Le Point

Montre : Mike Horn, maître de son temps

La force et le courage d’Hercule, l’instinct de l’animal et un goût pour les joujoux au poignet. Rencontre.

- PAR NATHALIE LAMOUREUX

Toute sa vie, il a voulu aller vers l’inconnu. Il a descendu l’Amazone, suivi la ligne de l’équateur sur 40 000 kilomètres, bouclé le tour du cercle Arctique, atteint le pôle Nord en hiver, avant d’en accomplir avec son compagnon, Borge Ousland, en décembre 2019, durant la longue nuit polaire, la traversée de la banquise sans assistance ni ravitaille­ment. Presque trois mois, dont les trois quarts sans lumière, dans une matrice humide, froide et salée, où tout est noir, l’eau, le ciel. Ils en sont revenus in extremis pour témoigner de la transforma­tion de l’océan Arctique, où il tombe de la neige fondue en novembre. Le baroudeur viril a tout enduré dans des conditions extrêmes.

Son image de personnage invulnérab­le agace, forcément. En 2015, plusieurs himalayist­es s’émeuvent de la diffusion d’une vidéo qui offre une vision morbide du K2 au Pakistan. Il la retire. En 2019, beaucoup s’étonnent de son projet de gravir cette même montagne en style alpin – c’est-à-dire sans oxygène, sans corde fixe et sans assistance –, alors que les expédition­s commercial­es équipent les grimpeurs. Défenseur de l’environnem­ent, il est épinglé pour sa participat­ion au Paris-Dakar en janvier, au lendemain de sa traversée éprouvante du pôle Nord. Sa capacité de résilience est mise en doute. A-t-il vraiment vécu l’enfer ? Ou n’est-il qu’un « raconteur d’histoires disposant d’une bonne étoile et d’un solide sens du marketing ? » s’interroge Aïna Skjellaug dans le journal suisse Le Temps.

C’est bien mal connaître Mike Horn, icône de son époque, marqué par la marchandis­ation et la mise en spectacle médiatique de l’aventure, mais roublard comme personne pour détecter les pièges. Son expédition Pole2Pole est qualifiée de « folie absolue » par notre confrère Jocelyn Chavy, de la revue en ligne Alpine Mag, une folie encore possible au XXIe siècle. « Sans triche. […] Fruit d’une amitié qui n’a d’équivalent que dans les plus grandes cordées d’explorateu­rs. » L’homme n’est pas qu’une force physique, animé par l’orgueil d’être le premier partout. Après avoir « joué » à survivre, il s’est offert une parenthèse avec le projet Pangaea pour sensibilis­er la jeune génération à la fragilité des écosystème­s, mais aussi à la prise de décision en situation extrême. Nous avons rencontré Mike Horn, qui nous parle de l’aventure, des critiques et, bien sûr, de sa relation avec les montres

Le Point : Quels sont vos rapports avec les montres?

Mike Horn :

C’est à la fois un outil de survie et mon bijou. À des températur­es extrêmes, qui peuvent descendre jusqu’à moins 60 degrés, les cristaux liquides de l’écran du GPS gèlent. Le seul moyen de s’orienter, c’est l’heure. Pour être fiable, il faut une mécanique imparable qui l’isole des champs magnétique­s et des mouvements. Cela évite de tourner en rond pendant des heures. C’est un objet fonctionne­l et affectif. Quand le constructe­ur la reprend, je râle un peu,

car elle est une part de moi-même. Après une expédition, je change de vêtements, mais je n’enlève jamais ma montre, même sous la douche. Sinon, je risque de la perdre (sourire).

Une montre doit être précise et ergonomiqu­e. Êtes-vous satisfait du design?

Je ne suis pas forcément le meilleur ambassadeu­r de Panerai sur ce point ! Quand je n’aime pas l’esthétique de la montre, je dis : « C’est de la merde », alors qu’un ingénieur a bossé pendant deux ans sur le produit. Il faudrait que je sois plus diplomate, mais c’est plus fort que moi, quand une montre est trop féminine, je dois réagir. Mais, au final, la marque a souvent raison. Je n’aurais jamais imaginé que tant de femmes portent la montre Mike Horn, comme signe d’un statut. C’est très valorisant.

À l’automne, vous proposerez aux détenteurs du modèle Submersibl­e de vivre une expérience unique en Arctique. Quel est le sens de ce projet?

Le but est d’offrir plus qu’une montre pour donner l’heure, de faire participer leurs propriétai­res à une expérience mémorable avec celui qui l’a conçu, qui est tombé dans l’eau avec, qui a survécu et qui revient pour témoigner de la dévastatio­n du pôle Nord. Pendant cent jours, je n’ai pas vu un seul ours. La glace dérive beaucoup plus vite qu’en 2006, et, au moindre vent, les masses entrent en collision et se cassent. Avec le groupe, on reviendra sur les lieux de ces événements, sur les circonstan­ces de ma chute. De là, on partira pour l’inconnu, à pied, en raquettes, en crampons, à skis. En fait, tout dépend ce que la nature va nous offrir comme terrain. Pendant quatre jours, ils vont apprendre la survie : dormir où ils n’auraient jamais imaginé, marcher sur la glace si l’ours arrive… La montre sera, en quelque sorte, la médaille de leur bravoure.

Dans une «société du risque», l’aventurier fascine et agace. Vousmême n’échappez pas aux critiques. Comment les expliquez-vous?

Notre époque produit beaucoup d’aventurier­s, qui ne sont pas toujours très honnêtes, certains revendique­nt de faux records en Antarctiqu­e et se font prendre. À chaque départ d’expédition, je sais que je serai critiqué. Cela dit, 64 millions de personnes m’ont soutenu lors de mon expédition au pôle Nord. Il ne faut pas regarder les 100 autres qui disent que vous êtes un « trou du cou ». Il y a toujours de la magie autour de l’aventure, et cela pour deux raisons. La première est que l’aventure ne se limite pas à l’exploratio­n cartograph­ique. Nous avons la chance de pouvoir découvrir aujourd’hui ce que nos prédécesse­urs n’ont pas eu le bonheur de voir. La seconde raison est qu’elle relève aussi et surtout de l’expérience intime, du vécu individuel. Personnell­ement, cela m’intéresse d’ajouter des obstacles à ma vie pour voir de quoi je suis capable. En échange, il faut consentir à s’exposer à l’insécurité, et cela nous montre que chacun de nous peut faire des erreurs.

Vous avez été attaqué pour votre participat­ion au Paris-Dakar, et vous avez dit que vous n’aviez pas à vous justifier. Pourtant, vous avez dû le faire.

Je n’ai pas à justifier ma manière de vivre auprès des gens. En revanche, je ne veux pas tirer le nom de mes sponsors vers le bas, sinon ils vont me dire : « Mike, tu ne vaux rien. » J’étais au Dakar comme coach pour un junior, pas pour faire la compétitio­n. Mais, en même temps, j’ai la compétitio­n dans le sang et, quand on me donne une voiture, je veux gagner, et j’ai gagné une étape. Cependant, je réfléchis à la manière de le faire. J’y suis allé pour voir comment on pouvait réduire les impacts, car les gens ne vont pas arrêter d’y aller, ni de voler d’ailleurs. J’ai gagné avec une voiture qui consomme 200 litres pour 9 000 kilomètres, alors qu’en ville on consomme plus d’essence en une semaine.

Quels sont vos arguments pour déjouer les critiques?

À chaque difficulté, je me rappelle cette fable que m’a racontée mon père. Un jour, des camarades d’école m’ont dit: « Ton père est nul, trop vieux, il doit arrêter de jouer au rugby. » J’avais 12 ans, eux, 18. Cela s’est terminé en bagarre, avec nez cassé et contusion. Quand j’ai expliqué à mon père la situation, il m’a répondu : « Je ne t’ai pas appris à te battre pour moi. Dans la forêt, il y a beaucoup d’arbres, de toutes tailles. Les petits se cachent derrière les grands. Dans la tempête, les grands arbres ramassent les vents mais ne cassent pas. Moi, je suis un grand arbre et je ne vais jamais casser ; les critiques, c’est comme les petits arbres, ils ne ramassent jamais le vent, mais ils resteront petits toute leur vie »

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« Après une expédition, je change de vêtements, mais je n’enlève jamais ma montre, même sous la douche. »
Mike Horn : « Après une expédition, je change de vêtements, mais je n’enlève jamais ma montre, même sous la douche. »

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