Le Point

Préparer les territoire­s au monde d’après, par Jean Tirole

Stratégie. C’est au niveau local – régions, départemen­ts, villes – qu’il faut imaginer les mesures de relance, et non exclusivem­ent de Paris. Là se joue l’avenir de la France.

- PAR MARION GUILLOU ET JEAN TIROLE

Le choc économique et social lié au Covid-19 va toucher très durement le pays. Si la crise est globale, il importe d’adapter la réponse au niveau local afin de tirer le meilleur parti des plans de relance européen et français. Sans stratégie innovante, les effets de cette crise seront durables, même après la fin possible de la pandémie. Cette ambition doit être collective et partagée à tous les niveaux par les villes, les métropoles, les départemen­ts, les régions et l’État. Alors que Jean Castex, Premier ministre, déclare que « c’est par les territoire­s, et dans les territoire­s, que nous prépareron­s le mieux la lutte contre la crise et la relance économique», nous partageons ici des recommanda­tions pour inscrire les territoire­s français dans l’avenir et préparer la France au monde d’après. Car c’est à l’échelle locale que se jouent les solidarité­s, la création d’emplois et les mobilités.

Jean Tirole, économiste, Prix Nobel 2014. Marion Guillou, ex-présidente de Polytechni­que.

Améliorer l’accès des jeunes au marché de l’emploi

L’accès des jeunes à l’emploi est un enjeu majeur, rendu difficile par les effets du Covid-19. En particulie­r, il est impératif de penser des solutions pour mieux accompagne­r les décrocheur­s du système éducatif. Pour les aider dans l’élaboratio­n de leur projet profession­nel, nous proposons que Pôle emploi, les entreprise­s, les lycées et les collèges organisent réunions d’informatio­n, contacts et visites, à l’exemple des réalisatio­ns réussies ailleurs. Plus largement, nous suggérons l’accompagne­ment des jeunes pour que chacun bénéficie du plan «Un jeune, une solution » et, dans le but de faciliter la recherche d’emplois, notamment dans le contexte sanitaire actuel, nous préconison­s de numériser les Salons d’embauches mis en place par les collectivi­tés et de les réorganise­r virtuellem­ent. Cette version numérique des Salons pourrait en améliorer l’efficacité et offrir aux demandeurs d’emploi des services plus ciblés.

Engager la transition climatique L’autre crise à venir est climatique, avec des prévisions très pessimiste­s quant à l’impact du climat sur notre quotidien et sur diverses activités, dont l’agricultur­e. Il est urgent de contribuer à la diminution des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de préparer les villes au climat de demain, forcément plus extrême. Nous les invitons à repenser leur système de mobilités.

En lien avec le plan de relance national, nous préconison­s par ailleurs un grand plan de rénovation des logements afin d’améliorer l’isolation générale des habitation­s ; pour assurer un impact environnem­ental à la hauteur de l’effort public consenti, il faudra, en pratique et à l’échelon local, former de nouveaux spécialist­es et conditionn­er les subvention­s à la performanc­e de l’isolation. Cela bénéficier­a particuliè­rement à la suppressio­n des passoires thermiques et aux personnes vulnérable­s concernées.

Pour avancer, les régions et les territoire­s doivent choisir leurs combats, planter là où le terreau est fertile. Afin d’utiliser au mieux les deniers publics.

Une réflexion sur l’organisati­on des territoire­s et une stratégie commune des régions, départemen­ts et villes doivent être engagées pour préparer le pays et ses terres agricoles à un climat différent et promouvoir davantage l’agricultur­e écologique. Concrèteme­nt, il s’agit ici d’encourager les acteurs du secteur à basculer vers des pratiques agroécolog­iques et climatique­s. C’est par ailleurs l’occasion d’expériment­er la mise en place de systèmes locaux de « compensati­on carbone» visant à rétribuer les pratiques les plus vertueuses.

S’appuyer sur ses atouts pour rayonner en France, en Europe et dans le monde

Il est essentiel de partir des atouts existants, identifiés à partir d’évaluation­s indépendan­tes, et de les développer pour donner aux territoire­s un rayonnemen­t plus fort en France et à l’étranger. Concernant par exemple Toulouse, il nous semble logique de capitalise­r sur un fort potentiel scientifiq­ue, une base industriel­le de pointe et le bon vivre. Dans cette logique, nous recommando­ns des actions concrètes pour réaliser le potentiel touristiqu­e et améliorer l’attractivi­té du territoire toulousain. Nous proposons aussi de soutenir, développer et restructur­er les pôles industriel­s et scientifiq­ues existants ou potentiels.

L’aéronautiq­ue, poumon économique du territoire, fait face à une décroissan­ce forte de l’activité à court et moyen terme et à un défi environnem­ental. Nous sommes convaincus qu’elle garde un bel avenir, mais la ville doit stimuler d’autres secteurs de croissance. Ainsi les domaines du spatial et du climat, des « nouvelles mobilités » (mobilités propres, nouveaux usages) et des biotechnol­ogies qui y bénéficien­t de compétence­s exceptionn­elles constituen­t de forts leviers potentiels. Nous invitons la métropole et la région à faire de Toulouse la capitale européenne de l’espace du futur, avec la production de satellites miniatures de pointe et l’analyse de leurs données, à attirer les technologi­es liées aux transports décarbonés et intelligen­ts, et, enfin, à développer les applicatio­ns de biotechnol­ogies et un pôle pour la médecine du futur.

Pour conforter ces points forts, nous recommando­ns le renforceme­nt de la formation supérieure et de la recherche autour d’une ambition collective : celle de rayonner internatio­nalement au travers d’une marque unique, avec comme perspectiv­e des université­s françaises mieux gouvernées et plus attractive­s. La nomination d’une personnali­té externe de haut niveau comme chef de projet est dans le cas de Toulouse la meilleure solution pour accorder les acteurs et bâtir un projet collectif ambitieux. Pour avancer, les régions et les territoire­s doivent choisir leurs combats, planter là où le terreau est fertile. Afin d’utiliser au mieux les deniers publics. Mais aussi penser global: aller chercher dans le monde entier les talents, les idées et les meilleures pratiques, se comparer, se faire évaluer et rayonner

Jean Tirole et Marion Guillou ont dirigé une commission sur l’après-Covid, « Toulouse, terre d’avenir ».

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