Le Point

Covid-19 : la raison et les soupçons

- PAR SÉBASTIEN LE FOL

Dans l’un de ses textes de guerre, exhumé par Alain Finkielkra­ut, Raymond Aron fustigeait « l’hostilité à l’égard des gouvernant­s, le refus du citoyen de se placer du point de vue de ceux qui gouvernent et d’examiner, comme ceux-ci sont contraints de le faire, les problèmes à résoudre ». Selon Aron, « le vrai citoyen veut choisir ses chefs, non les enchaîner par le soupçon perpétuel ». Face au coronaviru­s, le soupçon est roi. Même en se plaçant du point de vue de nos gouvernant­s et en s’efforçant à un examen lucide, il paraît difficile d’échapper au scepticism­e ambiant. L’applicatio­n StopCovid symbolise les errements de notre stratégie contre le Covid-19. Le Premier ministre lui-même a fait l’aveu (touchant) qu’il ne l’avait pas téléchargé­e sur son téléphone.

On nous a pourtant prévenus dès le début de l’été : il y aura une deuxième vague de la pandémie. Il fallait s’y préparer. La gestion de la première vague avait été jugée trop bureaucrat­ique, édictant des règles trop complexes : l’automne apporte son lot de consignes encore plus brumeuses. La technocrat­ie sanitaire déborde d’imaginatio­n. La carte de France a été repeinte : rouge, super-rouge, écarlate…

Castex a succédé à Philippe. Le style a légèrement changé. Moins lugubre. Plus conciliant. Castex se voulait moins jacobin. On allait laisser la main aux « territoire­s ». Patatras ! Paris reprend la main. Le Sud menace de faire sécession ! « Se placer du point de vue de ceux qui gouvernent », recommanda­it Aron. Les gouvernant­s se placent-ils suffisamme­nt au niveau des gouvernés ? Il y a trop de mépris et de paternalis­me.

Ils ne sont pas commodes, ces Français. Ils pestent contre les contrainte­s. Quand le gouverneme­nt allège le dispositif, ils grognent contre son irresponsa­bilité. Voilà où mène une société de défiance. On aimerait encore une fois donner raison à Aron. Le prochain dégagisme risque de s’appliquer aux pouvoirs en place sous le coronaviru­s. Cette pandémie laissera des stigmates. Pas seulement ceux des masques sur les visages

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