Le rêve volé de Clarissa Jean-Philippe
Venue à Paris pour devenir policière, la Martiniquaise a croisé la route d’Amedy Coulibaly.
Pris en étau entre l’attaque de Charlie Hebdo, le mercredi 7 janvier 2015, et la prise d’otages de l’Hyper Cacher, le vendredi 9, l’attentat de Montrouge fut longtemps occulté, comme écrasé sous le poids de l’émotion suscitée par deux événements considérables. Abattue d’une balle de kalachnikov dans le dos par Amedy Coulibaly, le jeudi 8 janvier au matin alors qu’elle intervenait avec trois collègues sur un accident de la circulation, Clarissa Jean-Philippe, policière municipale auxiliaire de 26 ans, est restée un temps la victime oubliée d’Amedy Coulibaly. « C’est vrai qu’au début on nous a un peu ignorés», relate sa mère, Marie-Louisia, depuis Sainte-Marie, dans le nord-est de la Martinique. « Disons qu’il y a eu un peu de flottement au départ », confirme Line, la tante de Clarissa, ellemême fonctionnaire de police à l’aéroport de Fort-deFrance. « On a toujours eu le sentiment un peu désagréable de rester en marge de la procédure, comme si Clarissa n’était qu’une victime collatérale des attentats de janvier », regrette le bâtonnier de la Guadeloupe, Me Charles J. Nicolas, qui défendra la famille au procès qui doit s’ouvrir le 2 septembre, à Paris.
« Heureusement, ils se sont rattrapés », corrige Marie-Louisia. Dès qu’elle le peut, elle passe devant la place Clarissa-Jean-Philippe, à la sortie de Sainte-Marie, en allant vers Le Marigot ; au bord de l’océan, une statue de bronze représentant sa fille y a été érigée quelques mois après sa mort. On la voit les bras levés au ciel, comme sur cette dernière photo prise durant les vacances de Noël 2014, quelques jours avant son retour en métropole, où l’attendait son destin tragique. « Quand je la vois, j’ai l’impression qu’elle va se jeter dans mes bras », murmure Marie-Louisia. Vivant avec sa mère, Marie-Georges Chéry, et son fils Wilfrid Lémony, « qui garde tout pour lui mais ne va pas très fort non plus », elle soigne son deuxième cancer et c’est en chaise roulante qu’elle part faire ses séances de chimio. « J’ai fait le côlon et maintenant le foie. Je pleure tout le temps, ma vie est fichue. »
Depuis, d’autres hommages ont suivi. Il y eut d’abord cette plaque vissée lors du premier anniversaire de l’attentat sur l’avenue Pierre-Brossolette, à Montrouge (Hauts-de-Seine), et cette petite artère perpendiculaire rebaptisée « avenue de la Paix-Clarissa Jean-Philippe ». Une deuxième plaque fut apposée deux ans plus tard juste en face, côté Malakoff, à l’endroit exact où la jeune policière s’est écroulée sous le tir de Coulibaly – elle devait être titularisée quatre jours plus tard. Clarissa a également « son » square à Carrières-sous-Poissy (Yvelines), où elle vivait avec son conjoint, dont plus personne n’a de nouvelles, et une allée à son nom à Paris, dans un jardin du quartier du Petit-Montrouge, dans le 14e arrondissement. « Comme ça, on ne l’oubliera pas », se console Marie-Louisia.
Elle ne voulait pas que sa fille quitte la Martinique, elle savait que « c’était dangereux ». « Mais Clarissa désirait suivre la route de sa tatie Line», son bac STG en poche. « Quand on a appris pour Charlie Hebdo, on l’a tous appelée pour lui dire de bien faire attention », se souvient Line. « Ne t’inquiète pas, tatie, j’ai mon gilet pareballes », lui a répondu Clarissa. « Et maintenant, elle est sous la terre », se désole sa mère
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« Je pleure tout le temps, ma vie est fichue. » La mère de Clarissa Jean-Philippe