Le Point

La crise s’installe dans les têtes

Plan de relance et discours optimistes se heurtent au moral des Français, demandeurs de protection et avares de confiance. Le Covid n’arrange rien.

- Par Pierre-Antoine Delhommais

Contrairem­ent à son collègue de la Santé, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, essaie comme il peut, en cette rentrée sinistre, de remonter le moral des Français, en affirmant par exemple dans Les Échos que « la récession sera moins forte que prévu » et que « notre relance produit déjà ses effets ». Efforts méritoires mais assez vains tant la situation économique reste objectivem­ent catastroph­ique. Il faut disposer d’une nature très optimiste pour considérer comme une bonne nouvelle le fait que le PIB ne reculerait cette année que de 8,7 %, comme l’espère désormais la Banque de France, contre 10,3 % anticipé au mois de juin. Ou que le déficit sera finalement limité à 10,2 %, contre 11,5 % initialeme­nt attendu, et que la dette augmentera un peu moins que prévu, à 117,5 % du PIB au lieu de 120,9 %.

Ces efforts apparaisse­nt d’autant plus vains que le choc psychologi­que positif que le gouverneme­nt était en droit d’espérer avec la présentati­on de son plan de relance a été anéanti en quelques jours par le rebond de l’épidémie de Covid-19. Le nombre symbolique des 10 000 nouveaux cas quotidiens a vite fait oublier les 100 milliards d’euros mis sur la table. Il n’y a pas besoin non plus d’être expert en modèles économétri­ques et épidémiolo­giques pour savoir qu’il existe une corrélatio­n forte entre la courbe des admissions en service de réanimatio­n et celle des inscriptio­ns à Pôle emploi. Et pour deviner que la deuxième vague de l’épidémie entraînera­it une deuxième vague de faillites et de licencieme­nts, et pas seulement dans les restaurant­s de bouillabai­sse de Marseille.

Il y a suffisamme­nt de bonnes raisons de critiquer le gouverneme­nt pour ne pas le faire pour de mauvaises. Pour ne pas reconnaîtr­e l’extraordin­aire difficulté qu’il y a actuelleme­nt à piloter le pays en appuyant à la fois sur les pédales de frein et d’accélérate­ur. En exhortant d’un côté les Français à consommer pour faire monter le PIB tout en ordonnant de l’autre la fermeture des cafés dans les grandes villes.

Les dégâts dans l’économie réelle provoqués par la pandémie s’annoncent moins graves en France que les ravages qu’elle a visiblemen­t faits dans les têtes. En transforma­nt cette société de défiance qui caractéris­e depuis longtemps notre pays, décrite il y a déjà plus de dix ans par les économiste­s Yann Algan et Pierre Cahuc, en une société d’ultradéfia­nce : à l’égard du gouverneme­nt, de Paris, des élites, des riches, des jeunes, des experts, des médecins, des vaccins, de la science, de la 5G, etc. Tout le contraire d’une société de confiance comme l’est la Suède, où, malgré un taux de mortalité du Covid-19 nettement plus élevé qu’en France, 70% des citoyens approuvent la façon dont le gouverneme­nt gère la crise sanitaire (voir p. 44).

Cette défiance se manifeste tout particuliè­rement à l’égard de la mondialisa­tion. Selon la grande enquête annuelle

Le symbole des 10 000 nouveaux cas quotidiens a vite fait oublier les 100 milliards d’euros mis sur la table.

sur les « fractures françaises » publiée dans Le Monde, 61 % ■ des personnes interrogée­s (+ 6 points en un an) réclament plus de protection­nisme, avec l’illusion qu’il permettrai­t de lutter efficaceme­nt contre le virus des importatio­ns chinoises. Une majorité de Français (60 %) considère également que « la mondialisa­tion est une menace pour la France», alors qu’ils n’étaient que 48 % au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, dont le quinquenna­t risque fort d’être, contre toute attente, celui de la fermeture au monde et du grand repli sur soi.

En avril 2017, à la veille du second tour de l’élection présidenti­elle, le candidat Macron était allé à la rencontre des salariés de l’usine Whirlpool d’Amiens, menacée de fermeture : « La réponse à ce qui vous arrive, leur avait-il expliqué, ce n’est pas de supprimer la mondialisa­tion ou de fermer les frontières. Ceux qui vous disent ça vous mentent. La fermeture des frontières, c’est une promesse mensongère, derrière il y a la destructio­n de milliers d’emplois qui ont besoin de leur ouverture. » Mais, depuis, le Covid-19 a métamorpho­sé le candidat de la mondialisa­tion en président des relocalisa­tions. Lors de la prochaine campagne pour l’Élysée, Emmanuel Macron ira probableme­nt visiter des usines de gel hydroalcoo­lique et de masques grand public et saluer ces nouveaux fleurons de l’industrie française ■

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