Le design est un jeu d’enfant
La chambre de nos têtes blondes ne rime plus avec paillettes roses et frises bleues : l’engouement pour le design s’exprime aussi dans cette pièce.
Coussin en velours, papier peint artisanal, dessus de lit ocre, mobilier en bois foncé, miroir en rotin… Bienvenue dans ces nouvelles chambres d’enfant qui ont laissé tomber les codes du genre pour s’aligner sur l’univers graphique du reste de la maison. Finis l’autel pailleté à la gloire de la Reine des neiges (ou bien alors rangé sous le lit) et le bleu ciel un peu mièvre. L’antre des petits est devenu une pièce comme les autres, au même titre que la salle de bains, que l’on fait désormais visiter fièrement à ses invités. Un signe évident de l’engouement plus global pour l’aménagement de son intérieur ainsi que de l’intérêt pour l’art de vivre de sa progéniture. Résultat : dans le prolongement du boom de la mode enfantine, le secteur de la décoration a explosé ces dernières années. « Quand on s’est lancés, en 2008, nous voulions ouvrir un concept store autour de l’enfant. L’offre mode était déjà dynamique mais beaucoup moins foisonnante dans la décoration. Par exemple, on ne trouvait pas tout ce mobilier scandinave», se rappelle Cécile Roederer, fondatrice de Smallable, une boutique de référence dans ce domaine. Et quand, en 2007, Playtime, le salon professionnel de l’enfant, est créé, il accueille surtout des créateurs de vêtements. Ce n’est qu’à partir de 2010 qu’il ouvre ses portes au design. Il proposait une dizaine de marques à cette date, il en accueille plus de 150 aujourd’hui. « Que ce soit pour la maison, les parcs ou les écoles, le mobilier d’enfant a beaucoup changé. On est passé de modèles très classiques à des pièces créatives, constate Chantal Danguillaume, directrice de Playtime. Ce développement fait aussi écho à l’évolution de la place de l’enfant dans la société. »
Moins segmenté entre le monde des grands et celui des petits, avec même des frontières effacées, ce nouvel art de vivre a commencé par le mobilier, qui s’est allégé, épuré, est devenu modulable, a joué les différentes tonalités de bois… OEuf NYC en est l’un des précurseurs. Comme souvent dans la genèse des marques pour les enfants, c’est lorsqu’ils sont devenus parents que Michaël Ryan et Sophie Demenge, designers, se sont intéressés à ces problématiques. « Quand on a voulu meubler la chambre de notre premier enfant, nous avions le choix entre du très classique ou du peu qualitatif. Comme nous voulions conserver le même univers que dans le reste de la maison, avec la même exigence tout en nourrissant l’univers visuel de notre fille et son goût de la qualité, on a fini par développer une dizaine de prototypes. Ce sont des objets qui ont l’air simples, mais les réglementations de chaque pays les rendent complexes à produire », explique Sophie Demenge. Quand ils se lancent, en 2002, ils sont ■
L’antre des petits est devenu une pièce comme les autres, que l’on fait visiter fièrement à ses invités.
presque les seuls dans le secteur. ■
Le bouche-à-oreille aidant, la demande suit, malgré des prix assez élevés pour du mobilier temporaire – plus de 800 euros le lit pour bébé. Cette proposition minimaliste a marqué un premier pas, attirant des marques spécialisées mais finalement peu de grands noms du design. « Ils ne s’y intéressent pas parce que c’est un secteur difficile, affirme Cécile Roederer. Il faut connaître les différentes normes, cela coûte aussi cher que de concevoir du mobilier adulte sauf qu’on ne peut pas le mettre au même prix. Résultat : les marges restent réduites. »
« Accidents visuels ». La deuxième vague que l’on voit déferler aujourd’hui ? Celle de la petite décoration : linge de lit à la palette chromatique travaillée, objets en osier, papiers peints, luminaires, guirlandes, affiches, patères et même plantes. « Il y a eu une forte tendance minimaliste, épurée, qu’on vient maintenant casser avec des accidents visuels, des couleurs, des décorations murales, des accessoires qui permettent de suivre l’air du temps mais aussi de faire évoluer l’espace en fonction de l’âge de l’enfant », poursuit la fondatrice de Smallable. Un cahier de tendances qui s’aligne de plus en plus sur celui des salons et des chambres d’adultes, avec un engagement écologique beaucoup plus fort que dans d’autres secteurs. « Les clients veulent savoir si la teinture est écolo, s’il n’y a pas de produit toxique, d’où vient le bois… Ces exigences sont devenues incontournables », selon Cécile Roederer. Autre témoin de cet engouement, le développement de sites, par exemple The Socialite Family (voir encadré), et le lancement de magazines tels que Milk Decoration en 2012. « Les parents n’ont pas seulement envie d’habiller les enfants à leur image, ils veulent aussi pousser la décoration jusque dans leurs chambres. Ils investissent moins dans les vêtements au profit de la décoration et du voyage. C’est tout un mode de vie autour de la famille qui s’est transformé», analyse Hélène Lahalle, rédactrice en chef de
Milk. Les réseaux sociaux n’y sont pas pour rien, notamment celles qu’on appelle désormais les « digital mums », des influenceuses qui mettent en scène leur vie de famille et qui font de la chambre des enfants un décor tout aussi photogénique que le reste de la maison. Les mères d’enfants en bas âge en tout cas. « Quand l’enfant grandit, à l’adolescence notamment, une révolution s’opère. Il faut qu’il prenne possession de son univers. Mais, à la naissance d’un bébé, sa chambre peut tout à fait être codée », note Chantal Danguillaume. Les fanas du dernier Marvel, les adeptes du rose pailleté et les licornes addicts se retrouvent-ils dans leur espace bois foncé et jaune moutarde ? « Ce n’est pas antagoniste avec la Reine des neiges, les deux univers coexistent, estime Hélène Lahalle. Il y a des marques qui proposent de jolis jouets avec lesquels les enfants aiment s’amuser. » Et qu’on ne détesterait pas voir traîner dans le salon ■