Tout ce que va vraiment changer la 5G.
La France lance les enchères des licences 5G. Cette technologie, que certains craignent, pourrait révolutionner la vie économique.
Ce devait être un beau moment de concorde nationale. « On est en train de démontrer qu’on peut continuer à faire des événements en période de Covid », se réjouissait Emmanuel Macron, col Mao et sans cravate, ce soir du 14 septembre devant un parterre d’entrepreneurs, tout en rappelant qu’il faudrait « vivre avec le virus, sans doute pour des semaines, peut-être pour des années ». Dans la salle des fêtes de l’Élysée, qui, pour l’occasion, avait limité à 200 le nombre de personnes autorisées à fouler la moquette du palais, le chef de l’État a ensuite tenté de remonter le moral de ses invités. En lançant d’abord ceci : « L’entrepreneur français est une plante qui n’a pas besoin d’être arrosée, mais qui a besoin de stabilité », puis en les titillant avec : « Le numérique ne doit plus être réservé aux bobos, urbains, issus d’un certain milieu. » Enfin, au lendemain de la publication d’un texte écrit par une soixantaine d’élus appelant à un moratoire sur le déploiement de la 5G, le président a lâché : « On va expliquer, débattre et tordre le cou à de nouvelles idées. Mais oui, la France va prendre le tournant de la 5G, parce que c’est le tournant
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de l’innovation. Et j’entends ■ beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile. Je ne crois pas que le modèle amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine. » Applaudissements dans la salle éclairée de lampadaires Louis XV, mais explosion instantanée d’une grosse polémique. La concorde nationale, ce sera pour une autre fois… Même dans les rangs des entrepreneurs présents, cette sortie présidentielle a parfois agacé : « Cela me rappelle la punchline “Je traverse la rue et je vous en trouve.” [lancée à un chômeur qui expliquait ses difficultés à trouver un emploi, NDLR]. Je ne suis pas sûr que cette sortie soit du meilleur effet et aide à l’acceptabilité de la 5G par les Français.» Le discours n’était pas terminé que Twitter s’enflammait déjà. « La question n’est pas de croire ou pas au modèle amish, mais de croire à la parole donnée. En l’occurrence, celle du président de la République devant la convention citoyenne pour le climat sur un moratoire 5G, notamment pour attendre une étude d’impact environnemental », réagissait aussitôt Julien Bayou, secrétaire national des Verts, quand le député LFI François Ruffin appelait, plus tard à l’Assemblée, à un « référendum sur la 5G ». Même le député mathématicien Cédric Villani alertait : « Nos adversaires veulent faire croire que nous sommes technophobes, mais il faut que l’on puisse s’interroger sur la manière dont on doit concilier l’utilisation de
La 5G générerait une hausse du PIB de 400 à 650 milliards de dollars d’ici à 2030.
la 5G avec une économie d’énergie. »
La question est désormais dans le débat public : faut-il voir dans la 5G une futile fuite en avant technologique ? « La 5G, c’est fait pour regarder du porno sur votre téléphone en haute définition, même quand vous êtes dans l’ascenseur», expliquait, au début de l’été, le maire de Grenoble, Éric Piolle. Ou bien, comme l’assure le McKinsey Global Institute, la 5G est-il un élément clé de l’industrie 4.0, qui permettra, entre autres, aux robots de communiquer entre eux, de faire de la voiture autonome une réalité tangible, et qui générera une hausse du PIB mondial de 400 à 650 milliards de dollars d’ici à 2030 ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que le débat reste tendu en France, alors que, le 29 septembre, ont commencé les enchères pour l’attribution des premières fréquences dans l’Hexagone. Les opérateurs (Orange, SFR, Free, Bouygues Telecom), qui sont des candidats naturels pour les 11 « blocs » de fréquences aujourd’hui inutilisés, redoutent de nouveaux vandalismes, à l’image des destructions d’éléments de réseaux qui ont lieu cette année en France.
1 million d’objets par km2. Aux interrogations légitimes se sont parfois mêlées des affabulations, comme un hasardeux lien de cause à effet entre le déploiement d’antennes et la propagation du coronavirus, par exemple. « J’observe une assez forte décorrélation entre la militance et la compétence. Comme si le fait d’avoir une opinion radicale (pour ou contre) permettait de se dédouaner de l’obligation ou de l’envie d’accroître ses connaissances », dit au Point le physicien Étienne Klein – par ailleurs directeur de recherche au CEA –, de plus en plus sévère sur l’ultracrepidarianisme, l’art de parler avec assurance de ce que l’on ne connaît pas. « On a encouragé chacun à faire de ses erreurs, puis de ses opinions des vérités, car “ressenties” comme telles. Enseignons l’humilité d’une connaissance incertaine d’elle-même et toujours à recommencer, et la beauté de sa difficile acquisition », résume Olivier Babeau, directeur du groupe de réflexion Institut Sapiens, dans son livre Le Nouveau Désordre numérique (Buchet-Chastel).
Et si l’on commençait par s’interroger : qu’est-ce que la 5G, exactement ? Il ne s’agit pas uniquement d’une nouvelle norme de téléphonie mobile, comme l’était la 1G – qui a apporté la voix –, la 2G – les SMS –, la 3G – le Web mobile – ou encore la 4G – la communication entre les objets… Grâce à
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cette technologie, on ■ connectera plus d’objets entre eux – 1 million par kilomètre carré – plus rapidement (on parle d’un temps de latence de 2 millisecondes), mais, surtout, avec des débits qui s’adaptent en permanence à la demande. Car les antennes Mimo (Multiple-Input/Multiple-Output) sont constituées d’un grand nombre d’antennes miniaturisées qui fonctionnent comme un phare. Le signal est dirigé de manière précise au lieu d’être émis dans toutes les directions. « Il s’agit d’une nouvelle colonne vertébrale pour l’économie, elle va changer la vie des Français dans les territoires, modifier le fonctionnement des usines et permettre des villes intelligentes », expliquait il y a six mois Thomas Courbe, à la tête de la Direction générale des entreprises, à Bercy, qui voit dans la 5G une révolution aussi importante que celle d’Internet il y a vingt-cinq ans.
Saturation du réseau. Attention ! Au départ, le grand public ne verra pas vraiment de différence entre la 4G et la 5G, car le réseau s’appuiera, au moins jusqu’en 2022, sur le réseau 4G existant, lui apportant seulement davantage de débit. « Nous arrivons au bout de la capacité des fréquences et des réseaux actuels… Il faut dire que nos usages augmentent de 30 à 40 % tous les ans ! » chiffre Michaël Trabbia, responsable technologie et innovation chez Orange, qui prévoit une saturation du réseau dans les grandes villes dès l’an prochain.
Mais, à terme, la 5G peut-elle faire naître de nouveaux usages ? En Corée du Sud, pays pionnier dans la 5G, la Fédération de base-ball a installé 60 caméras autour du stade olympique de Séoul. Résultat, les spectateurs choisissent, en temps réel et selon leur envie, l’angle avec lequel ils suivent le match. Comme s’ils étaient leur propre réalisateur… Autre exemple : la possibilité, pour les fans de K-pop, d’assister à un concert en réalité virtuelle tout en pouvant, à chaque chanson, changer de place dans la salle. L’idée est aussi de faciliter le cloud gaming, l’accès à des jeux puissants depuis son mobile, tout comme de jouer au ping-pong à plusieurs en réalité augmentée, une des démonstrations du finlandais Nokia. Moins anecdotique, LG expérimente l’irrigation au goutte-à-goutte de vastes zones agricoles. Il y a un an, Antonio de Lacy, chef du service gastro-intestinal de l’hôpital Clínic de Barcelone, a guidé en visio une équipe de jeunes médecins qui opéraient, dans un hôpital situé à quelques kilomètres, un patient atteint d’un cancer du côlon, grâce à une technologiemiseaupointparVodafone. En Suède, l’équipementier Ericsson s’est allié à la start-up Einride pour plancher sur le T-Pod, un camion 100 % électrique et autonome. « La 5G apporte la connectivité qui va introduire le T-Pod sur les routes publiques, entraînant l’élimination d’émissions d’oxyde d’azote », espère Robert Falck, le créateur d’Einride. « Dans trois à quatre ans, la 5G sera au comble de sa puissance, permettant d’atteindre des débits très élevés sur des hotspots ou de désenclaver certaines régions en offrant des débits équivalents à la fibre», explique Salah Eddine Elayoubi, chercheur au CNRS et à Centrale Supélec.
Bouleversements. L’industrie va être bouleversée. BMW travaille ainsi sur la localisation des véhicules avec une précision de moins de 1 centimètre, ce qui permettra, dès 2021, au conducteur de lâcher plusieurs secondes le volant lorsqu’il sera sur l’autoroute, pour laisser sa voiture conduire seule. Son compatriote Bosch, qui a acquis une licence 5G outre-Rhin,travaille sur la communication entre robots, ce qui pourrait intéresser Mercedes-Benz, qui a mis en service, l’an dernier dans le sud de l’Allemagne, un circuit où 400 robots à guidage automatique s’activent pour assembler sa berline Classe S. En Chine, en février 2019, l’opérateur China Unicom a déployé dans le port de Qingdao une solution de pilotage de grues à distance quand, plus près de nous, dans le port d’Anvers,
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Un temps de latence de 2 millisecondes et des débits qui s’adaptent à la demande.
Orange teste une localisation ■ des remorqueurs en temps réel, améliorant considérablement le trafic. « C’est comme passer de la photo analogique à la photo numérique. On fait le même métier, mais il est difficile de revenir en arrière », explique Jean-Pascal Tricoire, le PDG de Schneider Electric, qui, le 28 septembre, a effectué, dans son usine du Vaudreuil (Eure), une démonstration à distance de robots se déplaçant grâce à la 5G.
Vigilance. Un tel déploiement est-il imaginable en France ? Pour y parvenir, il faudra encore lever quelques inquiétudes. La première d’entre elles concerne la santé. L’Organisation mondiale de la santé s’est penchée sur le sujet, mais, après avoir observé « une augmentation de la température corporelle supérieure à 1° C lors d’une exposition à des champs (de très haute intensité) que l’on ne trouve que dans l’industrie, comme avec les systèmes de chauffage haute fréquence, par exemple », elle note que « les niveaux d’exposition aux radiofréquences des stations de base et des réseaux sans fil sont si bas que l’augmentation de la température est insignifiante et n’a aucun effet sur la santé humaine ».
« N’oubliez pas que, dans les années 1920, certains détracteurs imaginaient que la radio était responsable de la mort d’oiseaux », rappelle le consultant en innovation Olivier Ezratty, qui voit dans « les personnes qui bronzent au soleil des comportements autrement plus dangereux qu’une exposition aux ondes de radiofréquence ». Après plusieurs prérapports, l’Agence nationale de sécurité sanitaire devrait rendre un rapport définitif au premier trimestre 2021. « S’il n’y a pas d’effets sanitaires avérés, la vigilance doit être maintenue, et je recommande un principe d’attention », souligne Joe Wiart, chercheur en ondes électromagnétiques à Télécom Paris. Notre régulateur est-il assez sévère ? « Depuis la loi Abeille, nous fixons un point d’alerte à 6 voltmètres, un niveau d’exposition bien inférieur à ce que fixe l’OMS », explique-t-on à l’ANFR, l’établissement chargé de la gestion des fréquences en France.
Autre reproche fait à la 5G, celle d’une trop grande consommation énergétique. « Avec ce déploiement, la consommation d’énergie des opérateurs mobiles serait multipliée par 2,5, voire 3, dans les cinq ans à venir, ce qui est cohérent avec le constat des opérateurs chinois, qui ont déployé 80 000 sites 5G depuis un an », expliquait, dès l’an dernier, Jean-Marc Jancovici, professeur à l’École polytechnique, avant de préciser que «cet impact n’a rien d’anecdotique, puisqu’il représenterait environ 10 TWh supplémentaires, soit une augmentation de 2 % de la consommation d’électricité du pays ». Nicolas Guérin, président de la Fédération française des télécoms (FFT), tempère ces propos : « L’efficacité énergétique [le débit utile divisé par la consommation électrique, NDLR] d’un équipement 5G sera, à un horizon de cinq ans, dix fois supérieure à celle d’un équipement 4G. » Mais le nombre d’antennes ne va-t-il pas augmenter pour répondre à l’explosion de la consommation de données ? « Les obligations des opérateurs pour la 5G sont de 10 500 antennes par opérateur d’ici à 2025. Il n’y aura donc pas plus d’antennes que le nombre actuel », précise la FFT. Reste que, pour avoir une idée de l’impact climatique, mieux vaut également prendre en considération l’accélération probable du renouvellement des mobiles, qui est de 20 millions chaque année en France. Seront-ils recyclés, comme s’y engagent les fabricants ?
Sécurité intérieure. Enfin, la 5G donne lieu à une intense guerre diplomatique… S’en remettre à un équipementier étranger pose à la fois des risques de surveillance et des risques de voir nos usines « débranchées » du jour au lendemain. Pour répondre à ce risque, Thierry Breton, commissaire européen chargé de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique de la défense et de l’espace, a rendu publique une toolbox, une boîte à outils grâce à laquelle les pays européens décideront quel équipementier retenir pour déployer la 5G de manière sûre et sans danger. À terme, chaque citoyen pourra demander des comptes sur la sécurité du réseau. Une petite révolution. Le
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« Il n’y aura pas plus d’antennes qu’actuellement. » La Fédération française des télécoms