Futurapolis santé : Montpellier, premier de cordée
Jacques Reynes dirige le service des maladies infectieuses qui planche sur les nouveaux traitements.
Le Pr Jacques Reynes* ne s’arrête jamais. Il court de réunions de chercheurs en rendez-vous avec les autorités sanitaires et les industriels du médicament, de colloques virtuels en interviews. Car, même si la ville de Montpellier a eu la chance d’être à l’origine relativement épargnée par l’épidémie liée au virus SARS-CoV-2 (la situation a malheureusement changé depuis…), le service des maladies infectieuses et tropicales qu’il dirige au sein du CHU depuis six mois tourne « à plein régime ». Et pour cause : il est impliqué dans un grand nombre d’études portant notamment sur l’évaluation de nouveaux traitements anti-infectieux et des tests de diagnostic.
Le Point: Peut-on faire un point sur la prise en charge des personnes atteintes du Covid-19?
Pr Jacques Reynes:
Elle a beaucoup progressé, d’abord parce que l’on sait mieux lutter contre certaines complications de l’infection. C’est le cas des thromboses vasculaires, favorisées par l’atteinte de l’endothélium, la paroi interne des vaisseaux sanguins. Une anticoagulation préventive chez les malades les plus gravement atteints limite désormais les risques d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral ou de thrombose pulmonaire.
Nous luttons aussi plus efficacement contre un phénomène inflammatoire parfois extrêmement violent, un orage cytokinique, qui aggrave considérablement les lésions pulmonaires. Pour cela, nous administrons des corticoïdes, en particulier la dexaméthasone, ce qui a permis de réduire de 20 à 30 % la mortalité dans les formes sévères nécessitant une oxygénothérapie.Nous avons également optimisé les mesures de prise en charge respiratoire, en particulier les conditions de positionnement des patients sur le ventre et les modalités de ventilation pour utiliser au mieux les respirateurs.
Qu’en est-il des traitements directement actifs contre le virus lui-même?
Nous avons actuellement une seule molécule, le remdésivir, développée par les laboratoires Gilead, qui réduit la durée de la maladie et la mortalité dans un certain nombre de situations, en particulier chez les patients qui nécessitent une oxygénothérapie. Ce bénéfice est modeste mais formel et prouvé, permettant à ce traitement d’obtenir une autorisation conditionnelle de mise sur le marché (AMM) au niveau européen, avec une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) de cohorte en France. [Le laboratoire Gilead a retiré sa demande de remboursement du remdésivir en France après avoir pris connaissance des conclusions provisoires de la Commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) qui limitait son accès au remboursement à certains cas précis, NDLR.]
D’autres molécules sont en développement, en particulier une des laboratoires MSD, qui appartient à la même famille que le remdésivir, mais elle est administrable par voie orale et non par injection. Les essais de phase 2 commenceront dans quelques semaines. Le CHU de Montpellier fait partie des quelques centres qui ont été sélectionnés en France pour réaliser ces essais.
Peut-on chiffrer les bénéfices liés aux plus récentes prises en charge thérapeutiques?
Il n’y a pas de chiffres précis. Cependant, en addi
tionnant l’effet de la prise en charge optimale (avec le remdésivir et la corticothérapie), on peut estimer que l’on réduit le recours à la réanimation de 30 à 50 %. C’est d’autant plus important que les patients, après un passage dans une unité de soins intensifs, gardent souvent des séquelles et nécessitent un séjour en rééducation.
Revenons sur toutes les informations qui ont circulé depuis le début de l’épidémie, notamment sur l’efficacité de l’association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine. Que peut-on conclure aujourd’hui?
Au départ, il était rationnel d’utiliser l’hydroxychloroquine, compte tenu de ses effets potentiels sur différentes étapes du cycle du virus dans la cellule infectée. C’est pour cela que j’ai participé à la recherche dans ce domaine, avec son éventuelle association avec l’azithromycine. Mais, dans la course folle contre la maladie, beaucoup d’équipes ont rapporté des premiers résultats non comparatifs, et c’est bien le problème. Finalement, des études sérieuses ont montré un bénéfice très modeste avec ces deux molécules.
Et concernant le plasma d’anciens patients convalescents ?
Là aussi nous sommes confrontés à des cas rapportés isolés ou à de petites séries avec des résultats positifs ou supposés tels. Ce type de stratégie peut être intéressant pour les personnes immunodéprimées, incapables de générer une bonne réponse immunitaire. Mais c’est lourd à mettre en place, et à réserver à des malades très particuliers.
Quelles leçons peut-on déjà tirer de l’épidémie que nous sommes en train de vivre, notamment concernant les essais thérapeutiques?
On ne peut se passer de grands essais comparatifs, avec plusieurs options thérapeutiques. Il faut aussi que ces protocoles soient adaptatifs, avec la possibilité d’arrêter un essai pour lequel on aurait des résultats peu satisfaisants et d’introduire de nouvelles molécules potentiellement intéressantes.
Concernant les essais contre placebo, quand des arguments solides suggèrent qu’un traitement sera efficace, il est éthiquement difficile de le comparer à un placebo. En revanche, l’emploi de ce dernier est parfois nécessaire pour évaluer précisément l’effet d’une nouvelle molécule à efficacité et toxicité inconnues.
Il faut également des essais conduits rapidement, sur un nombre réduit de patients, pour prouver un concept sur des résultats visibles chez l’homme et des données biologiques, d’où l’importance d’avoir des marqueurs afin de mettre en évidence une certaine efficacité sur tel ou tel aspect de l’infection. Par exemple, si le traitement permet de réduire certaines cytokines ou de diminuer la charge virale, on a un argument favorable.
Le Covid-19 étant bénin dans 80% des cas, comment éviter la dégradation de la santé des 20% restants?
Compte tenu de son action dans la cellule, l’hydroxychloroquine aurait potentiellement pu être utilisable en prévention préexposition, voire même en postexposition. Hélas, les essais n’ont pas confirmé cette activité.
Actuellement, la stratégie optimale est de bien repérer les personnes fragiles pour pouvoir prédire rapidement le risque évolutif en cas de symptômes débutants. Et de proposer une thérapie adaptée, notamment pour prévenir les complications. Dans l’avenir, il faut encore améliorer l’organisation de cette prise en charge précoce.
Qu’attendez-vous d’un éventuel vaccin?
Il devra en premier lieu protéger les plus fragiles. Or l’exemple de la grippe montre que les personnes âgées ont souvent une réponse immunologique incomplète à ce type de stratégie préventive. Néanmoins, même si la réponse n’est pas optimale, il y a quand même une réduction de l’intensité de cette pathologie. Reste à trouver la bonne formulation vaccinale, ce qui est assez compliqué. Pour moi, cette vaccination pourra être une solution partielle à moyen terme, mais pas la solution complète
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* Le Pr Reynes a été dans les trois dernières années consultant, membre d’un conseil scientifique et intervenant dans un symposium pour les laboratoires Gilead, Janssen, MSD, Pfizer, ViiV Healthcare. Il a été investigateur principal d’un essai de l’industrie pharmaceutique pour GSK-ViiV Healthcare, Gilead, MSD, Tibotec-Janssen.
« La stratégie optimale est de bien repérer les personnes fragiles pour pouvoir prédire rapidement le risque évolutif en cas de symptômes. »