Afghanistan : Kaboul, le campus de l’horreur
Parce qu’elle incarne l’avenir de l’Afghanistan et la primauté de la raison, l’éducation est une cible convoitée par les islamistes.
Ce lundi 2 novembre, le soleil d’automne baigne la capitale afghane. Mohsen Saifi, professeur de musique au département des arts, bavarde avec ses collègues autour d’un verre de thé dans l’université de Kaboul. Des coups de feu claquent. « En regardant dehors, j’ai vu des élèves courir vers la sortie sud. Le campus est immense, je ne savais pas d’où venaient les tirs, au début », raconte l’enseignant, qui rejoint le flot et parvient à s’échapper. Rashmi Dangol, elle aussi, a eu de la chance. Cette sociologue de l’Afghanistan Center, un institut de recherche de l’université, s’y rend quand elle reçoit une alerte par téléphone. Un de ses étudiants lui raconte qu’il a dû escalader le mur d’enceinte pour s’enfuir.
L’un des trois djihadistes déclenche sa ceinture explosive. Ses deux complices pénètrent dans des salles de classe et tirent à l’arme automatique et à la grenade sur tout ce qui bouge. L’attaque, revendiquée par l’État islamique (EI), dure près de six heures. Samiullah Mahdi, lui, n’a pas de cours à donner ce jour-là. Journaliste, il enseigne deux fois par semaine au département administration et politique publique. Fou d’inquiétude, il appelle chacun de ses étudiants. « Seuls les vivants décrochaient. Certains étaient blessés, d’autres, indemnes, se cachaient sous les tables, dans les placards, dans les toilettes. J’essayais de les calmer, de leur donner du courage alors qu’ils étaient pris au piège. »
Sur les trente-cinq personnes tuées, Samiullah Mahdi a perdu seize élèves, jeunes pousses brillantes et pleines d’ambition. « Le plus jeune avait 20 ans, le plus âgé, 24. Ils avaient travaillé dur pour réussir le concours. Chaque année, des dizaines de milliers d’étudiants se présentent à l’examen d’entrée. Il y a peu d’élus », explique-t-il. L’université de Kaboul est une institution prestigieuse. Fondée en 1932, elle compte 25000 inscrits. De nombreuses personnalités y ont fait leurs études, comme Ahmed Shah Massoud, le seigneur de guerre du Panchir qui a tenu tête aux talibans jusqu’à son assassinat, en 2001.
Détruire la pensée. Les attaques contre les lieux d’éducation deviennent fréquents. L’an dernier, la mission de l’ONU en a dénombré plus de cinquante perpétrés par les talibans ou par l’EI : établissements incendiés, enseignants kidnappés, attentats contre les élèves et les professeurs, contre les écoles… L’éducation publique est un enjeu de pouvoir dans la guerre civile. Ainsi, les talibans modifient des programmes scolaires pour diffuser leur idéologie dans des régions qu’ils contrôlent, et contraignent les professeurs à faire cours. Pour Rashmi Dangol, les terroristes « ont voulu tuer des étudiants qui, grâce à leur formation universitaire, deviendront un jour ceux qui les combattront. »
L’attentat du 2 novembre marque un tournant. «Que des terroristes aillent traquer les élèves jusque dans les classes, alors que l’université compte beaucoup d’étudiants en religion, est inhabituel, observe Abdul Waheed Wafa, directeur de l’Afghanistan Center. La lutte pour le pouvoir entre l’État et les insurgés devient de plus en plus cruelle. »