Covid-19 : la raison et les soupçons
Dans l’un de ses textes de guerre, exhumé par Alain Finkielkraut, Raymond Aron fustigeait « l’hostilité à l’égard des gouvernants, le refus du citoyen de se placer du point de vue de ceux qui gouvernent et d’examiner, comme ceux-ci sont contraints de le faire, les problèmes à résoudre ». Selon Aron, « le vrai citoyen veut choisir ses chefs, non les enchaîner par le soupçon perpétuel ». Face au coronavirus, le soupçon est roi. Même en se plaçant du point de vue de nos gouvernants et en s’efforçant à un examen lucide, il paraît difficile d’échapper au scepticisme ambiant. L’application StopCovid symbolise les errements de notre stratégie contre le Covid-19. Le Premier ministre lui-même a fait l’aveu (touchant) qu’il ne l’avait pas téléchargée sur son téléphone.
On nous a pourtant prévenus dès le début de l’été : il y aura une deuxième vague de la pandémie. Il fallait s’y préparer. La gestion de la première vague avait été jugée trop bureaucratique, édictant des règles trop complexes : l’automne apporte son lot de consignes encore plus brumeuses. La technocratie sanitaire déborde d’imagination. La carte de France a été repeinte : rouge, super-rouge, écarlate…
Castex a succédé à Philippe. Le style a légèrement changé. Moins lugubre. Plus conciliant. Castex se voulait moins jacobin. On allait laisser la main aux « territoires ». Patatras ! Paris reprend la main. Le Sud menace de faire sécession ! « Se placer du point de vue de ceux qui gouvernent », recommandait Aron. Les gouvernants se placent-ils suffisamment au niveau des gouvernés ? Il y a trop de mépris et de paternalisme.
Ils ne sont pas commodes, ces Français. Ils pestent contre les contraintes. Quand le gouvernement allège le dispositif, ils grognent contre son irresponsabilité. Voilà où mène une société de défiance. On aimerait encore une fois donner raison à Aron. Le prochain dégagisme risque de s’appliquer aux pouvoirs en place sous le coronavirus. Cette pandémie laissera des stigmates. Pas seulement ceux des masques sur les visages
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