La crise s’installe dans les têtes
Plan de relance et discours optimistes se heurtent au moral des Français, demandeurs de protection et avares de confiance. Le Covid n’arrange rien.
Contrairement à son collègue de la Santé, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, essaie comme il peut, en cette rentrée sinistre, de remonter le moral des Français, en affirmant par exemple dans Les Échos que « la récession sera moins forte que prévu » et que « notre relance produit déjà ses effets ». Efforts méritoires mais assez vains tant la situation économique reste objectivement catastrophique. Il faut disposer d’une nature très optimiste pour considérer comme une bonne nouvelle le fait que le PIB ne reculerait cette année que de 8,7 %, comme l’espère désormais la Banque de France, contre 10,3 % anticipé au mois de juin. Ou que le déficit sera finalement limité à 10,2 %, contre 11,5 % initialement attendu, et que la dette augmentera un peu moins que prévu, à 117,5 % du PIB au lieu de 120,9 %.
Ces efforts apparaissent d’autant plus vains que le choc psychologique positif que le gouvernement était en droit d’espérer avec la présentation de son plan de relance a été anéanti en quelques jours par le rebond de l’épidémie de Covid-19. Le nombre symbolique des 10 000 nouveaux cas quotidiens a vite fait oublier les 100 milliards d’euros mis sur la table. Il n’y a pas besoin non plus d’être expert en modèles économétriques et épidémiologiques pour savoir qu’il existe une corrélation forte entre la courbe des admissions en service de réanimation et celle des inscriptions à Pôle emploi. Et pour deviner que la deuxième vague de l’épidémie entraînerait une deuxième vague de faillites et de licenciements, et pas seulement dans les restaurants de bouillabaisse de Marseille.
Il y a suffisamment de bonnes raisons de critiquer le gouvernement pour ne pas le faire pour de mauvaises. Pour ne pas reconnaître l’extraordinaire difficulté qu’il y a actuellement à piloter le pays en appuyant à la fois sur les pédales de frein et d’accélérateur. En exhortant d’un côté les Français à consommer pour faire monter le PIB tout en ordonnant de l’autre la fermeture des cafés dans les grandes villes.
Les dégâts dans l’économie réelle provoqués par la pandémie s’annoncent moins graves en France que les ravages qu’elle a visiblement faits dans les têtes. En transformant cette société de défiance qui caractérise depuis longtemps notre pays, décrite il y a déjà plus de dix ans par les économistes Yann Algan et Pierre Cahuc, en une société d’ultradéfiance : à l’égard du gouvernement, de Paris, des élites, des riches, des jeunes, des experts, des médecins, des vaccins, de la science, de la 5G, etc. Tout le contraire d’une société de confiance comme l’est la Suède, où, malgré un taux de mortalité du Covid-19 nettement plus élevé qu’en France, 70% des citoyens approuvent la façon dont le gouvernement gère la crise sanitaire (voir p. 44).
Cette défiance se manifeste tout particulièrement à l’égard de la mondialisation. Selon la grande enquête annuelle
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Le symbole des 10 000 nouveaux cas quotidiens a vite fait oublier les 100 milliards d’euros mis sur la table.
sur les « fractures françaises » publiée dans Le Monde, 61 % ■ des personnes interrogées (+ 6 points en un an) réclament plus de protectionnisme, avec l’illusion qu’il permettrait de lutter efficacement contre le virus des importations chinoises. Une majorité de Français (60 %) considère également que « la mondialisation est une menace pour la France», alors qu’ils n’étaient que 48 % au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, dont le quinquennat risque fort d’être, contre toute attente, celui de la fermeture au monde et du grand repli sur soi.
En avril 2017, à la veille du second tour de l’élection présidentielle, le candidat Macron était allé à la rencontre des salariés de l’usine Whirlpool d’Amiens, menacée de fermeture : « La réponse à ce qui vous arrive, leur avait-il expliqué, ce n’est pas de supprimer la mondialisation ou de fermer les frontières. Ceux qui vous disent ça vous mentent. La fermeture des frontières, c’est une promesse mensongère, derrière il y a la destruction de milliers d’emplois qui ont besoin de leur ouverture. » Mais, depuis, le Covid-19 a métamorphosé le candidat de la mondialisation en président des relocalisations. Lors de la prochaine campagne pour l’Élysée, Emmanuel Macron ira probablement visiter des usines de gel hydroalcoolique et de masques grand public et saluer ces nouveaux fleurons de l’industrie française ■