Roman - La Vie ordinaire, d’Adèle Van Reeth, journal de bord et de corps ; La minute antique ; le classement de la Fnac
Qu’est-ce qu’une vie ordinaire ? Après Georges Perros, qui donna ce titre à un roman poème en octosyllabes (1967), Adèle Van Reeth reprend la question : est-ce une vie ordonnée, naturelle, quotidienne, banale ? L’évident, le commun, le bruit de fond qu’on n’entend plus, mais nous laisse désemparé quand il cesse ? Elle ne cherche pas, comme Perec, l’autre Georges des années 1970, à « interroger l’habituel », à déceler « l’infra-ordinaire » mais à s’en désengluer, non en aspirant à la vie bonne des anachorètes. Non : rester au monde, rester vivant.
« L’inéluctable condition ordinaire de notre existence nous assoiffe d’extraordinaire. » Cela s’appelle la curiosité intellectuelle, qui, nous rappelle Freud, n’est qu’un prolongement du désir sexuel. Elle « préfère la rupture à la lassitude », et se demande « comment endurer la durée ». Elle déteste « être en ménage », et comme déménagement rien de mieux que le travail de la philosophie. Par son métier (elle anime à la radio l’émission quotidienne Les Chemins de la philosophie), elle rencontre beaucoup d’auteurs, vivants ou morts. Mélancolie romantique ou sagesse stoïcienne, ce « dégoût de l’existence qui me fait, par moments, considérer la mort comme la région la plus enviable de la vie » ? Livre inclassable entre essai et autobiographie. Un journal de bord, un journal de corps, aussi, « le corps qui doute, le corps qui coupe la parole à la pensée ». Aux premières lignes, la narratrice, enceinte, s’apprête à la séparation d’avec ce qui est à la fois une part d’elle et un autre que soi.
Souvenirs de campus, hommages aux maîtres, nausée devant l’écriture, portraits d’amis perdus de vue ou de vie, tableaux familiaux, le voyage raconté d’une voix juste est déroutant. Ses meilleurs amis : Ralph Waldo Emerson, Clément Rosset, des penseurs du réel, Stanley Cavell, philosophe de la comédie américaine. Des proches aussi, évoqués avec émotion : Catherine, la fille d’Albert Camus, qui se montre plus maternelle que la mère en titre, tandis que s’intercale un récit de la maladie de son père et de l’attachement violent qui les unit.
Un traité de l’insatisfaction. Pas celle qui réclame toujours plus de la vie, plutôt celle qui en attend autre chose, et peut-être moins. Roquentin au féminin, Van Reeth espère, tel le personnage de Sartre, que son livre une fois écrit elle pourrait, « à travers lui, se rappeler sa vie sans répugnance »
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La Vie ordinaire, d’Adèle Van Reeth (Gallimard, 189 p., 16 €).
UN TRAITÉ DE L’INSATISFACTION.
PAS CELLE QUI RÉCLAME TOUJOURS PLUS DE LA VIE, PLUTÔT CELLE QUI EN ATTEND AUTRE CHOSE, ET PEUT-ÊTRE MOINS.