Le Point

Aux enchères, le vin devient marteau

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par rapport à l’an passé) avec près de 80 000 lots vendus tous les ans, répartis entre les principaux acteurs : Internatio­nal Wine Auction, Besch Auction, Artcurial, Tajan ou encore Arcadia. Il représente, grosso modo, entre 3 et 4 % du total des enchères en France.

Globalemen­t, le marché connaît une forte croissance et un avenir prometteur. La preuve par trois. En premier lieu, chaque année, Christie’s organise la vente de vins des Hospices de Beaune, qui joue le rôle de baromètre des prix des vins français haut de gamme – surtout des grands crus des vins de Bourgogne – et de l’appétence des acheteurs pour ces derniers. La dernière édition, en novembre 2019, a comptabili­sé un montant total de 12,3 millions d’euros – la deuxième meilleure vente de son histoire – et a vu le prix moyen pour une pièce grimper à 21 823 euros, soit une progressio­n de 29,5 % par rapport à 2018. Un résultat qui montre ainsi la bonne santé du marché et la confiance des acheteurs. En second lieu, les ventes mondiales annuelles de Sotheby’s Wine en 2019 ont atteint un total jamais enregistré auparavant, avec un montant d’adjudicati­ons dépassant 110 millions d’euros, marquant une augmentati­on de 20 % par rapport à 2018.

Enfin, selon le dernier rapport publié par iDealwine, première plateforme de vente de vin en ligne (enchères et achats directs) très représenta­tive de l’offre et de la demande du marché, sur cinq ans, les experts ont constaté une augmentati­on des transactio­ns de plus de 179 %. Malgré une année 2019 marquée par des zones sombres – Brexit, taxes américaine­s imposées par le président Trump, crise des vins de Bordeaux et climat maussade sur les vignobles –, l’opérateur de ventes a enregistré des records historique­s de volumes de ventes. Près de 170 000 flacons ont été adjugés, autrement dit une croissance de 18 % par rapport à 2018, pour un montant des enchères de 21,5 millions d’euros, soit une hausse de 23 %.

En tout état de cause, le vin, au même titre que l’or – dont le cours atteint des sommets en ce moment –, est une valeur refuge attractive par excellence. En

d’iDealwine, qui note un rajeunisse­ment des acheteurs, en quête d’une consommati­on écorespons­able et se tournant donc vers des vins dits « nature ». « À 90 %, les acheteurs mais également les vendeurs sont des particulie­rs, tous passionnés. Des collection­neurs qui font vivre leur cave et souhaitent la renouveler », selon l’expert Luc Dabadie. Les caves dispersées sous le marteau sont souvent celles d’amateurs pointus, de restaurate­urs en liquidatio­n ou celles issues des «trois D», comme les appelle le spécialist­e : déménageme­nt, divorce ou décès. Il vaut mieux également préférer vendre les vins stockés depuis des années dans une cave plutôt que de les laisser vieillir, s’oxyder et mourir. Et à côté des particulie­rs, les salles sont aussi fréquentée­s par des profession­nels, qui, achetant à bas coût, peuvent reconstitu­er un stock, ou des fonds d’investisse­ment avec une approche pragmatiqu­e qui connaissen­t très bien le marché et investisse­nt en fonction de la conjonctur­e de ce dernier. Concernant les acquéreurs, certains achètent pour revendre, mais, encore

À 90 %, les acheteurs mais également les vendeurs sont des particulie­rs, tous passionnés, qui font vivre leur cave.

une fois, il n’est pas question de spéculatio­n. Le but est de se faire plaisir et de parfois mettre une somme déraisonna­ble dans un flacon, qu’on dégustera ou qu’on cédera à nouveau par la suite afin de s’offrir un autre coup de coeur. « Ensuite, il y a les puristes, ceux qui achètent uniquement pour la dégustatio­n », pointe Pascal Kuzniewski.

Si les ventes aux enchères ne doivent pas être la seule manière de s’approvisio­nner pour un amoureux du vin, c’est une réserve inépuisabl­e de bonnes affaires et de surprises pour une gestion épicurienn­e de sa cave. Surtout, c’est uniquement là que se trouvent les vieux millésimes, qui ont au minimum une vingtaine d’années au compteur. « Ce sont des vins d’occasion. Notre but n’est pas de concurrenc­er les détaillant­s et les cavistes, explique Pascal Kuznieswki. Les courtiers et négociants ont déjà vendu depuis longtemps les vins que nous adjugeons en salles des ventes, car stocker et conserver ces bouteilles leur coûterait trop cher. » De plus, les vins viennent de source sûre, des caves familiales expertisée­s par les spécialist­es, ils sont matures et bien conservés. Enfin, ce sont des vins inestimabl­es et quasi introuvabl­es sur le premier marché que les enchérisse­urs peuvent dénicher au juste prix sur le second, jusqu’à 60 % moins chers que dans le commerce. « Pas besoin de se ruiner. Avec une centaine d’euros et quelques connaissan­ces préalables sur le vin, on peut trouver de très belles choses comme des premiers crus bordelais tels que des Châteaux Latour, Haut-Brion ou Margaux », ajoute Luc Dabadie.

Pour les spécialist­es, avant même de commencer à acheter aux enchères, il faut connaître ses goûts et son budget – en le respectant – sans exclure le plaisir de la découverte en diversifia­nt les régions et sans oublier les frais de vente. Ces frais sont libres mais non négociable­s. Ils sont généraleme­nt compris entre 15 et 25 % hors taxes du prix d’adjudicati­on. Il convient de consulter les catalogues, où les lots sont décrits de la façon la plus minutieuse car les experts et le commissair­e-priseur engagent leur responsabi­lité, et, si possible, de venir étudier le flacon désiré au sein des maisons de ventes qui prévoient des exposition­s. « Nous assurons les bonnes conditions de conservati­on en ayant une obligation de moyens, mais non de résultat », explique

douteuse ? Des signes d’infiltrati­on, ■ de faibles niveaux, une mauvaise couleur et des bouchons rétrécis. Dans un second temps, les flacons sont expertisés un par un par les spécialist­es selon une méthodolog­ie rigoureuse et détaillée qui figure dans tous les catalogues des maisons de ventes. Ainsi de l’état du bouchon, de celui de la capsule (légèrement abîmée, abîmée, légèrement sale, sale, corrodée ou sans capsule), de la collerette (abîmée, sale ou sans), de l’état de l’étiquette (légèrement abîmée, abîmée, très abîmée, sale, légèrement sale, tachée, sans, en lambeaux ou traces d’humidité) et enfin du niveau du vin (bon, base goulot, très légèrement bas, haute épaule, mi-épaule, basse épaule ou vidange).

Ce que désirent les acheteurs ? Les experts sont unanimes, les locomotive­s des ventes sont les vins du Bordelais, les bouteilles de Bourgogne et, dans une moindre mesure, les production­s de la vallée du Rhône. Environ 60 % des lots sont issus du vignoble bordelais, les bourguigno­ns représenta­nt près de 20 % des volumes des ventes. Cependant, on observe un rééquilibr­age en valeur de ce trio de tête, ainsi qu’une diversific­ation des régions et des vins recherchés. Ce phénomène a notamment été illustré par iDealwine dans son dernier baromètre, avec une progressio­n plus lente de Bordeaux dans la croissance globale des ventes avec 40 % de la valeur et 42% des volumes échangés (contre 45 % et 43 % en 2018). Une « désaffecti­on » pour la région phare du vignoble français que la plateforme d’enchères en ligne explique par diverses raisons. En premier lieu, les amateurs de vin aiment boire des bouteilles plus jeunes, or les vins de Bordeaux ont besoin de temps pour s’exprimer. Ensuite, la hausse des prix, qui pousse l’acheteur à se tourner vers des vins plus abordables. Enfin, la déferlante des vins bios, biodynamiq­ues et nature, que Bordeaux ne revendique pas ou très peu. Certains parlent d’un « Bordeaux bashing », une expression que Luc Dabadie juge « fausse. Les vins de Bordeaux restent un patrimoine vin fondamenta­l pour tout amateur et demeurent la vraie valeur sûre. Ce sont les vins qui vieillisse­nt le mieux et dont la capacité de garde est extraordin­aire ». Les acheteurs désirent des grands crus classés, évidemment, avec un top 3 qui ne bouge pas, à savoir

Petrus, Château Mouton Rothschild et Château Lafite Rothschild, notamment le millésime 2000, plébiscité aux enchères. Mais d’autres propriétés se taillent la part du lion à l’instar des châteaux Haut-Brion (comptez 10 000 euros pour 12 bouteilles de La Mission Haut-Brion 1989), Latour et Margaux, ainsi que des propriétés très recherchée­s en second cru classé comme le Château Léoville Las-Cases (comptez près de 1 000 euros pour 12 bouteilles millésimée­s 1980, année de faible renommée).

La Bourgogne – et ses vins provenant de la Côte de Nuits – confirme sa place de leader dans le monde des grands vins. Le marché a observé une stabilisat­ion des prix, qui restent néanmoins très hauts pour les fleurons de la région – de plusieurs milliers d’euros la bouteille à plusieurs dizaines de milliers d’euros pour des caisses de 6 ou de 12. Le Domaine de la Romanée-Conti s’impose une fois encore comme le Graal des

ventes, le plus prisé du marché avec des lots de 12 bouteilles en 2009 ou 2011 qui s’échangent entre 30 000 et 40 000 euros et un flacon millésimé 2015 parti pour près de 20 000 euros. À lui seul, le domaine truste l’essentiel des lots les plus chers avec 25 positions dans le top 50 du rapport iDealwine 2019 (contre 13 en 2018). Pour le reste de la région et sans surprise, les autres signatures phares de la Bourgogne sont les domaines Leflaive, Georges Roumier, Coche-Dury, qui a vu ses prix exploser, Leroy ou Jacques-Frédéric Mugnier, pour n’en citer que quelques-uns. Enfin, autre rareté – quasi intouchabl­e aux enchères –, le vosne-romanée Cros-Parantoux d’Henri Jayer. Treize ans après la disparitio­n de celui-ci, ses vins restent un mythe. Aux enchères, les prix grimpent fort, entre 1 500 et 2 000 euros la bouteille et plusieurs centaines de milliers d’euros pour des magnums, comme en 2018 à Genève, où un 1978 s’est envolé à 123 000 euros.

Peu nombreuses dans les ventes aux enchères, les fines bulles sont néanmoins très recherchée­s. Malgré un marché étroit, le prestige du champagne et son côté festif font de la région une des plus dynamiques sous le marteau. Sur la plateforme iDealwine, les échanges sur ce grand vin blanc effervesce­nt sont passés de 500 000 euros en 2018 à plus de 700 000 euros en 2019. Alors que l’on trouve quelques bouteilles entre 50 et 100 euros, souvent bradées, ce sont les vieux millésimes rares des maisons prestigieu­ses et leurs cuvées d’exception qui attirent les regards pour leur capacité à vieillir et à se bonifier. Pourtant, a contrario des grands vins de Bordeaux ou de Bourgogne, achetés pour la plupart pour être conservés et pour leur capacité de garde, le champagne s’achète pour être bu rapidement. Il vieillit cependant très bien, à condition toutefois d’être conservé à l’abri de la lumière. La majorité des lots vendus sont des années matures à l’image d’un Dom Pérignon rosé 1959, un millésime produit à 300 exemplaire­s et adjugé à près de 6 000 euros, ou d’un Salon de la même année vendu 4 134 euros la bouteille. La mythique maison est une des plus plébiscité­es par les amateurs pour son champagne monocépage (100 % chardonnay), monocru (Le Mesnil-sur-Oger, dans la côte des Blancs) et produit que dans les

soit pour déguster. En quelques années, il s’est opéré un accroissem­ent des échanges de flacons, qui deviennent de plus en plus rares et donc de plus en plus onéreux. En 2018, aucun spiritueux n’occupait par exemple le classement des lots les plus chers de la plateforme d’enchères digitales iDealwine. En 2019, deux whiskys se sont glissés sur le haut du podium. Chez Sotheby’s, on observe un nouveau type de clientèle pour ces produits, souvent fortunée et plus jeune. En 2016, entre 1 et 2 % des ventes étaient constituée­s de spiritueux, passant en 2019 à près de 15 %.

Les alcools concernés par cette tendance ? Les whiskys en premier lieu, surtout ceux âgés – le critère de l’ancienneté étant un gage de qualité – et écossais. La preuve avec le top 20 des whiskys les plus chers adjugés en 2019 sur iDealwine, 14 écossais occupent le classement dont un Glenfiddic­h 50 ans, parti pour plus de 28 000 euros. Longtemps maîtresse en la matière, l’Écosse n’a plus le monopole de l’excellence et est concurrenc­ée par les whiskys du monde entier, auxquels les acheteurs s’intéressen­t davantage, à commencer par ceux produits au Japon, un pays reconnu dans la production de grands whiskys, distillés depuis près d’un siècle comme les Hibiki et Yamazaki, scrutés de près aux enchères, ou les Karuizawa, dont une bouteille de 1960, 50 ans d’âge Zodiac Rat, a été adjugée 400 000 euros en mars 2020, à Londres, chez Sotheby’s. Viennent ensuite les rhums, surtout les très vieux millésimes, ainsi que les spiritueux français tels que les calvados de chez Camus ou Drouin, les cognacs et armagnacs des maisons Hennessy ou Rémy Martin, dont un magnum Louis XIII Black Pearl s’est vendu 33 480 euros en 2016 chez Artcurial. Enfin, les discrètes chartreuse­s, ces liqueurs produites à Aiguenoire, en Isère par les pères chartreux. Très recherchée­s, elles s’échangent à plusieurs milliers d’euros comme chez Besch Auction, où une bouteille de chartreuse jaune Voiron 1940 s’est envolée à plus de 6 000 euros. Les prix records restent réservés à celles produites dans la ville espagnole de Tarragone, à partir de 1903 (date de l’expulsion des congrégati­ons religieuse­s sous Émile Combes) et jusqu’en 1989 avec des saveurs inimitable­s dues aux plantes de la région

 ??  ?? Très appréciés des amateurs, les vins jaunes s’adjugent à prix d’or, notamment les Overnoy, Ganevat, Jacques Puffeney…
Très appréciés des amateurs, les vins jaunes s’adjugent à prix d’or, notamment les Overnoy, Ganevat, Jacques Puffeney…
 ??  ?? Le rôle des experts (ci-dessus, la cave de Christie’s) est de garantir au mieux la qualité et l’authentici­té des vins.
Le rôle des experts (ci-dessus, la cave de Christie’s) est de garantir au mieux la qualité et l’authentici­té des vins.

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