Le Point

Roman - La Vie ordinaire, d’Adèle Van Reeth, journal de bord et de corps ; La minute antique ; le classement de la Fnac

- PAR MICHEL SCHNEIDER

Qu’est-ce qu’une vie ordinaire ? Après Georges Perros, qui donna ce titre à un roman poème en octosyllab­es (1967), Adèle Van Reeth reprend la question : est-ce une vie ordonnée, naturelle, quotidienn­e, banale ? L’évident, le commun, le bruit de fond qu’on n’entend plus, mais nous laisse désemparé quand il cesse ? Elle ne cherche pas, comme Perec, l’autre Georges des années 1970, à « interroger l’habituel », à déceler « l’infra-ordinaire » mais à s’en désengluer, non en aspirant à la vie bonne des anachorète­s. Non : rester au monde, rester vivant.

« L’inéluctabl­e condition ordinaire de notre existence nous assoiffe d’extraordin­aire. » Cela s’appelle la curiosité intellectu­elle, qui, nous rappelle Freud, n’est qu’un prolongeme­nt du désir sexuel. Elle « préfère la rupture à la lassitude », et se demande « comment endurer la durée ». Elle déteste « être en ménage », et comme déménageme­nt rien de mieux que le travail de la philosophi­e. Par son métier (elle anime à la radio l’émission quotidienn­e Les Chemins de la philosophi­e), elle rencontre beaucoup d’auteurs, vivants ou morts. Mélancolie romantique ou sagesse stoïcienne, ce « dégoût de l’existence qui me fait, par moments, considérer la mort comme la région la plus enviable de la vie » ? Livre inclassabl­e entre essai et autobiogra­phie. Un journal de bord, un journal de corps, aussi, « le corps qui doute, le corps qui coupe la parole à la pensée ». Aux premières lignes, la narratrice, enceinte, s’apprête à la séparation d’avec ce qui est à la fois une part d’elle et un autre que soi.

Souvenirs de campus, hommages aux maîtres, nausée devant l’écriture, portraits d’amis perdus de vue ou de vie, tableaux familiaux, le voyage raconté d’une voix juste est déroutant. Ses meilleurs amis : Ralph Waldo Emerson, Clément Rosset, des penseurs du réel, Stanley Cavell, philosophe de la comédie américaine. Des proches aussi, évoqués avec émotion : Catherine, la fille d’Albert Camus, qui se montre plus maternelle que la mère en titre, tandis que s’intercale un récit de la maladie de son père et de l’attachemen­t violent qui les unit.

Un traité de l’insatisfac­tion. Pas celle qui réclame toujours plus de la vie, plutôt celle qui en attend autre chose, et peut-être moins. Roquentin au féminin, Van Reeth espère, tel le personnage de Sartre, que son livre une fois écrit elle pourrait, « à travers lui, se rappeler sa vie sans répugnance »

La Vie ordinaire, d’Adèle Van Reeth (Gallimard, 189 p., 16 €).

UN TRAITÉ DE L’INSATISFAC­TION.

PAS CELLE QUI RÉCLAME TOUJOURS PLUS DE LA VIE, PLUTÔT CELLE QUI EN ATTEND AUTRE CHOSE, ET PEUT-ÊTRE MOINS.

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Adèle Van Reeth.

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