage et goûte à la libération des femmes et des corps fait mouche », analyse Pascal Ory.
Quatre-vingtcinq ans après avoir vu le jour, l’Ambre solaire reste le produit de protection solaire le plus vendu. Bien sûr, la formule a drastiquement évolué. Les composants et les filtres ne sont plus les mêmes. Seuls perdurent la texture et le parfum. « La notion de protection solaire apparaît dans les années 1960. De nombreux brevets sont alors déposés sur les premiers filtres photostables pour UVA, puis UVB. Depuis vingt ans, les produits Garnier protègent même des UVA longs qui passent à travers les nuages, pointe Élodie Bernardi, pour
« À la fin des années 1970, le corps bronzé devient la métonymie du corps social, en même temps qu’un fantasme d’accomplissement personnel et de réussite professionnelle. » Olivier Echaudemaison