Marine Le Pen, la stratégie du chat
Malgré les défections dans ses rangs et des municipales en trompe-l’oeil, la présidente du RN, servie par les événements récents, montre qu’il faudra encore compter avec elle.
Elle a signé son attestation vendredi matin, puis elle est partie s’enfermer à Pantin, dans les locaux d’un centre de formation spécialisé. Pendant trois jours, Marine Le Pen a planché sur l’hygrométrie des bâtiments d’élevage, la nutrition des félins, leurs maladies… Avant de décrocher dimanche l’Acaced (attestation de connaissances pour les animaux de compagnie d’espèces domestiques), option « chats », indispensable pour travailler avec des animaux. « J’ai six chats, dont trois femelles reproductrices. Mais seul un professionnel peut faire plus d’une portée par an… », confie la patronne du parti à la flamme, dont le cercle d’amis s’arrache les chatons de races bengal et somali. Elle a donc occupé une partie de son confinement en bûchant un condensé des trois années du bac pro élevage, jetant un dernier regard, le 4 novembre, à l’Assemblée, à ses cours de l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, alors que s’éternisaient les débats sur le vote de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’en février. On s’étonne : « On ne vous savait pas aussi passionnée par les chats… » Elle sourit. « J’ai retrouvé le classeur d’un exposé que j’avais fait sur le sujet quand j’avais 9 ans. Il y avait tout déjà : la saillie, la mise-bas, les maladies… » Opiniâtre, Marine Le Pen ? Sans doute. Mais aussi – ne peut-on s’empêcher de remarquer – curieusement détachée, à l’heure où le pays se disloque dans un tourbillon de crises.
Lancée dans une opération séduction, la présidente du Rassemblement national a reçu Le Point pendant plus de deux heures, au siège de son parti, un immeuble fonctionnel aux allures de hangar discrètement niché dans une rue résidentielle de Nanterre, pour une conversation à bâtons rompus. Seule. En plein confinement, l’endroit est vidé de ses occupants, sauf une escouade de sécurité, qui prend votre température avant la rencontre. Face à nous, une Marine Le Pen tout sourire, griffes polies, façon zen. Alors que la classe politique est sur des
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chardons ardents, la présidentiable de l’extrême ■ droite cultive une sérénité de contraste. Dénonce, à maintes reprises, « l’autoritarisme » (sic) du régime. Se pose en garante des libertés publiques : « Même en situation exceptionnelle, il faut toucher aux libertés avec des pincettes, et ceux qui sont au pouvoir le font avec des gros sabots. » Martèle, leitmotiv nouveau, que « l’islam est parfaitement compatible avec la république ». Soutient Emmanuel Macron dans son bras de fer avec le Turc Erdogan: «Chaque fois qu’on attaque le président de la République, on attaque mon pays. Vous ne me trouverez jamais en train de justifier des insultes proférées à l’égard d’Emmanuel Macron. » Mais où est passée la clivante populiste, chef de file d’un mouvement politique qui a toujours creusé son sillon à coups de déclarations fracassantes, de propos polémiques et de positionnements « incorrects » ?
« Plus précise ». Marine Le Pen tresse des couronnes à Donald Trump : « Le personnage s’est inscrit aujourd’hui dans l’histoire des États-Unis. On peut penser ce qu’on veut de lui, de sa manière de faire de la politique, de ses saillies, etc., mais on ne peut pas lui retirer qu’il a respecté un grand nombre de ses promesses, et ça ne court pas les rues en France, qu’il a obtenu des résultats, économiques notamment, et qu’il a été seul contre tous, seul contre les médias, les réseaux sociaux, l’intelligentsia. C’est ce qui le rend sympathique aux yeux de beaucoup. » Mais elle ne se positionne pas comme une Trump à la française. « Ce n’est pas mon modèle. On peut avoir beaucoup d’avis communs, mais la méthode n’est pas la même ! » dit-elle. La « pyromane » de la vie politique française joue la carte de l’apaisement. Bien qu’elle s’en dédise avec force : « Je ne joue pas l’apaisement, je suis apaisée, et je le suis d’autant plus que la situation est grave et tendue. Quand on a vocation à être présidente de la République, dans des périodes de tensions, de peurs, de troubles, il faut être d’autant plus précise, sûre de soi et apaisante. C’est le rôle de tout dirigeant. »
Une sérénité affichée qui n’est pas dictée par une stratégie présidentielle, jure-t-elle, sans qu’on la croie une seconde. « J’aborde ma troisième campagne présidentielle, je suis arrivée au second tour lors de la deuxième… Bien sûr, je ne suis pas la même, mais je ne développe pas de stratégie particulière. J’agis en conscience, et j’essaie d’apporter des solutions chaque fois que je le peux. » Marine Le Pen n’a jamais été si discrète. Nul besoin de s’agiter: dans une France en état de siège sanitaire, terroriste, économique, il suffit de se laisser porter par le courant… Les tabous sont en train de tomber, perçoit celle qui vient de résilier le bail de son siège de Nanterre et s’apprête à chercher de nouveaux locaux pour le parti, dans le 8e, le 7e ou le 16e arrondissement de Paris, « pour être au plus près de l’Assemblée », et « parce qu’avec la crise l’immobilier de bureaux baisse ». « Au bout de quarante ans d’une politique d’ouverture totale des frontières, enfin les Français se disent : “Mais au fait, c’est quoi, le bilan ?” Sur le plan d’une immigration totalement dérégulée, de l’économie, de la concurrence déloyale ? On a essayé, le résultat est catastrophique. Je vais leur suggérer de refermer cette parenthèse. »
Mais si les thèses sécuritaires du Rassemblement national « infusent », comme on s’en réjouit dans le parti, elles sont loin de se traduire par une explosion de popularité. Macron reprend pied dans les
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« Je ne joue pas l’apaisement, je suis apaisée, et je le suis d’autant plus que la situation est grave et tendue. »